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Glanes

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Une illustration de Raymond Carrance pour La Ville dont le Prince est un enfant, de Montherlant (1967).


Quant à ce tableau anonyme datée des années 1820, il nous rappelle combien la peinture néo-classique a été homo-érotique. Un érudit qui voudrait s'attaquer à un recensement et à une analyse de tous les tableaux de cette période esthétique se confronterait à un continent presque sans fin à explorer. A ma connaissance, ce travail n'a pas été entrepris, ni même esquissé.

 
Ce mouvement n'est évidemment pas seulement français. Au hasard de mes glanes internet, j'ai trouvé ce tableau du peintre espagnol José Aparicio (1770-1838), peint en 1811, à Rome : Socrate enseignant.


Sur la tablette, il est écrit : Consiglio ad un giovane poeta dialogo socratico recitato nelle adunanza della' Arcadia, que l'on peut traduire par : Conseil à un jeune poète, dialogue socratique récité lors de l'assemblée d'Arcadie.

Ces numismates sont bien tendres entre eux (et fort peu habillés) au moment d'observer la médaille que tient ce musculeux jeune homme.


Il s'agit d'une médaille éditée par la Société des Amis de la Médaille Française, en 1901, pour commémorer la récente fondation (1899) de la société. Ces 4 hommes représenteraient des graveurs connus à leur époque. Sur la face, le personnage féminin en train de dessiner n'est guère plus habillée.

Académies d'hommes, de Charles Léandre (1862-1934)

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Une belle série d'académies d'hommes, par l'illustrateur Charles Léandre, plus connu pour ses caricature. Je termine ce billet par un autoportrait de l'artiste. On remarquera les poses parfois fort peu naturelles que l'on faisait prendre à ces modèles. J'imagine que c'est dans un but pédagogique pour que les élèves de Beaux-Art se familiarisent avec toutes les possibilités qu'offre le corps humain et, dans ce cas bien précis, le corps masculin.









Jean Boullet et Jean-Christophe Averty

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Il y a quelques années, je présentai un dessin de Jean Boullet, qui appartenait à un projet d'illustration d'Un Songe d'une nuit d'été (cliquez-ici) :



A l'occasion de la vente des collections de Jean-Christophe Averty, je viens de découvrir que la plupart des projets d'illustrations de ce texte de Shakespeare appartenait à ce célèbre animateur de télévision. Ils sont en vente le 11 juin prochain. Le catalogue donne un aperçu de ces dessins :



Petite satisfaction d'amour propre, la notice du catalogue fait une référence directe à ce blog et au message que j'avais alors publié :

Dessins de Roland Caillaux

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J'ai trouvé récemment une série de petites photos qui reproduisent les illustrations de Vingt lithographies pour un livre que j'ai lu, paru en 1945 avec des dessins de Roland Caillaux et des textes de Jean Genet.


J'imagine que ce tirage permettait de disposer de ces dessins très érotiques sous un format plus maniable et plus accessible, en cas de nécessité...

On y retrouve les grandes gravures que j'ai reproduites dans le message que je lui ai consacré : cliquez-ici. En supplément, on y trouve la photo d'un très beau dessin, absent du recueil. C'est cette image de deux garçons que j'ai placée en tête de ce message.

La série des Fredi, 1929-1930

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La réédition récente de la série des Fredi par GayKitschCamp, ainsi que l'acquisition presque simultanée de l'édition originale et de quelques orignaux des illustrations, m'ont amené à lire ces 3 volumes qui racontent l'éveil à l'amour et à la sexualité, puis la vie sentimentale et sexuelle du jeune Fredi.



Probablement par esprit d'équilibre, le 4ede couverture de la réédition rapporte les avis contrastés de l'indispensable catalogue Archives gaies de Jacques Desse : « Le style est abominable, les dessins croquignolesques, sans parler de l'idéologie. Bref, un monument de kitsch assez singulier pour l'époque » et de l'annonce de l'éditeur lui-même :« Un roman d'apprentissage assez troublant, miroir au masculin de la série à succès des Claudine de Colette Willy. On y retrouve les thèmes vivifiants et modernes de l'insatisfaction et du triolisme. »

 Pour acheter la réédition, cliquez-ici.

Cet ouvrage ne me semble mériter ni tant de sévérité, ni tant d'éloges. Il ne faut pas croire qu'il puisse éveiller le « voyeurisme » du lecteur en quête de curiosités sexuelles. Certes, triolisme il y a, mais toute la sexualité est traitée sur un mode allusif, probablement pour passer en dessous des radars de la justice et de son terrible « délit d'outrage aux bonnes mœurs ».

Quant à la présentation du livre, je reprends le 3e texte du 4e de couverture qui est un bon résumé du contenu (Catalogue de la Librairie Artistique, 1935) :
La série des Fredi en trois volumes est une étude sincère et consciencieuse de l'inversion sexuelle. Dans Fredi à l'école, c'est le début de l'inversion, sa marche lente et indécise, l'état particulier du jeune inverti, sa mentalité complexe, puis la manifestation des premiers rapprochements ; Fredi s'amuse. Fredi est sorti de l'école ; il est étudiant, il vit libre. Les femmes le recherchent, mais il sort de leurs mains absolument désenchanté et retourne à sa satisfaction réelle ; Fredi en ménage. Dans ce tome dernier, c'est le complet épanouissement de l'inversion. Fredi rêve de se créer un foyer, de posséder un ménage, mais, bien entendu, hors la loi naturelle.

Certains aspects de cet ouvrage me semblent avoir encore une certaine actualité à notre époque. Il est probablement de toutes les époques que l'homosexualité oblige à une découverte de soi, de ses sentiments, de son corps, qui est, par nature, un cheminement particulier et radicalement différent de celui de l’hétérosexualité. Certes, les conditions actuelles, voire celles des années où j'ai moi-même parcouru ce chemin, sont différentes de celles qui forment le cadre de l'ouvrage Fredi. En revanche, le livre, dans son premier volume, rapporte bien cette période d'indécision sur son orientation sexuelle, qui était probablement plus longue alors pour au moins deux raisons. La première est qu'il existait une sorte d’homosexualité passagère de collège, qui permettait un premier éveil sexuel dans ces univers uniquement masculins. Ce sont les relations que Fredi vit avec Bertrand, Vernelle, Arcine, etc. Ces relations de collégiens pouvaient masquer aux yeux d’un jeune homme sa tendance profonde, en laissant penser que cette attirance et ses amours de collèges étaient, pour ainsi dire, « normales », car appartenant au parcours d’un adolescent de l'époque. La deuxième différence est que le monde dans lequel vivait Fredi ne faisait pas de l'interrogation et de la connaissance de soi-même une obligation comme nous le vivons. L'injonction du « sois toi-même » ne semble pas avoir encore atteint le jeune Fredi et le message libérateur des « Nourritures terrestres » n'avait pas encore franchi les portes des collèges ni des familles petites-bourgeoises de province. En revanche, ce que l'attirance sentimentales et sexuelle pour ses jeunes camarades peut amener de désillusions et de souffrances me semble bien décrit.

Dans la découverte de sa sexualité, il y a aussi, me semble-t-il, quelque chose qui traverse les époques. Car, au-delà de se découvrir homosexuel, encore faut-il trouver les formes sexuelles qui sont celles qui nous permettent d'arriver à une forme de plénitude personnelles. Entre les premières expériences sexuelles de l'élève Fredi et la forme de satisfaction sexuelle à laquelle il parvient à la fin du 2e volume, il y a un cheminement qui, là aussi, était probablement plus long qu'aujourd'hui, mais qui reste vrai. Si on me permet d'utiliser cet anachronisme, le 2e volume décrit une démarche de développement personnel qui permet à Fredi d’arriver jusqu'à arriver au « complet épanouissement ». Dans son cas, cela passe par une période « féminine » qui lui permet de prendre définitivement conscience que les femmes ne l’attirent pas.

Le 3e volume décrit comment Fredi se construit un monde à lui, qui lui permet d'atteindre une forme d'équilibre personnel. Ce « ménage » dont parle le titre, est formé de 3 personnes (d’où l’allusion au triolisme). La personne centrale est évidemment Fredi. La deuxième est l'ami de cœur, Xavier, qui l'a accompagné dans sa découverte de l'homosexualité lors de son arrivée à Paris, ce qui est raconté dans le 2evolume. J'ai d'ailleurs trouvé touchant cette fidélité à l'ami plus âgé, avec lequel il ne peut pas atteindre une vie homosexuelle harmonieuse, puisqu'ils sont tous les deux à la recherche de partenaires actifs. Malgré cela, Xavier représente comme un point d'appui et un soutien dans ce récit de vie. Le 3ecompère du ménage est un certain Stéphane, qui représente plutôt l'autre dimension de cet épanouissement, celui de ses goûts sexuels, passifs comme nous l'avons dit. Il fait suite à de nombreux amants, qui lui ont peu à peu permis de s’épanouir.

A la toute fin du 3e volume, Fredi accueille aussi sa mère dans ce foyer d'hommes. Le rapport au père et à la mère traverse tout le livre. L'image du père, certes caricaturale, est l'archétype d'un mélange de virilité conventionnelle et de médiocrité personnelle qui ne permet guère au jeune adolescent de se construire, si ce n'est en opposition vis-à-vis du père. D'ailleurs, il sort peu à peu du paysage, d'abord en devenant absent et alcoolique, puis en mourant. Fredi peut alors retrouver sa mère, pour laquelle il a toujours eu des sentiments d'attachement filial. Je ne parle pas d'amour filiale car on n'est pas dans l'adoration aveugle d'un Marcel Proust pour sa mère. Lorsque la mère de Fredi découvre que son fils homosexuel, elle en conclut : « C’est mieux ainsi, come cela, il ne se mariera pas et me restera ».

Cela me rappelle cette phrase de Céline, à propos de Gide, qui dit les choses plus crûment : « Gide a aussi droit à toute la reconnaissance des jeunes bourgeois ou ouvriers que l'anus tracasse. ”Oh ! tu vois maman, Gide notre plus grand écrivain français trouve que se faire enculer est, parfaitement légitime, louable, artistique, convenable...” ”Très bien mon fils, je t'en bénis”, répond la mère, qui au fond ne demande pas mieux. Tous les homosexuels sont d'admirables fils. »

En revanche, d’autres aspects du livre datent beaucoup. D’abord, une idée parcourt tout le premier volume. L'homosexualité n'est que la conséquence d'une éducation imparfaite dans les premières années de l'adolescence, ce qui est annoncé dans la préface du premier volume. Cette idée est plusieurs fois reprise, avant d'être totalement abandonnée dans les 2 volumes suivants. Peut-être était-ce la caution morale indispensable pour rendre l'ouvrage acceptable. On peut d'ailleurs relever certaines contradictions entre cette idée d'une homosexualité que l'on peut soigner ou éviter et une représentation de l’homosexualité comme un comportement presque normale ou naturelle dans les 2 volumes suivants.

L'autre aspect qui a lui-aussi beaucoup vieilli est l'idée que l'homosexualité amènent les homosexuels à se situer par rapport à des comportements très stéréotypés entre les hommes et les femmes. L'homosexuel actif, le Louis ou le Bertrand de l'histoire (2e volume), se doit d'être viril, dominant, voire violent. En revanche, l'homosexuel passif comme Fredi se conforme à des comportements considérés comme féminin : la soumission, le besoin de soumission, voire l'hystérie. Fredi n’hésite pas à se rouler par terre dans des crises qui sont aussi des appels à une sévère correction de la part de « son homme ». On retrouve les clichés sur la coquetterie et la « mollesse » de l’homosexuel passif. A la décharge de l'auteur, rappelons que Proust a parlé de l'homosexuel comme un « homme-femme » :
« Je suis une femme », pourtant en lui, avec quelles ruses, quelle agilité, quelle obstination de plante grimpante, la femme inconsciente et visible cherche-t-elle l’organe masculin. On n’a qu’à regarder cette chevelure bouclée sur l’oreiller blanc pour comprendre que le soir, si ce jeune homme glisse hors des doigts de ses parents, malgré eux, malgré lui ce ne sera pas pour aller retrouver des femmes. Sa maîtresse peut le châtier, l’enfermer, le lendemain l’homme-femme aura trouvé le moyen de s’attacher à un homme, comme le volubilis jette ses vrilles là où se trouve une pioche ou un râteau. Pourquoi, admirant dans le visage de cet homme des délicatesses qui nous touchent, une grâce, un naturel dans l’amabilité comme les hommes n’en ont point, serions-nous désolés d’apprendre que ce jeune homme recherche les boxeurs ?

Certes, cela est plus puissamment tourné que le style un peu plat et terne de Fredi, mais les idées ne sont pas loin d'être les mêmes. Dans le même ordre d'idée, dans les années 1920, Magnus Hirschfeld théorisait le concept de « troisième sexe », intermédiaire entre les deux genres bien marqués d'homme et de femme.

A la lecture de ce compte-rendu, certains pourraient penser que je fais preuve d'un enthousiasme exagéré pour ce livre qui, objectivement, reste une œuvre mineure. À cela je répondrais d'abord que c'est un témoignage intéressant et bienveillant sur les homosexuels dans ces années-là. Avec du recul, il n’y en a pas tant que cela. Quitter les grands auteurs de l’homosexualité de l'entre-deux-guerres – Gide, Proust, Cocteau – et prendre les chemins de traverse de la littérature « populaire » permet de percevoir plus directement la vision que l'on pouvait en avoir alors. Enfin, ayant parfois l'occasion de lire de la littérature homosexuelle contemporains, je ne suis pas sûr que l'on atteint aujourd'hui un niveau bien supérieur. Le cheminement : premiers émois, découverte de l'homosexualité, premières amours et, parfois, vie sentimentale et sexuelle épanouie se retrouve encore, presque invariant, seuls le contexte et les représentations de l'homosexualité changent.

Les illustrations

Chacun des 3 volumes est illustré de gravures dans le texte, fort médiocrement imprimées, et d'eaux fortes sur feuillet libre. Cela explique sûrement qu'il soit difficile de trouver les volumes complets de ces eaux fortes. Quelques unes des eaux fortes :







Les illustrations sont de Gaston Smit. Seules les illustrations de couvertures sont signées, soit G. Smit, pour les deux premiers volumes, soit G. S pour le 3e. J'ai eu la chance de trouver les dessines originaux, à l'encre noire, des 11 illustrations du 2e volume. Le dessin original de la couverture est reproduit en début de message. Les 10 autres dessins sont d'un format supérieur à la reproduction qui en est donnée dans les ouvrages :












Description des ouvrages

Fredi à l'Ecole. Le roman d'un inverti.
Paris, Librairie artistique, F. Brenet, éditeur, 1929, in-8° (203 x 130 mm), 215-[1] pp., couverture en 2 couleurs illustrée d'une gravure, 9 gravures en pleine page dans le texte, 4 eaux-fortes hors texte.


Fredi s'amuse.
Paris, Librairie artistique, P. Brenet, éditeur, 1929, in-8° (203 x 130 mm), 215-[1] pp., couverture en 2 couleurs illustrée d'une gravure, 10 gravures en pleine page dans le texte, 4 eaux-fortes hors texte.


Fredi en ménage.
Paris, Librairie artistique, P. Brenet, éditeur, 1930, in-8° (203 x 130 mm), 207-[1] pp., couverture en 2 couleurs illustrée d'une gravure, 9 gravures en pleine page dans le texte, 4 eaux-fortes hors texte.


La collection complète est rare. En France, seule la Bibliothèque nationale possède les 3 volumes. La bibliothèque de l'Arsenal n'a que les 1er et 3e volumes, quand le fonds Chomarat de la Bibliothèque municipale de Lyon ne contient que le 2e volume. C'est tout pour l'ensemble des bibliothèques publiques en France (source :CCFr).

Sur Gaston Smit, ce lien sur le site bibliocuriosa donne un aperçu de son abondante production, très largement consacrée à la flagellation et au sado-masochisme : http://bibliocuriosa.com/index.php/Smit,_Gaston
On constatera qu'il n'a pas hésité dans les Fredi à se laisser aller à son penchant – personnel ? – pour la flagellation . Malheureusement on n'en sait pas plus sur lui.

De même, ce site donne la production de Max des Vignons, où l'homosexualité semble tout de même une exception : http://bibliocuriosa.com/index.php/Vignons,_Max_des

Enfin, sur l'éditeur : http://bibliocuriosa.com/index.php/Librairie_Artistique. Fredi semble sa seule incursion dans la littérature homosexuelle.

J'ai acheté les 11 illustrations originales en 2 lots distincts. Le premier auprès du libraire qui m'a aussi vendu les 3 volumes. Il y avait 8 illustrations originales, complétée de deux illustrations qui ne provenaient pas de cette série. J'ai trouvé les 3 autres illustrations qui m'ont permis de compléter la série à la galerie "Au bonheur du Jour".

Pour conclure ce message, je trouve qu'il y a une "correspondance" entre ce  dessin, représentant Fredi et Xavier  :


et cette photographie de ma collection :


Les Éphèbes, de Guy Lévis Mano, réédition GayKitschCamp

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J'ai le plaisir d'annoncer la parution de la réédition des Éphèbes, de Guy Lévis Mano, initialement publié en 1924. J'en ai établi le texte sur l'édition originale et rédigé une présentation.



C'est un recueil de poèmes homosexuels publiés par Guy Lévis Mano à l'âge de 19 ans. Ils sont illustrés par Gaston Poulain, sous le pseudonyme de Lucien Lovel. J'ai d'ailleurs identifié ce Gaston Poulain, dont on ne savait rien jusqu'à maintenant, tout du moins sur la première partie de sa vie où il a beaucoup collaboré avec Guy Lévis Mano. J'ai déjà eu l'occasion de parler des Éphèbes sur ce blog : cliquez-ici.

En rééditant ce livre, je mets ainsi à disposition des poèmes quasiment impossibles à trouver (l'édition originale est fort rare). Cela permet de constater, une fois de plus, qu'il était possible d'exprimer publiquement un sentiment homosexuel dans les années 20, même si l’œuvre est restée très confidentielle :

« Je connus son corps impeccable, tout ce que contient d'épuisant, d'âpre, la caresse de mâle à mâle. Je restai troublé dans la régulière sérénité de ma vie normale, mais je résistai. Et nous ne nous aimâmes plus que d'amitié.
[…]
Tes lèvres sont dans mes lèvres. Ton corps je l'étreins parfois... les soirs où je vais « plus tendre que les caresses de femme ». Les roses rouges sont sur le granit de ta tombe, mon étrange ami, et tes poèmes – quelques-uns – sont ici. Ton nom reste ignoré. Ainsi tu l'as voulu... »

J'espère aussi que cela permettra à certains de découvrir Guy Lévis Mano, riche et complexe personnalité, qui est surtout connu pour son activité d'éditeur, imprimeur et typographe. Ces quelques poèmes appartiennent à la première partie de sa vie. Ils ont été parfois oubliés par certains de ses biographes. Il en a lui-même jamais parlé. Pour découvrir Guy Lévis Mano, je vous renvoie sur le site très bien fait de l'Association Guy Lévis Mano : www.guylevismano.com.

L'ouvrage est disponible aux Mots à la Bouche à Paris (il est en vitrine, avec une autre nouveauté de GayKitschCamp : Une Folle à sa fenêtre, Michel Cressole, et un ouvrage récent publié par Nicole Canet : Garçons de Joie) :



Il peut être commandé directement auprès des éditions GayKitschCamp (que je remercie au passage de m'avoir permis de publier ce livre) :

Chèque à l’ordre de GKC
À envoyer à Patrick Cardon, 5 rue du Pavillon, 34000 Montpellier
ou chez les libraires de Paris Les Mots à la bouche et Violette and co

ou par paypal à gaykitschcamp@gmail.com

gaykitschcamp.blogspot.com

Le bel âge, André du Dognon, 1958

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André du Dognon est un écrivain mineur de la culture homosexuelle, mais il est la preuve que l'on pouvait écrire et publier des textes sur l'amour des hommes dans les années 1950. Paru en 1958, ce livre ferme la trilogie des Amours buissonnières, dont le premier ouvrage a paru en 1948. La lecture du Bel Age - je ne connais pas les deux autres ouvrages - m'a convaincu qu'André du Dognon ne risquait pas de choquer les bonnes âmes de l'époque tant pas sa prudence dans la description des sentiments amoureux, que par son évocation très allusive des scènes d'amour physique. Quant à une réflexion sur la dimension morale, voire politique, de l’homosexualité, ce n'était guère le moment. C'était probablement le prix à payer pour être édité et ne pas être interdit. Tout le monde ne peut pas être Eric Jourdan.

Cet ouvrage a été publié par les Éditions du Scorpion, fondées par Jean d'Halluin, une maison d'édition innovante et favorable aux jeunes talents. Rappelons que leur coup d'éclat a été la publication du premier livre de Boris Vian, sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, J'irai craché sur vos tombes.


Le dessin de couverture est signé par Jean Boullet. L'éditeur avait déjà fait appel à lui pour illustrer le livre de Boris Vian. André du Dognon le connaissait sûrement et l'avait croisé à Arcadie. Jean Boullet nous donne ici une de ses images presque archétypales de la beauté masculine comme il les affectionnait. 

Pour vous faire découvrir cet auteur, j'ai choisi ces deux extraits, qui nous donnent une idée de son style. On voit aussi les limites que l'auteur s'est imposé pour rester dans les bornes de la décence et peut-être du bon ton.
Cette phrase : « les canards sont toujours là » avait pour moi une signification particulière. Jimmy me l'avait dictée en me disant qu'elle avait un sens caché. Elle voulait dire: « Tu peux venir à Chanage, il y a un garçon pour toi! ». Cette révélation m'avait empli le coeur d'une douce émotion en même temps que d'une certaine crainte car Jimmy avait ajouté que Ralph Tenceville exigeait ce que j'appelais alors le sacrifice supérieur, le don suprême auquel je ne m'habituai que par la suite et que ce sacrifice, étant donné que la nature n'avait pas été ladre avec lui, n'était pas sans inconvénients. J'en étais malade rien que d'y penser, un peu comme une jeune vierge qui est attirée par la virilité autant qu'elle la redoute.


Quand je reçois mes visites, Nouar passe et repasse selon les besoins de son service et me jette des regards furtifs. Le sous-officier de qui il faisait la chambre avec beaucoup de soin fermait les yeux quand il parvenait à m'y attirer. De silencieuses caresses me liaient à ce grand corps brun qui, un jour, rentra malade alors qu'il était allé au bordel. D'abord, il avait paru m'éviter pour simuler une simple fâcherie et il avait réussi à piquer ma curiosité, puis je fus instruit de son état par un autre infirmier et quand je montrai à Nouar que je savais le secret de sa froideur, il rougit sous son hâle, ne sut plus où se cacher et, de loin, surveillait les allées et venues des autres infirmiers quand ils m'appelaient.
Comme je me sens bien quand j'ai trouvé ma place dans le plaisir d'un plus fort ! Comme je me sens, alors, en règle avec l'humanité !
« Vous aimez le péché... », m'écrivait mon confesseur dans sa dernière lettre, et maman, à
qui je l'avais donnée à lire, soulignait cette phrase à mi-voix. J'aime si peu le péché que je ne fais l'amour qu'avec des gens qui ne pensent pas.
C'est un auteur aujourd'hui bien oublié, coincé, si j'ose dire, entre les grandes figures contemporaines, comme Gide ou Genet, et la nouvelle génération des années 1970. Je reproduit la notice de Didier Eribon dans le Dictionnaire des cultures Gays et Lesbiennes, qui est, à ma connaissance, la seule synthèse existante sur sa vie. On trouve des informations similaires dans le livre de Julian Jackson sur l'histoire d'Arcadie.
Du Dognon André
André Du Dognon de Pomerait
Écrivain français (Nancy, 1910 - Paris, 1986)
Figure, avec son ami Jacques de Ricaumont, du Paris gay mondain des années 1950 et 1960, André Du Dognon fait partie, avec lui, du groupe qui soutient en 1954 la fondation d'Arcadie par André Baudry (il signe un article dans le premier numéro de la revue). Publié en 1948, son roman les Amours buissonnières peint la vie gay des années 1930 à Montmartre et le mélange des classes qui s'y opérait. Le personnage principal, aristocrate de vingt-quatre ans, efféminé et maquillé, vit une relation amoureuse avec un ancien marin qui se prostitue après avoir fait de la prison pour insubordination. À la fin de l'ouvrage, la jeune « beauté d'azur» (terme employé ici pour désigner les homosexuels masculins) tente de se suicider, car son amant, qui est «normal», est attiré par une femme. Le jeune homme survit pourtant et on le retrouve dans le Monde inversé (1949), qui décrit cette fois les milieux gays privilégiés sous l'Occupation, où l'envie de coucher avec des soldats allemands l'emportait largement sur les sentiments patriotiques. Un troisième volet, le Bel Âge, clôt, en 1958, la série des Amours buissonnières. En 1950, Du Dognon fait publier et préface le récit de Philippe Monceau le Dernier Sabbat de Maurice Sachs, dont la fin, sur la mort de Sachs, sera contestée par d'autres témoignages. Il est également l'auteur de Peyrefitte démaquillé (1976), biographie plutôt acerbe de l'auteur des Amitiés particulières, dans laquelle on trouve de nombreux renseignements sur l'histoire gay du XXe siècle.
Malgré mes recherches sur Internet ou dans ma documentation, je n'ai pas trouvé de photo d'Anré du Dognon. Je reproduis donc l'image de fort mauvaise qualité qui est en 4e de couverture :


Jacques Ars se montre beaucoup plus enthousiaste que moi, mais c'est à propos d'un livre d'André du Dognon que je ne connais pas, L'Homme-orchestre. Je vous renvoie vers sa bibliographie : cliquez-ici.

Gaston Goor, à la galerie "Au Bonheur du Jour"

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C'est avec plaisir que je relaie l'annonce de la nouvelle exposition de Nicole Canet en sa galerie "Au Bonheur du Jour".



La Galerie Au Bonheur du Jour présente une nouvelle exposition du grand peintre illustrateur, décorateur et sculpteur Gaston Goor (1902-1977), peu connu du grand public mais qui fit de nombreuses œuvres très inspirées de la Renaissance italienne.
Il réalisa des décorations dans divers lieux : l’usine des montres Lip à Besançon, la Maison Jansen, rue Royale à Paris, des projets de maquette pour la mythique montre suisse Cyma Tavannes. Il rencontra le maréchal Lyautey au Maroc qui lui commanda des dessins pour l‘Exposition coloniale de 1937. Il eut beaucoup de demandes pour de grands décors dans des villas, des restaurants, des sujets religieux dans des églises. Il réalisa, entre autres, la sculpture d’un sphinx pour l’héroïne de la Belle et la Bête, Josette Day.
Et bien sûr, pour son plaisir, il dessine des corps de garçons parfois dans de magnifiques paysages méditerranéens, d’autres s’amusant entre eux allégrement avec toute la fraîcheur des adolescents à l’érotisme presque naïf des corps baignés par la mer et le soleil, dans le goût du peintre Henry Scott Tuke, en passant par le joyau que sont les pastels pour Musa Païdike (la muse garçonnière), qu’il réalisa vers 1950.
La belle découverte sera deux grands panneaux décoratifs peints par Goor, recouvrant des portes, l’une représentant Apollon et Hyacinthe et l’autre Diane Chasseresse, deux merveilles qui se trouvaient dans l’appartement de Goor et de son dernier ami.
Une cinquantaine d’œuvres seront présentées dans cette exposition, suscitant émotion et beauté.
D’autres surprises vous attendent dans un petit boudoir aménagé en cabinet de curiosités, pour des coups de cœur inattendus.


Un dessin d'Umberto Brunelleschi

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Il s'est vendu récemment une édition de Phili, ou par-delà le bien et le mal, du célèbre et oublié Abel Hermant, dans une édition de 1921 illustrée par Umberto Brunelleschi.

L'exemplaire est complété d'une gouache originale :


Je n'ai fait de recherches ni sur Umberto Brunelleschi (on lit partout la même chose, c'est-à-dire le contenu de la notice Wikipédia), ni sur ce roman d'Abel Hermant. Est-il justifié de représenter ce Phili dans une pose aussi efféminée ? Je ne sais. Cette gouache m'a amusé. Je sais que, pour certains, une telle représentation d'un homosexuel est homophobe. J'assume.

Ecce Homo, Le Caravage

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Il se tient actuellement à Paris une belle exposition au musée Jacquemart-André : "Caravage à Rome, amis & ennemis". C'est la chance de pouvoir voir quelques Caravage dont on connaît les représentations, mais que l'on a difficilement l'occasion de voir en réalité, sauf à faire la tournée des musées du monde. C'est comme cela que nous est donné un voir un tableau, peu connu, représentant le Christ devant Ponce Pilate : Ecce Homo, un thème souvent traité dans l'iconographie religieuse. Peut-être avais-je déjà vu ce tableau (j'ai lu plusieurs livres sur le Caravage), mais je n'y avais pas prêté attention. Devant moi, malgré les mauvaises conditions de visite (des salles petites et une fréquentation à la limite du supportable), je suis resté ébloui devant ce tableau qui met en scène un Christ frêle et jeune (Le Caravage n'a pas représenté un homme de 33 ans, dans la force de l"âge comme le voudrait l'iconographie traditionnelle). Ce beau jeune homme exprime toute la fragilité de la beauté devant les forces obscures ou aveugles que représentent Ponce-Pilate, qui nous montre le Christ du doigt, et le soldat, un peu voyou, qui est prêt à le couvrir d'un manteau.


Dans cette exposition, le côté "voyou" du Caravage est largement mis en exergue, en rappelant ses bagarres, ses condamnations, ses exils, etc. En revanche, la sensualité du Caravage au moment de représenter le corps masculin est complètement occultée. Regarder ce tableau sans voir ce Christ avec le regard attendri du Caravage sur ce corps souffrant et beau, c'est manquer une part de la force de cette peinture.

Le neveu de Delacroix

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J'ai découvert l’existence d'un neveu d'Eugène Delacroix, dont le portrait vient d'être vendu à New-York cette semaine :


La notice de la Gazette de Drouot donne quelques informations (qui sont essentiellement extraites de la notice en anglais : cliquez-ici) :
Ce fier jeune homme se trouve être le neveu d'Eugène Delacroix, Charles de Verninac. Fils unique de sa sœur Henriette de Verninac, connue des esthètes pour son portrait peint par Jacques-Louis David, conservé au Louvre, il est son cadet de seulement cinq ans. L'artiste a donc représenté pour le jeune Charles un grand frère et mentor davantage qu'un oncle. Les deux parents nourrissaient une très grande affection mutuelle. Ici, Delacroix l'a immortalisé durant l'hiver 1825-1826 dans une propriété d'Augerville appartenant à son cousin. Après des études de droit complétées à Paris, Charles intègre le corps diplomatique en 1829 et part pour diverses missions à travers le globe, de Malte au Chili. Sur les mers qui le ramènent en France en 1834, il contracte la fièvre jaune ; son bateau est mis en quarantaine au port de New York, où il rend son dernier souffle le 22 mai de cette même année. La douleur fut immense pour Delacroix qui, depuis la mort de sa sœur Henriette sept ans plus tôt, n'avait plus d'autre parent proche. Jusqu'à son propre décès en 1863, le peintre conservera trois portraits de son cher neveu, dont l'un accroché au-dessus de son lit. La présente version accompagnait Charles de Verninac à bord de sa dernière demeure ; elle est vendue avec l'ensemble de ses effets personnels pour payer son enterrement sur le port de New York, et n'a jamais, depuis lors, quitté les États-Unis. Aussi est-elle considérée comme la toute première peinture de Delacroix présente sur le sol américain.
Comme moi, vous avez lu : "le peintre conservera trois portraits de son cher neveu, dont l'un accroché au-dessus de son lit".

Il existe un mystère sur la sexualité de Delacroix. De cette mention et du plaisir qu'il semble avoir pris à photographier de belles plastiques masculines, je n'irais pas jusqu'à conclure sur une éventuelle homosexualité de Delacroix, comme le fait Michel Larivière en l'incluant dans son dictionnaire des homosexuels célèbres.

Dans son Journal (5 octobre 1855), Delacroix dit : « Je regarde avec passion et sans fatigue ces photographies d’après des hommes nus, ce poème admirable, ce corps humain sur lequel j’apprends à lire et dont la vue m’en dit plus que les inventions des écrivassiers. » J'avais consacré un message (cliquez-ici) à cette fascination de Dalacroix pour le corps masculin, à travers une série de photographies, dont j'extrais celle-ci :


Ce lien très fort entre Delacroix et son neveu me rappelle celle de Beethoven pour son neveu Karl, qui a fait l'objet d'un ouvrage que j'ai autrefois lu : Beethoven et sa famille, par Editha et Richard Sterba. Là-aussi, n'en tirons pas de conclusions. Soyons sensibles à cet attachement profond de Delacroix et Beethoven pour ces garçons dont ils se sentaient en même temps proches et responsables.

Quelques ouvrages de la bibliothèque de Pierre Bergé

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La prochaine vente de la bibliothèque de Pierre Bergé nous réserve encore quelques belles surprises. Aujourd'hui, je voudrais m'attarder sur les quelques ouvrages qui concernent plus particulièrement l'homosexualité. En effet, trois ouvrages appartiennent clairement à la culture gay : Corydon, d'André Gide, le Livre Blanc, de Jean Cocteau et Pompes Funèbres, de Jean Genet. Comme toujours dans cette bibliothèque, ce sont des ouvrages d'exception.

Le Corydon d'André Gide



L'exemplaire du Corydon est un des 12 (ou 22) exemplaires de la première édition non mise dans le commerce, qui a paru en 1911. Dans la préface de la 2e édition, en 1920, Gide affirme que les exemplaires « de ce premier tirage furent remisés dans un tiroir - d'où ils ne sont pas encore sortis. » C'est un de ceux-là qu'André Gide a offert en octobre 1945 à Pierre de Massot, un écrivain et une personnalité un peu oubliés aujourd'hui, dont j'ai eu l'occasion de parler à propos de son livre : Mon Corps, ce doux démon (cliquez-ici). Ce que ne dit pas la notice du catalogue Pierre Bergé est que Pierre de Massot a été le secrétaire d'André Gide.


Dans cette dédicace, André Gide parle d'une « première édition, incomplète ». En effet, « Le Corydon ne comprenait alors que les deux premiers dialogues, et le premier tiers du troisième. Le reste du livre n'était qu'ébauché. » Il a fallu attendre la deuxième édition de 1920, pour disposer du texte complet, en quatre dialogues. J'ai la chance de posséder un exemplaire de cette deuxième édition que je présente ici.

Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 925.

Le Livre Blanc de Jean Cocteau

Autre ouvrage majeur du dévoilement homosexuel, la première édition du Livre Blanc a aussi paru hors commerce, dans un tout petit tirage de 31 exemplaires. C'est un de ces exemplaires qui est présenté lors de cette vente, avec un beau et classique dessin de Jean Cocteau :


Il a été publié anonymement en 1928 :


On connait ces célèbres phases de début :
Au plus loin que je remonte et même à l'âge où l'esprit n'influence pas encore les sens, je trouve des traces de mon amour des garçons.
J'ai toujours aimé le sexe fort que je trouve légitime d'appeler le beau sexe. Mes malheurs sont venus d'une société qui condamne le rare comme un crime et nous oblige à réformer nos penchants.
Dans la notice du catalogue de la vente, il est rappelé cette anecdote qui lie l'histoire de Pierre Bergé à celle de cet ouvrage :
Dans un entretien avec Laure Adler filmé à l'occasion de la première vente de sa bibliothèque en 2015, Pierre Bergé rappelait que, jeune homme, il avait reçu par la poste à La Rochelle une copie manuscrite de la confession de Cocteau avec mission d'en exécuter à son tour d'autres et de les adresser à des personnes de son choix : « C'était comme une chaîne d'amitié qu'on vous demandait d'écrire. [...] J'ai réécrit le Livre blanc, à deux ou trois exemplaires, et je les ai envoyés à mon tour. C'est une chose que je ne peux pas oublier, cette chaîne amicale, qui était plus qu'amicale, dans ce cas-là, puisqu'il s’agissait d'une libération sexuelle. Ce faisant, on avait le sentiment d'accomplir un acte à la fois courageux et nécessaire. »
En ces années-là, il n'existait pas d'édition courante de ce texte. Il était introuvable et donc impossible à lire. C'est un beau témoignage de comment la subculture homosexuelle arrivait à braver les interdits ou l'opprobre.

C'est surtout la deuxième édition du Livre blanc, parue en 1930, qui est connue. Elle est illustrée par de beaux dessins de Jean Cocteau. De plus, elle a paru dans un tirage plus conséquent de 450 exemplaires, ce qui rendait le texte un peu plus accessible. J'ai décrit un exemplaire de cette deuxième édition ici.

Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 943.

Pompes funèbres, de Jean Genet

Enfin, le troisième ouvrage qui a retenu mon attention est le manuscrit de Pompes funèbres de Jean Genet, le « seul manuscrit autographe connu dans la continuité romanesque. ». C'est un témoignage sur la création romanesque chez Jean Genet, pour ce roman que le catalogue de la vente qualifie de « soleil noir de l'œuvre de Jean Genet. » C'est un texte difficile et âpre, puissant comme tous les textes de Jean Genet. De mon point de vue, il marque l'aboutissement ou le point limite de la démarche de Jean Genet. Dans mon appréciation du parcours littéraire de Jean Genet, je me suis arrêté avant. Il faut tout de même souligner le courage de l'éditeur pour avoir publié, même anonymement, ce texte dérangeant sur la fin de la guerre de 1940.


Jean Genet a lui-même noté : « Je certifie que le manuscrit de mon livre Pompes Funèbres est le seul existant. Il se compose de 7 cahiers. A Paris le 15 septembre 49. Jean Genet. »

L'histoire du manuscrit illustre un autre aspect de la subculture homosexuelle, celui des amateurs fortunés de livres et de garçons, en l'occurrence Jacques Guérin et Gérard de Berny que « le goût de la bibliophilie et des garçons réunissait. ». C'est ce dernier qui a fait magnifiquement relier ce manuscrit :


La vente contient aussi un exemplaire de la première édition de Pompes Funèbres, parue en 1947 « A Bikini, aux dépens de quelques amateurs  », autrement dit à Paris, chez Gallimard.


Lien vers les notices du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 948 et lot n° 949

Je n'ai jamais décrit l'exemplaire que je possède de la première édition. Il est aussi remarquable par sa belle reliure signée Tchékéroul :


Quelques autres lots

Au gré des 130 autres lots de cette vente, j'ai retenu ces 3 ouvrages :



L'édition originale de Salomé, d'Oscar Wilde, parue à Londres en 1893, avec un envoi à André Gide. Le catalogue rappelle la rencontre entre les deux hommes :
La rencontre d'Oscar Wilde fut, pour André Gide, capitale. Ils firent connaissance en novembre 1891: Wilde était alors âgé de 37 ans, Gide avait 22 ans. Le jeune homme fut fasciné: « L'esthète Oscar Wilde, ô admirable, admirable celui-là » confesse-t-il à Paul Valéry. Il porte peu après dans son Journal un jugement plus sévère: « Avec lui, j'avais désappris de penser. » Leur nouvelle rencontre en Algérie en 1895, dont Gide fit le récit dans Si le grain ne meurt, devait bouleverser la vie du romancier : grâce à Wilde qui joua le rôle d'entremetteur, Gide put devenir ce qu'il était. « Depuis, écrit-il plus tard, chaque fois que j'ai cherché le plaisir, ce fut courir après le souvenir de cette nuit. » (Oscar Wilde, Paris, Musée du Petit Palais, 2016, p. 229.)
Gide fut, avec Robert Ross, l'un des rares à rester fidèle à Oscar Wilde à la fin de sa vie. Après sa mort, il lui consacrera un livre poignant, paru au Mercure de France (1910): Oscar Wilde, in memoriam (Souvenirs).
Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 912.


L'édition originale des Nourritures terrestres, d'André Gide, 1897. Un livre capital, un peu oublié aujourd'hui, dont l'influence a été majeure. Si l'homosexualité n'est pas nommément citée, tout le discours de libération que porte ce texte peut être un appel à vivre sa sexualité.

Cet exemplaire porte un envoi à Paul Valéry.

Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 915.


L'édition originale de Du Côté de chez Swann, de Marcel Proust, 1913. En plus d'être le n° 1 du tirage de tête des 5 exemplaires sur Japon, ce qui rend cet exemplaire particulièrement exceptionnel est qu'il porte une longue dédicace de Marcel Proust à Lucien Daudet :


Transcription :
Mon cher petit vous êtes absent de ce livre : vous faites trop partie de mon cœur pour que je puisse jamais vous peindre objectivement, vous ne serez jamais un "personnage", vous êtes la meilleure part de l'auteur. Mais quand je pense que bien des années de ma vie ont été passées "du côté de chez Lucien", de la rue de Bellechasse, de Bourg-la-Reine, les mots "le Temps perdu" prennent pour moi bien des sens différents, bien tristes, bien beaux aussi. Puissions-nous un jour le "retrouver". D'ailleurs pour vous qui avez peint la pagode de Chanteloup et les roses de Pâques tout est retrouvé et sera éternellement gardé.
La notice du catalogue rappelle les liens d'amours, puis d'amitiés qui lièrent Proust et Lucien Daudet. Elle raconte aussi l'histoire de cet exemplaire, qui s'est trouvé un moment séparé de ce feuillet de dédicace, jusqu'à leur réunion dans la bibliothèque de Pierre Bergé.

Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 927.

Photos glanées

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GEORGE PLATT LYNES (1907-1955)
Henri Cartier-Bresson, with Bones.


 GEORGE PLATT LYNES (1907-1955)
Self-portrait with Chuck Howard


GEORGE PLATT LYNES (1907-1955)
Paul Cadmus Drawing Ralph McWilliams.


WILL MCBRIDE (1931-2015)
Mike in the shower, Salem (1962

Jeunesse, Julien Green, 1974

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Partir à la recherche des beaux livres n'est pas seulement le plaisir de trouver un bel exemplaire. C'est aussi renouer avec tous ces textes que j'ai aimés et qui ont peu à peu construit la personne que je suis aujourd'hui. Dimanche dernier, j'ai fait l'acquisition d'un exemplaire de l'édition originale de Jeunesse, de Julien Green, dans une reliure soignée et surprenante, avec ce beau papier coloré sur les plats. Jeunesse, publié en 1974, forme avec Partir avant le jour, Mille chemins ouverts et Terre lointaine, l'autobiographie de Julien Green qui a ensuite été publiée sous le titre : Jeunes années.


En achetant de beaux exemplaires de ces livres que je présente sur ce site, c'est pour moi une façon de m'approprier ou me réapproprier des textes que j'ai aimés et que j'ai parfois oubliés. Au plaisir de trouver un bel exemplaire, qui est déjà en soi un but à cette quête, tant il est agréable d'avoir en mains le beau résultat du travail soigné d'un imprimeur et d'un relieur, il y a le plaisir encore plus indicible de matérialiser des sentiments, des impressions.  C'est en cela qu'une bibliothèque n'est pas seulement une collection de livres, mais une sorte de musée tangible, mais seulement pour moi, de ce que j'ai été et de ce que je suis. Et quand je reprends en mains ces livres, que je les touche dans leur matérialité, c'est comme si je donnais corps à ces sensations perdues qui m'avaient habité à la lecture de ces textes.

Ces souvenirs ravivés à l'occasion de l'acquisition de cet ouvrage peuvent aussi me revenir à la mémoire à la seule vue des livres de poche dans lesquels j'ai découvert ces belles pages de Julien Green. C'est ainsi que j'ai exhumé les deux modestes livres de poche que j'ai achetés à l'été 1985, comme l'atteste une note de ma main. Aussi curieux que cela puisse paraître à certains, ces deux couvertures sont, en elles-mêmes, partie intégrante du souvenir. N'ont-elles pas, par l'intelligence de leur choix, participé au plaisir que j'ai eu à lire ces livres et à la puissance du souvenir que j'en ai gardé ? Il s'agit de deux peintures de Paul Cézanne, la première représentant son fils Paul et la seconde les Baigneurs.





Autant que je m'en souvienne, j'ai lu ces deux tomes avec avidité, comme je lisais à l'époque. Je ne les ai pas rouverts depuis, mais je garde vivantes en moi les impressions que j'ai ressenties à l'époque. Le temps a passé, mais le souvenir reste présent.

Feuilletant l'ouvrage, j'ai trouvé ce passage, qui me restitue tellement ce que j'ai aimé lorsque j'ai lu ces pages il y a plus de 30 ans.
Un jour de printemps, une lettre m'arriva qui me fit battre le cœur à grands coups. Je la lus plusieurs fois dans ma chambre. Mark allait venir à Paris. Il comptait passer plusieurs mois en France et je pouvais m'attendre à le voir au début de juillet. J'eus l'impression subite qu'il était devant moi et que j'entendais sa voix en lisant les phrases de cette lettre. Sans doute porterait-il son costume marron et sa chemise assez largement ouverte pour laisser voir son cou rond, lisse et blanc. Le désordre qui se fit dans ma tête, je ne peux plus que l'imaginer, mais je me souviens qu'il me fallut du temps pour me remettre et que la journée se perdit en rêves.
A présent, j'étais sûr que je trouverais le courage de lui avouer mon amour. Il apportait une lumière dans ma vie. Désormais je ne courrais plus. Il me guérirait du vice, il me sauverait. Je lui écrivis une lettre, mais elle était délirante et je la mis de côté. Une autre plus calme, plus raisonnable, me parut froide et fut déchirée. Après une dizaine de brouillons, je produisis une page d'un ton cordial et viril que je jugeai idiote et qui partit néanmoins. Comment saurait-il que j'avais moulé l'adresse et particulièrement son nom avec un soin frénétique, si ces mots peuvent s'allier, et que j'avais porté l'enveloppe à ma bouche et à mon cœur plus de fois que je n'aurais osé dire ?
Il y avait, hélas ! une ombre sur tout cela. Mark ne venait pas seul. Je connaissais à peine son compagnon. Comment ferais-je pour l'éloigner? Je ne pouvais espérer qu'en mon étoile. Or, je croyais en elle avec force.

Ce style et ces sentiments un peu surannés avaient, à l'époque, une très grande force sur moi. Aujourd'hui, c'est avec émotion que je retrouve ces sentiments perdus. En relisant ces lignes, je me dis qu'il y a une forme de fidélité à soi-même à travers le temps. J'aime aussi que le hasard qui m'a fait croiser ce bel exemplaire de Jeunesse, soit pour moi l'occasion de rouvrir ces pages que je n'ai pas lues depuis cet été de ma propre jeunesse.

Au gré de mes découvertes

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Firmin Massot (1766-1849) : 
Portrait présumé du prince Paul Antoine III Esterházy
Présenté par la galerie Hubert Duchemin : voir notice.


Charles Malfray (1887-1940) :
La douleur d'Orphée dit " le Chant du Poète "
Modèle de 1914


Jean Jacques Feuchère (1807-1852) : Satan, l'Ange déchu 1833




Une Folle à sa fenêtre, de Michel Cressole

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Les éditions GayKitschCamp viennent de publier une nouvelle édition d'Une Folle à sa fenêtre, de Michel Cressole. Il s'agit d'un recueil de chroniques parues sous ce titre dans Un Autre journal, entre 1990 et 1992, date du décès de Michel Cressole du SIDA.



Je conseille la lecture de ces chroniques d'un autre temps. J'ai particulièrement aimé celle-ci que je me permets de reproduire. Il se trouve aussi que c'est la dernière qu'il a écrite.
En 1991,
elle fut folle des guerriers maraudeurs du Libéria sous leur perruque de travers, nègres vénitiens dont la torche serait un fusil-mitrailleur. Elle aima presque autant les miliciens serbes adolescents aux joues de sorbet, enroulés dans la fourrure du renard dont le jeune Spartiate de la légende a supporté la morsure. Il lui semblait barbare de ne voir en eux que des barbares. Ils avaient poussé sauvages parce que sa bouture leur manquait. Puisqu'ils faisaient figure d'affreux et qu'ils servaient de repoussoir, elle avait l'exclusivité sur leur beauté et leurs charmes ne jouaient que pour elle. 1991 : année impossible, où la Folle fut portée à l'adoration des garçons les moins disposés à l'apprécier. Où elle se sentait vengée par eux, tout en sachant qu'ils ne manqueraient pas de la piétiner à son tour. Elle entendait qu'on parlait d'elle chaque fois qu'il était question d'offrir aux vagabonds l'abri d'une « tente chauffée ».
À l'instant, juste avant d'en arriver là, la Folle a croisé dans le métro un de ces garçons qu'on dit perdus parce qu'ils ne lui tiennent pas la main. Un voyou de velours, blond coron, les lèvres comme deux carambar à la framboise. Il était furibard. Un pied dans le plâtre, il descendait les marches une à une embarrassé par deux béquilles. Mauvais comme une femme qui porte un bébé qui hurle. Son plâtre donnait un air inachevé à sa statue. Il en faisait l'offrande à chaque marche pailletée, où il déposait son fardeau comme s'il risquait d'exploser. Intouchable, il devenait le comble de la disponibilité, dans son ralenti de cassette porno, ligoté au portique de ses béquilles. La Folle, à son habitude, a vécu son histoire avec lui dans un coup d'œil de quatre secondes. Elle était au bas de l'escalier, quand il lui cria : « Tu m'as regardé, je vais te planter ». C'était comique, comme s'il lui demandait de l'attendre. Comme s'il allait jeter ses béquilles pour dévaler les marches à sa poursuite, comme si la Folle faisait des miracles, d'un seul regard.


Cette édition contient un beau texte d'Hélène Hazera sur Michel Cressole, mais aussi sur elle-même et sur une époque. Elle avait d'ailleurs écrit son portrait dans Libération, le lendemain de son décès :
Michel Cressole, journaliste à «Libération», est mort hier du sida. Le journal de Michel s'est achevé.
Vers la fin des années 70, Michel Cressole avait livré dans une revue des nouvelles d'une si jolie facture qu'elles lui valurent les compliments de Roland Barthes. Plus tard, quand il se fut engagé dans le journalisme, des amis lui reprochèrent: n'aurait-il pas fait mieux de poursuivre une vraie œuvre «littéraire». Michel, grand collectionneur de journaux intimes, répondait qu'être journaliste c'était justement tenir un journal. Qu'en retrouvant ses vieux articles, on pourrait retracer ses intérêts, ses curiosités, au fil des jours.
Avant d'esquisser le portrait du journaliste, il faut parler de Michel. Il est né en 1948 dans un petit village du Bourbonnais, à une vingtaine de kilomètres de Roanne. Un ami d'enfance se souvient de lui organisant des séances de guignol très élaborées dans son jardin. A dix ans, on l'envoie en pension à Roanne. Adolescent, il y découvrira les amours masculines, elles seront exotiques: l'autre garçon est vietnamien.
Quand viendra le moment du choix, Michel choisira de monter à Paris plutôt que Lyon. Ceux qui connaissent l'austérité de Michel ne s'étonneront pas d'apprendre qu'il a milité un moment dans les rangs trotskistes de Voix ouvrière... mais Jean Genet le marque plus que Marx.
A Paris où il suit des études de lettres, Michel jette sa gourme et choisit de ne pas cacher ses goûts. Dans la vague libertaire de Mai 68, des féministes et des homosexuels créent le Front homosexuel d'action révolutionaire (Fhar). Michel s'y précipite. C'est là qu'il rencontre ¬ entre autres amis ¬ Guy Hocquenghem: chacun était intéressé par l'amant de l'autre. Il n'y aura jamais de commerce charnel entre Michel et Guy, mais une longue et parfois orageuse amitié. L'appartement de Michel, vers Odéon, devient une petite annexe du Fhar. Toutes sortes de conduites délictueuses s'y épanouissent, au milieu de cubes design pleins de livres. Michel poursuit ses études, fait le prof à l'université, grande mèche blonde et boucle d'oreille en plastique, travaille pour des encyclopédies, voyage, parfois avec Guy. Chineur il se constitue une bibliothèque étonnante, autour de l'exotisme, du monde noir, de l'homosexualité, de l'aristocratie...
C'est Guy Hocquenghem qui fit entrer Michel à Libération, en 1978; pour l'aider à tenir la rubrique télévision, qui, vite, devint une des pages les plus prisées du journal. Michel tenait à ce que l'on sache que Roland Barthes, rencontré dans un sauna devant un show de Claude François à la télévision mais qui ne fut qu'un ami, lui avait prodigué de très pertinentes leçons d'écriture.
Michel ricana quand quelqu'un écrivit de lui «le journaliste homosexuel Michel Cressole». Comme s'il était le seul! Simplement, comme un Jean Lorrain jadis, Michel ne cachait pas ce qui n'a pas à être caché: ses goûts devenaient une grille de lecture du monde. Qui d'autre que lui aurait pu écrire ces pages sur Haïti au derniers temps du duvalierisme («Haïti chérie et maudite»), avec notamment une description féroce d'une maison de passe pour touristes blancs amateurs de garçons noirs. Parce qu'il sut écrire extrêmement bien de la mode, certains pensent d'abord à lui pour ça. Mais une plongée dans les archives de Libération oppose un démenti. Michel a écrit les premiers articles parus en France dans la presse quotidienne sur V.S. Naipaul, en qui il retrouvait la même haine des clichés tiers-mondistes sur l'Afrique et les pays en voie de développement. Michel Cressole a réalisé un grand reportage sur les sans-abris à New-York, avec son amie la photographe Martine Barrat, il faisait régulièrement partager ses lectures à la rubrique livre du journal... Michel a écrit sur les aristocrates qui le fascinaient, sur le cinéma, sur les jardins, sur la voix de Piaf, sur Barbara, sur Bayreuth, sur la décoration, sur la cuisine, sur le sport (notamment il a suivi tout un Tour de France...), réalisé un numéro spécial sur Jean Cocteau, revenant souvent sur l'Afrique...
Ceux qui n'ont jamais essayé de décrire une robe en quelques lignes, ceux qui ne se sont pas heurté au pouvoir corrupteur du monde de la mode, ne peuvent pas évaluer le travail qu'a effectué Michel. Dans un milieu où l'on passe son temps à déchirer tout un chacun, Michel a su se faire respecter de tous. Michel était fier d'avoir écrit le premier article jamais paru sur Azzedine Alaïa, quand celui-ci était juste une bonne adresse que se refilaient les rédactrices de mode en se gardant bien d'en parler. Ca a aussi à voir avec le journalisme: Michel aimait aider le talent, Michel savait le débusquer, lui donner sa chance, et même à l'occasion le discipliner.
Michel a demandé qu'on ne mette pas sur ses faire-part «Michel Cressole, journaliste». «Je ne veux pas mourir dans la peau d'un journaliste.» Pourtant, tant que ses pas ont pu le porter il est venu travailler au journal.
Il a fait partie de la grande vague d'avant la prévention, qui a emporté tant de ses amis et de ses amants. L'annonce de sa séropositivité, après Hocquenghem, après Copi, après tant d'autres, ne l'a pas surpris. Dans une chronique qu'il tint un moment à l'Autre Journal (Une folle à sa fenêtre) Michel témoignait avec humour et discrétion des humeurs d'une folle ¬ il n'avait pas peur du mot ¬, d'une folle atteinte. Quand le masque de la maladie s'est posé sur lui, il a su le porter avec hauteur. Pour certains, son état de santé fut une raison de l'oublier, d'autres furent fidèles. Mais avec la maladie vint la plus belle des histoires d'amour avec un jeune couturier, Victor. Michel est mort dans ses bras mardi matin. Depuis 1986 c'est le neuvième collaborateur de Libération emporté par le sida.
Il a publié: Deleuze aux Editions Universitaires 1974. Qu'est-ce qu'ils ont de plus que nous aux Cahiers du cinéma 1983. Les Grands Chefs de Rhône-Alpes chez Glénat, 1987. Une folle à sa fenêtre aux Cahiers Gay-Kitsch-Camp 1990. Sur les traces de l'Afrique fantôme aux Editions Maeght, 1991.

Vœux pour l'année 2019

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Lecteurs occasionnels et habituels de ce blog, recevez mes meilleurs vœux pour l'année 2019.

Cette année, j'ai choisi ces deux autoportraits d'Egon Schiele pour ouvrir cette nouvelle page de mes explorations de la culture Gay.



J'ai eu le plaisir, cette année, d'apporter ma modeste contribution à notre histoire en assurant la publication d'un poète oublié de l'amour de "mâle à mâle" :


Voir le message que je lui ai consacré : cliquez-ici.

J'espère que cette année sera l'occasion de vous faire découvrir d'autres trésors cachés.

Je termine ce message de vœux avec cette belle image que j'ai eu le plaisir de dénicher au gré de mes "glanes".


Elle a eu l'heur de plaire pour illustrer les 30 ans de cette belle aventure éditoriale des GayKitschCamp Éditions.


Et pour finir, cette splendeur :


Une reliure de Florent Rousseau

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Un beau texte doit aussi être bien habillé.

Il y a 3 ans, je présentais sur ce blog l'édition originale de L'Enfant criminel, de Jean Genet (cliquez-ici). J'aime ce texte paradoxal. 

J'ai voulu lui donner une parure digne de ce texte. Je l'ai confié au relieur Florent Rousseau, qui m'a remis sa création la semaine dernière :

A gauche : reliure en polymère sur L'Enfant criminel: à droite : chemise.

Elle vient prendre place à côté de cette reliure qui orne Le Captif amoureux, de Jean Genet.


Couverture de L'Enfant criminel

Les Mauvais Anges, Eric Jourdan, 1955

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Le plaisir que je trouve à collectionner les livres s'augmente du plaisir à rouvrir un livre lu il y a longtemps. C'est d'ailleurs toujours un exercice de confronter son souvenir à une nouvelle lecture. Cela en dit souvent beaucoup sur le travail de sélection que fait la mémoire.


J'ai trouvé la semaine dernière l'édition originale des Mauvais Anges, ce livre fameux d'Eric Jourdan, paru en 1955, sur lequel s'est acharnée par deux fois la censure. D'abord en 1955, au moment de sa parution, le thème de l'amour violent et sensuel entre deux adolescents de 17 ans a dû paraître trop osé au censeur. Le paradoxe est qu'au même moment paraissaient les œuvres complètes de Jean Genet avec des textes tout aussi violents et tout aussi sensuels. Plus inexplicablement, en 1974, lorsque l'éditeur voulut publier une nouvelle édition, il affronta de nouveau la censure qui ne leva pas son interdit. Jean-Jacques Pauvert l'attribue à une maladresse de l'éditeur, plus qu'à une sévérité particulière des autorités à ce moment-là.

Après cette première édition de 1955, l'ouvrage n'a paru qu'en 1984 aux Éditions de La Différence. La Musardine en a donné une édition en 2001, préfacée par Jean-Jacques Pauvert et illustrée par ce beau tableau de Henry Scott Tuke. C'est dans cette édition que j'ai lu Les Mauvais Anges pour la première fois, tardivement, en 2003. Le choix de la couverture est particulièrement heureux. 



Ce tableau évoque à la perfection l'atmosphère de chaleur, de lumière et de nudité qui traverse tout l'ouvrage. Et qu'Eric Jourdan excelle à rendre, comme dans ce passage :
Quand j'arrivai dans la salle de bains, Gérard était nu, une dentelle de mousse couvrant sa nuque. Le soleil qui entrait à flots par la fenêtre ouverte faisait scintiller le savon sur sa peau. Gérard sentait la chair fraîche, son sourire était plus éclatant et ses yeux plus tendres comme si cette ablution matinale détruisait l'ombre voluptueuse de la nuit et offrait au jour un dieu enfant. Il s'était tant frotté qu'il était rosé.
Lorsque à mon tour je fus sorti de l'eau, il se peignait, sans vêtements, devant la glace, la chair gonflée par les exercices de force qu'il venait de faire. L'amour m'offrait le garçon le plus beau parce qu'il était venu du fond de mes rêves et qu'en prenant vie, il en avait gardé je ne sais quel éclat mystérieux. Gérard était fait de mes songes.
On connaît l'histoire de ces deux cousins de 17 ans, Pierre et Gérard, qui commencent à vivre près l'un de l'autre, lorsque leurs pères décident de cohabiter après le décès de leurs épouses respectives. Les deux garçons ont 15 ans. Une complicité/confrontation naît entre eux, dans cette proximité physique – leurs chambres à Paris, aménagées dans le grenier, sont contiguës, sans séparation – et leur vie commune de lycéens de Carnot. Tout cela, on l'apprend après, au fil du récit. Le lecteur les découvre dans la première partie - Récit de Pierre - quand ils se trouvent tous les deux, avec leurs pères et une cousine, dans une maison près d'Amboise, proche de la Loire, l'été de leurs 17 ans. Un jour au bord de la rivière, ils font l'amour pour la première fois. Leur histoire commence.
Nous nous dévisagions en silence, le souffle court et retenu, le sang battant dans les tempes, dans les bras, dans les reins. Moi aussi, je devais être beau, car Gérard me contemplait, bouche ouverte.
Quelle lutte obscure dans nos corps, quelle longue lutte de soi contre soi ! La moitié de moi-même était Gérard, l'autre le repoussait. C'était un moment de délice et de torture ; déjà j'imaginais le retour, Gérard marchant tête basse, devant moi, dans la rage d'un après-midi où nous n'aurions point vaincu notre orgueil. Alors, poussé par tout mon sang, je me courbai sur le visage que j'aimais, je franchis l'obstacle chaud de son souffle, et les lèvres entr'ouvertes je sentis sous elles des lèvres qui s'ouvraient. Nous n'osâmes plus bouger, maladroits et fiévreux. J'avais toute sa petite figure sous moi ; Gérard se muait pour mon corps en ces deux lèvres massives que je baisais. De nombreuses fois, nous perdîmes le souffle et nous le reprenions en respirant un air semblable sans nous désunir ; jamais mon cœur ne fut plus grand et jamais la joie ne me parut si proche d'une douleur physique. Mon visage, il l'avait tant baisé, qu'il me semblait fait de dix mille bouches. Nous étions des garçons nouveaux, le passé n'existait plus, notre amitié enlevait son masque de guerre, et lentement, sur nos vrais visages, l'amour allait poser ses mains et nous crever les yeux. Combien de temps restâmes-nous, la bouche collée sur les lèvres de l'autre, dans un attouchement où le moindre geste nous aurait blessés ? Je ne sais, mais ce furent des heures, et quand n'y tenant plus je pensais être dans un autre monde, je sentis de nouveau la langue de Gérard qui cherchait la mienne. Je découvris son palais comme un véritable palais, avec l'émerveillement des enfants dans une demeure mystérieuse, puis je lui cédai ma bouche, et dans la fougue de mon premier désir je roulai à son côté. Nous nous embrassions avec une violence de gladiateurs jouant leur vie. Et toujours, je regagnais sa bouche comme si c'était là, pour jouer encore sur les mots, le seul palais où l'on rendait hommage à notre amour. La salive de Gérard avait une fraîcheur d'eau, mais son baiser la rendait brûlante. D'une voix tellement basse que je dus le lui faire répéter, il me dit : « Tu es beau. » Mon regard lui répondit combien je l'admirais : ce furent nos seuls serments d'amour.
Tout était pareil et tout différent. Le jour d'été n'était plus un jour de vacances près de la rivière, mais le premier jour du monde.
Tout le long du livre, on vit avec eux, depuis ce premier éblouissement jusqu'à la fin tragique, une aventure sensuelle et violente, qui met le lecteur dans un état de tension.

Je n'avais pas gardé le souvenir de la violence omniprésente dans l'ouvrage. C'est la violence des pères, en même temps lointains et sévères. C'est la violence de ce milieu d'estivants riches et bourgeois, travaillés par l'envie et la médisance, qui conduit une voisine à venir dénoncer les garçons à leurs pères : « Je ne savais pas qu'on préparait son bac en baisant son cousin sur la bouche ». C'est la violence de ces milieux de garçons, comme lorsque, pour se venger, les enfants Decazes châtient Gérard au point de le laisser en sang. C'est aussi la violence des deux garçons qui, un soir d'orage, détruisent le potager du père et tuent les rapaces du pigeonnier des Decazes. C'est enfin la violence des deux garçons entre eux. On découvre peu à peu que leurs jeux amoureux comportent une bonne part de sévices, comme lorsque Pierre bat Gérard, dans un acte qui prélude à l'amour.
Nous avions un jeu aux règles insensées dont l'unique but était d'asservir l'autre et d'en faire physiquement ce qu'on voulait. C'était un jeu qui excusait tout. Le parc devenait un territoire où il fallait capturer l'adversaire, car nous étions ennemis, par la ruse. Cette fois, j'agis comme si c'était ce jeu. Avant qu'il se fût défendu, je lui liai les poignets, les attachai à un clou rouillé où l'on accrochait de vieilles selles, et tout à coup je le battis. J'avais détaché ma ceinture et tenais à lui meurtrir les fesses. Que de trouble jalousie dans ce goût de lui faire mal où je l'admirais le plus. Je ne le déshabillai pas, car sur les vêtements les coups brûlaient davantage et j'avais peur de céder trop vite à mes plus basses faims s'il était nu.
« Salaud », répétait-il dans un murmure, « salaud, salaud... » Son accent était le même quand, la nuit, il perdait la tête sous moi. Et sa voix était chaude comme sa peau.
Je le frappai coup sur coup. Il y avait d'abord le long sifflement d'admiration de la ceinture, puis le bruit mat du coup auquel ma respiration heurtée se mariait. Gérard s'arrêtait de respirer, gémissant à peine avant d'être atteint. Il ne bronchait qu'après, si le coup mal calculé rencontrait la peau nue, car je finis par lui arracher la chemise pour voir son dos et lui descendre son Jean sur les chevilles. Je l'aimais entravé, tout entier en ma possession. Une veine brillait à son jarret gonflé, disparaissant chaque fois qu'il s'abandonnait à son douloureux plaisir. Rien ne m'était plus doux que de le caresser là, d'y poser un instant mes lèvres.
Au deux tiers du livre, c'est Gérard qui prend la parole. Ce Récit de Gérard fait suite à celui de Pierre parce que le destin de cette histoire tragique d'amour sera dénoué par Gérard. Il sera le narrateur de cette montée progressive de la violence, de l'exclusion, du plaisir, qui les mènera tous les deux à la mort.

Poursuivant dans cette atmosphère de violence, c'est Gérard qui raconte cet acte de tendresse de Pierre à son égard, après que son père l'a battu.
Pierre s'approcha, se laissa tomber sur le carrelage et posa sa joue fraîche sur cette chair brûlante. Les coups y avaient laissé la trace des doigts. Pierre resta peut-être cinq minutes à me serrer contre lui, il dut oublier que ce n'était pas ma joue qu'il avait sous la sienne, car tout à coup il y écrasa ses lèvres et je devins des pieds à la tête un immense baiser ; la volupté de cet effleurement le multipliait sur tout le corps par les mêmes chemins qu'avait suivis la douleur quand mon père me battait.
Dans la scène finale, sauvage, la soumission renversée de Pierre à Gérard devient presque insupportable, au point qu'elle se termine par une pénétration, inversant au final les rôles dans leurs rapports amoureux.
Alors, l'amour, cachant le sang qui coulait le long des mollets de Pierre et se perdait dans le foin, l'amour, bourreau qui m'avait enseigné les règles du supplice, exaspérant mon sexe après mon bras, me révéla la splendeur de ce garçon à demi couché, qui semblait attendre le viol après mes coups. Sans lâcher la cravache, je m'approchai. Ma sueur était si lourde que j'avais l'impression de briller comme du métal ; la sueur de mon cousin sentait l'amour et je ne savais pas encore qu'elle était rouge. Je lui mordis la nuque de toute la bouche ; et son odeur, l'odeur de ses bras, de sa poitrine, de ses couilles, m'envahit à en perdre la tête.
Ma main reconnaissait Pierre, lentement, de l'épaule jusqu'au ventre et, comme je levais le bras pour renverser sa tête et lui baiser la bouche, l'odeur de son aisselle, fatigue et désir mêlés, acheva de me griser. Puis ces deux odeurs s'unirent et, lorsque mon corps se trouva dans celui de Pierre, autour de nous elles avaient rendu vivante une troisième personne : c'était l'amour.
J'avais entre les paumes la taille de mon cousin, je l'avais forcé à se remettre droit sur ses jambes, le buste restant courbé par ses liens. Je le possédais, inquiet de voir à chaque seconde le bonheur m'échapper déjà, puisque je le sentais venir et que le faire venir était le tuer. Pierre avait essayé de résister, il avait durci ses muscles, mais lorsque mon désir lui eut montré que j'étais le plus fort, il s'abandonna et une grande douceur s'empara de son corps. Je ne voyais plus rien, mes mains ne sentaient plus ce qu'elles touchaient, des pensées me traversaient avec la violence de chevaux emballés.
J'enlaçais son ventre de mes bras, je déchaînais en lui un ouragan de brutalité. Un instant de répit me montra qu'il pleurait. Je compris que ce n'était plus de mal, qu'il connaissait à son tour le plaisir d'être pris par celui qu'on aime, mais que le garçon se révoltait contre sa propre volupté. Si je l'avais détaché, il m'aurait tué. J'étais passé mille fois par ces excès de rage et mille fois une extase infinie m'avait ravi de la terre et détaché de celui qui m'apportait cette joie douloureuse ; et puis après je m'enfuyais pour ne pas céder aux envies meurtrières. Pierre avait été le seul que j'avais accepté, et pour lui je savais enfin qu'il en était de même. Je murmurai : « Je t'adore » ; je l'empoignai par les flancs, je voulais que non seulement mon sexe, mais tout mon corps fit mienne cette peau, miennes sa douleur et sa faiblesse... Mon cœur mêlait mes rêves à la lente montée du plaisir. Pierre se donnait peu à peu, avec une force qui excluait toute sensualité féminine : l'homme s'accordait à son besoin.
Cette violence qui traverse tout le livre m'a frappé lors de cette lecture, alors que je n'en avais presque plus le souvenir. J'avais gardé à l'esprit, ce qui avait dû me toucher à l'époque, l'histoire d'amour exclusive, incandescente entre les deux garçons. J'avais aussi gardé en mémoire la seule scène de sexe vraiment explicite, lorsque Gérard se laisse pénétrer dans son intimité par la langue de ce voisin en même temps attiré par lui et bourreau des garçons, Philippe Decazes. C'est d'ailleurs une remarque à faire. Jamais Eric Jourdan ne nous détaille les scènes d'amour entre les deux garçons, se limitant à quelques allusions. Ce n'est que lorsqu'un autre vient dans le couple, sans que cela ait la moindre conséquence sur leur relation, que l'on entre dans la crudité de ces relations sexuelles. C'est probablement un façon pour l'auteur de nous dire : « Je n'ai pas voulu vous aguicher avec des scènes de sexe trop explicites, car cela m'aurait – et vous aurez – distrait de mon propos, mais n'oubliez pas que ces deux garçons font l'amour comme deux hommes, avec tout ce que cela comporte de crudité, mais aussi de beauté et de plaisir. ».

En relisant ce livre, j'ai retrouvé la même ferveur, la même fièvre, la même incandescence que dans L'Apprenti sorcier, de François Augiéras, à l'exception de la dimension mystique de la relation amoureuse/sexuelle qui est très présente chez Augiéras. Ce rapprochement, je ne crois pas l'avoir fait il y presque 20 ans. Pourquoi aujourd'hui, cela m'apparaît évident, je ne sais pas mais cela n'est pas non plus le propos de ce message.

En définitive, si un tel livre a fait l'objet des foudres de la censure, je ne pense pas que cela soit exclusivement lié à l'homosexualité. Je me demande si, ce qui était visé dans cette interdiction n'est pas tout simplement l'amour quand il devient exclusif et destructeur, conduisant ces deux garçons à d'abord s'enfermer dans un univers à deux, en marge de la société, puis à mener leur quête de l'amour absolu jusqu'à la mort. C'est probablement cela qui est le plus scandaleux, plutôt que le récit de deux garçons qui font l'amour.

Comme en regard l'une de l'autre, cette déclaration de Pierre fait écho à celle de Gérard, où l'amour doit conduire à « l'exil » – comprendre à la mort – , faisant de cette histoire quelque chose peut-être de plus redoutable qu'une simple relation entre garçons, voire qu'une simple passade de collégiens.
Rester avec Gérard dans ce pays mort serait un plaisir, nous n'avions besoin que de nous. Comme tout plaisir, je le ressentis de façon si intense qu'il disparut aussitôt et que je ne sus rien lui avouer de ce bonheur, maintenant que je pouvais le lui faire partager. Le désir m'avait déjà récompensé. Il en était souvent ainsi dans les gestes les plus communs : toucher le corps de Gérard éloignait l'image de Gérard livré à mes caresses, glisser la langue entre ses lèvres semblait un geste de fou, puis tout reprenait sa force primitive, les lèvres de Gérard leur douceur et sa tête entre mes mains l'air brutal qu'elle avait quand il jouissait. Je découvrais un garçon nouveau chaque fois et chaque fois mon corps s'anéantissait dans un garçon inconnu. J'avais peur de le perdre.
Avec Pierre, je ne trichais pas : je l'aimais de façon si intense, et chaque jour si nouvelle, que j'étais à chaque fois comme devant une autre personne. Je tendais vers le bonheur des bras incapables de l'embrasser, aussi mon amour se passait de bonheur. Cette impuissance avait sa source dans le romantisme où je me plongeais, et lorsque j'en compris la vanité, il était trop tard, je vivais un mythe dont le dédale conduisait à la mort. Avec un peu de diplomatie, nous eussions pu demeurer près des nôtres et les années auraient apporté à notre vie le grand jour des liaisons reconnues par le temps, mais je n'aimais que l'absolu et nous fondâmes sur l'exil.
Eric Jourdan

Il est difficile de trouver des informations sur Eric Jourdan, hormis ce qu'en dit la notice Wikipédia. Il ne semble pas y avoir beaucoup de témoignages sur lui. La biographie de Julien Green par Nicolas Fayet ne le cite qu'incidemment. J'ai trouvé cet entretien écrit qui a été publié en 2010 : cliquez-ici.
On y découvre un homme qui vit à part, loin des cénacles littéraires et du monde gay, un peu libertaire. En revanche, on en apprend peu sur l'homme et sa vie. A la question sur l'origine de ses livres : « Êtes-vous parti de votre propre expérience ? », la réponse pour le moins concise d'Eric Jourdan est « Oui ». 

Partout, on lit qu'il a écrit Les Mauvais Angesà l'âge de 16 ans.  Pourtant, le texte, dans l'édition originale, est daté en fin : février 1954 (cette mention a disparu des éditions suivantes). Né en mai 1930, il était donc à la veille de ses 24 ans. Cette histoire de l'écrivain de 16 ans me semble une légende, qu'il ne dément pas, ni ne confirme, dans l'entretien ci-dessus. S'il avait voulu l’accréditer, il aurait daté son texte de 1946. Sans diminuer son mérite, il me paraît difficile d'imaginer un garçon de 16 ans écrivant cette histoire avec cette maîtrise de la narration et du style et, surtout, cette maturité. En définitive, je ne sais si quelqu'un a la réponse à cette question. Quant aux éventuels éléments biographiques que l'on retrouverait dans l'ouvrage, il est difficile de les identifier. Nous savons qu'Eric Jourdan était le fils d'un conducteur typographe et d'une concierge, avec qui il vivait au 105 rue de Réaumur à Paris en 1936. Il avait une sœur plus âgée de 5 ans. Il n'est donc pas issu du milieu, beaucoup plus bourgeois, qu'il décrit dans son livre. Lorsque le livre a paru, il n'était pas non plus orphelin de mère.


Description de l'ouvrage

Eric Jourdan
Les Mauvais Anges
Paris, Éditions de la Pensée moderne, in-8°, 250-[6] pp., couverture illustrée d'un dessin.


L'ouvrage contient un avant-propos de Robert Margerit et une Lettre adressée à l'éditeur, de Max-Paul Fouchet.

La couverture (voir au début du message) représente maladroitement l'image de deux garçons. Dans plusieurs notices, elle est attribuée à Czanara (Raymond Carrance). Une simple comparaison avec d'autres de ses œuvres me laisse sceptique sur cette attribution. L'auteur de ce dessin resterait à identifier.

Quelques passages de l'ouvrage ont été « caviardés », ce qui, dans le cas présent est un mot mal choisi car ce sont des passages laissés en blanc. Pour trois d'entre eux ce ne sont que quelques mots (extrait de l'édition originale, suivi du texte rétablie de l'édition actuelle) :
Le sang étanchait une soif que ni la salive ni le              de Pierre, quand nous faisions l'amour, ne pouvaient totalement assouvir.
Le sang étanchait une soif que ni la salive ni le sperme de Pierre, quand nous faisions l'amour, ne pouvaient totalement assouvir.

Ma main reconnaissait Pierre, lentement, de l'épaule à la        .
Ma main reconnaissait Pierre, lentement, de l'épaule jusqu'au ventre.

Je voulais que non seulement mon          mais tout le corps fit mienne sa chair.
Je voulais que non seulement mon sexe mais tout mon corps fit mienne cette peau.
La censure la plus importante concerne le passage le plus sexuel du livre :
Au vestiaire, il m'écarta les cuisses, les souleva, me montrant qu'il espérait me posséder. Nous avions peu de place et ma culotte me gênait sur les chevilles ; je réussis à l'arracher, et comme j'étais à moitié debout, je courbai Philippe sous moi et m'assis sur son visage. Son profil 
                            De ses deux mains Philippe disjoignait mes cuisses afin de me prêter mieux à sa gourmandise. J'étais dévoré par cet insidieux plaisir dont le mouvement me transformait en spirale sans fin.
Photo extraite de la notice de l'exemplaire à vendre chez les Libraires associés

De ses deux mains, il m'écarta les cuisses, les souleva, me montrant qu'il espérait me posséder. Nous avions peu de place et le jean me gênait les chevilles ; je réussis à l'enlever tout à fait, et comme j'étais à moitié debout, je courbai Philippe sous moi et m'assis sur son visage. Son profil ouvrit mes fesses. Je sentais son souffle chaud, son nez que ma chair faisait se retrousser, ses lèvres qui s'ouvraient pour mon plaisir. Je lui saisis la nuque par en dessous et écrasai davantage son mufle. Sa langue me viola. C'était d'abord une caresse si insoutenable qu'elle tressait sur le corps jusqu'au bout du sein un écheveau de nerfs, puis, comme la salive amollissait les muscles et que la langue devenue sexe forçait l'homme à céder, je me rendais à cette caresse qui s'insinuait dans tout mon corps... Je gémissais malgré moi, elle était douce, la nuit, et mon corps brûlait comme après un bain glacé. J'avais envie de murmurer « continue, Pierre, continue », comme près de l'étang, et de crier à l'herbe, aux feuillages, au ciel « je vous aime ». L'été n'était pas une saison tendre et pourtant, à la tombée du jour, tout était tendresse autour de nous. J'aimais l'heure où la lumière devenait incertaine sous les saules, près de l'étang, et avant de rentrer, debout, l'un contre l'autre, et nus encore, nous nous serrions dans nos bras une dernière fois. À ce moment toute la nature nous regardait : les fruits de son rêve vivaient... Les hêtres et les chênes, nos grands frères silencieux, ne bougeaient pas. Nos corps pressés l'un sur l'autre, le sang les envahissait doucement, et dans cette lumière verte, contre le fond des arbres et les lueurs mourantes sur l'eau, une joie profonde ouvrait ses portes au fond de notre chair...
De ses deux mains Philippe disjoignait mes cuisses afin de me prêter mieux à sa gourmandise. J'étais dévoré par l'insidieux plaisir dont le mouvement me transformait en spirale sans fin.
En comparant ces passages entre la version censurée de 1955 et la version actuelle, on constate des changements dans le texte. En réalité, et personne ne semble l'avoir noté auparavant, Eric Jourdan a largement retravaillé son texte entre l'édition originale et la version publiée en 1985. Je n'ai pas fait une comparaison détaillée. La structure de l'ouvrage et son découpage en chapitres et paragraphes n'ont pas été profondément remaniés. La tonalité de l'histoire n'a pas été modifiée. Il s'agissait plus sûrement de polir le style, d'en retirer des maladresses de jeunesse. La comparaison de ces deux versions du même passage illustre ce travail sur le texte initial :
Le sang avait toujours eu, à mes yeux, la puissance d'un astre. La vie, la douleur tenaient entières dans ses mouvements, comme dans les constellations les étoiles s'organisent autour de l'une d'entre elles, d'un autre ordre de grandeur, et qui règle de leur vaisseau nocturne la marche et la scintillation. C'était une harmonie qui naissait du corps, était à la vie ce que la musique est à la parole et rendait cette dernière insatisfaite d'elle-même, tant le moindre son prolongeait de manière parfaite une illusion qu'en vain la bouche, par ses balbutiements, cherchait à recréer. Je rêvais d'un langage aussi divers, aussi mobile de modulation que la musique.
Le sang m'avait toujours fasciné. La vie, la douleur dépendent de ses mouvements. On lui attribue la force. On en fait la couleur de la guerre, et l'amour en colorie ses armes, comme si aimer n'était pas autre chose que combattre. Les grandes histoires de passion qui avaient franchi les siècles en étaient éclaboussées ; et je portais en moi ces coups de dague et ces baisers de mort. Le cœur, où l'on place le centre du courage et où l'on cache les cris de tendresse, n'est là que pour drainer sa violence et pour retentir de sa musique sourde.
Le poème inclus dans le texte a été purement et simplement remplacé, probablement en puisant parmi les nombreux poèmes qu'il a écrits :
« Auparavant, vous êtes vous essayé à d’autres formes d’écriture comme la poésie par exemple, présente d’ailleurs dans ce roman ? si oui avez vous continué à écrire de la poésie? »
EJ : Beaucoup de poèmes, beaucoup brûlés. Me restent de mes 20 ans 40 sonnets « Sonnets au jeune homme brun » sur 120. J’avais la prétention de vouloir rappeler Shakespeare. J’en ai encore d'autres… ».

Provenance

Cet ouvrage provient de la bibliothèque de Jean-Claude Lachnitt, dont un libraire mettait récemment en vente tout le « rayon gay ». Il faut aussi imaginer qu'il possédait une collection d'ouvrages sur les sujets qui ont fait sa notoriété : Napoléon, le Second Empire et le Prince Impérial. En effet, les courtes bio de Jean-Claude Lachnitt (1929 - Paris, 31 août 2017) nous apprennent : 
Après une riche carrière professionnelle terminée aux fonctions de secrétaire général du Jockey Club, en 1989, Jean-Claude Lachnitt avait pu entièrement se consacrer à l'histoire et aux institutions napoléoniennes. Membre du Comité directeur du Souvenir napoléonien, il fut ainsi administrateur et secrétaire de la Fondation Napoléon (1991-2005) et secrétaire général du jury des Prix et Bourses de la Fondation Napoléon (1990-2017). Historien, auteur de nombreux articles et conférencier, il avait publié, en 1997, un maître-livre sur le Prince impérial (Perrin, toujours disponible). Il était chevalier des Arts et des Lettres (2012).
Dans les notices officielles, aucune allusion à un autre aspect de sa vie qui expliquerait cette collection de livres « particuliers ». Peut-être son goût pour le Maroc ou ce qualificatif de « discret  de  manières » que l'on trouve dans un des articles le concernant. Plus sûrement son nom parmi ceux qui ont annoncé la mort d'André Baudry, en février 2018 (comme vous, j'ai noté l'incohérence de dates, puisque Jean-Claude Lachnitt annonce la mort d'André Baudy alors que lui-même serait déjà décédé. Pourtant, il ne semble pas y avoir deux Jean-Claude Lachnitt...). Sous réserve d'une recherche plus approfondie, Jean-Claude Lachnitt ne paraît pas avoir eu un rôle de premier plan dans la vie d'Arcadie, ni avoir collaboré à la revue sous son nom ou sous un pseudonyme.

Il a marqué la page de titre de son tampon et apposé son ex-libris dans l'ouvrage :

La signification de l'ex-libirs m'échappe : rébus, citation latine abréviée, jeu de mots sur son nom ?
On lit sa date de naissance : MCMXXIX (1929) précédée de AD (Anno Domini) et son prénom : Iohan Clavd.
La signature en bas à gauche est celle de Jean Claude Lachnitt.


Il a aussi obtenu un bel envoi d'Eric Jourdan, bien postérieur à la parution de l'ouvrage, puisqu'il date d'avril 1983 :

Dessin

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J'ai eu l'occasion de parler de Jean-Claude Lachnitt dans le message sur Les Mauvais Anges (cliquez-ici), dont l'exemplaire présenté provenait de sa bibliothèque. J'ai complété ma collection de livres avec cette provenance.

Le premier est un exemplaire de Les Amours dissidentes de Boris Arnold, livre dont j'ai déjà parlé sur ce blog : cliquez-ici. Jean-Claude Lachnitt, qui avait visiblement un beau coup de crayon, a illustré une page de titre intermédiaire d'un beau dessin qui croque, en quelques lignes, la beauté d'un corps masculin, au sexe absent, et pourtant très érotique.


Je m'interrogeais dans ce même message sur les liens entre Jean-Claude Lachnitt et Arcadie. Il a jugé bon de relier ce document dans un exemplaire de l'Histoire de l'amour grec dans l'antiquité, par L.-R. de Pogey-Castries [Georges Hérelle], 1930 (que j'ai chroniqué ici).



Il s'agit de l'achat d'une part de la société : Club littéraire et scientifique des pays latins, parfois connue sous le nom de CLESPALA, qui est en fait la structure juridique d'Arcadie. Ce reçu est d'ailleurs signé par André Baudry.

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