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Balzac et l'homosexualité

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J'ai eu l'occasion de parler de Balzac sur ce blog à propos de la pièce de théâtre Vautrin, qu'il a écrite sur ce personnage central de La Comédie humaine. C'était aussi pour moi l'occasion de présenter ce personnage clairement homosexuel, créé par Balzac. Je vous renvoie à ce message : cliquez-ici.

Balzac jeune (vers l'âge de 25 ans), par Achille Devéria (source :cliquez-ici)

Je ne m'étais alors pas interrogé sur l'homosexualité de Balzac. Je n'avais pas abordé le sujet sous cet angle. Je fais partie de ceux qui pensent qu'il n'est pas nécessaire d'être homosexuel soi-même (ou sympathisant, si on me passe ce mot plus élégant que "gay-friendly") pour créer un personnage homosexuel.

Au hasard de mes lectures de catalogues de livres anciens, je suis tombé sur une notice qui traite de cet aspect de la personnalité de Balzac. Je la reproduis telle quelle (la source se trouve à la fin). Elle aborde ce sujet à propos d'un envoi de Balzac à Laurent-Jan, le même à qui Balzac a dédié son Vautrin. La boucle est bouclée.


Pour illustrer cet article, j'aurais aimé trouver un portrait de Laurent-Jan. Mes recherches ont été infructueuses. Je me contente donc de cette caricature :

Laurent-Jan, par Benjamin, vers 1840-1842 (source : cliquez-ici)

Quant à Balzac, j'ai mis en tête de ce message un joli portrait de l'auteur jeune, un peu poupin et sensuel.

Il existe aussi ce célèbre portrait :

Balzac, par Bisson, 1842, (source : cliquez-ici)

Sur cette image de Balzac, n'a-t-il pas quelque chose d'un peu féminin ? Comme une sensibilité ?

Notice de la librairie Le Feu Follet, sur Blazac et l'homosexualité, où l'on s'interroge sur l'homosexualité ou l'ambivalence sexuelle de l'écrivain :

Important envoi autographe signé d’Honoré de Balzac sur la page de faux-titre à son ami Laurent-Jan, dédicataire de Vautrin, modèle de Bixiou, de Léon de Lora et de nombreux autres personnages de LaComédie humaine.
Il fut pour Balzac à la fois son meilleur ami, son secrétaire fondé de pouvoir, son nègre littéraire et peut-être même… son « dilectus ».

« ... le singulier fait de l’inventeur qui fit manœuvrer à Barcelone, au XVIème siècle un vaisseau par la vapeur, et qui le coula devant trois cent mille spectateurs sans qu’on sache ce qu’il est devenu, ni le pourquoi de cette rage. Mais j’ai deviné le pourquoi et c’est ma comédie. » (lettre à Mme Hanska)

Les Ressources de Quinola, c’est tout à la fois Les Fourberies de Scapin et Les Noces de Figaro. L’ambition de Balzac à partir des années 1840 et jusqu’à sa mort fut en effet de conquérir une renommée semblable à celle de ses illustres prédécesseurs. Espoir aussi vain que tenace, il ne douta pourtant jamais, échec après échec, de l’imminence de son succès.
Peut-être l’auteur de LaComédie humaine pensait-il que le principal ressort comique tient au personnage principal et à ses réparties cinglantes. Or justement, ce personnage, cet arlequin féroce et éloquent, Balzac le connaissait bien, il se nommait Laurent-Jan et ce fut le plus proche et le plus fidèle ami des dernières années de sa vie.

Bien que la majeure partie de leur correspondance semble avoir disparu, on estime que leur rencontre est antérieure à 1835. (Albéric Second fait mention d’un diner rue Cassini où Balzac demeura de 1829 à 1835).

Personnage excentrique et provocateur, Laurent-Jan occupe une place de choix dans la vie de bohème que Balzac mène durant ces années avec notamment Léon Gozlan, Charles Lassailly, Paul Gavarni et Albéric Second, auprès desquels l’écrivain « s’encanaille avec plaisir et profit » (Maurice Regard, Balzac et Laurent-Jan). Tous sont restés discrets sur les « excès » de ces années tumultueuses dont on conserve pourtant d’éloquentes traces dans leurs correspondances, comme cette missive dans laquelle Balzac invite Gavarni à une soirée chez Laurent-Jan pour « [s]’élonger un brin une chotepis très bien habillée » signée « TicTac dit vit d’ours ». Laurent-Jan fut le principal organisateur de ces orgies balzaciennes, dans sa demeure du 23 rue des Martyrs,  qui ont inspirées quelques scènes de la Comédie Humaine :
« Le sérail offrait comme le salon d'un bordel des séductions pour tous les yeux et des voluptés pour tous les caprices. Il y avait une danseuse nue sous des voiles de soie, des vierges factices, mais qui respiraient une religieuse innocence, des beautés aristocratiques, fières mais indolentes, une anglaise blanche et chaste des jeunes filles engageant la conversation en assénant quelques vérités premières comme : - La vertu, nous la laissons aux laides et aux bossues ! » (cf. Hervé Manéglier, Les artistes au bordel, 1997)

Ces années folles coïncident dans l’œuvre de Balzac avec la création de personnages sexuellement ambivalents ou clairement homosexuels comme Zambinella et Séraphita les androgynes, Raphaël de Valentin qui a « une sorte de grâce efféminée », Louis Lambert, « toujours gracieux comme une femme qui aime », Lucien de Rubempré, et surtout celui que l’on considère aujourd’hui comme le premier homosexuel de la littérature française : Vautrin.
Au regard de cet intérêt particulier pour les différentes formes de sexualité dont témoigne LaComédie humaine durant les années 1830 à 1836 (ni avant, ni après si l’on en croit Maurice Regard), de nombreux critiques se sont intéressés à la sexualité de Balzac durant cette période lors de laquelle l’écrivain connut la presque totalité de ses jeunes collaborateurs.
Ainsi S. J. Bérard et P. Citron s’interrogent-ils sur les surprenantes saillies qui parsèment la correspondance de Balzac avec ses jeunes « protégés ». « Vous qui m’envoyez faire foutre […], vous me prenez […] par le sentiment que j’ai pour vous, venez donc vous faire foutre ici ; et au plus vite » écrit-il à Latouche. Plus étranges encore, ses correspondances avec Eugène Sue se concluent par des formules pour le moins étonnantes : « à vous de glande pinéale » ; « à vous de périnée » ; « j’admire votre prépuce et je suis le vôtre » …

On n’a retrouvé aucune correspondance avec Laurent-Jan avant 1840, mais à cette date, celui-ci lui adresse des lettres s’ouvrant sur un « très aimé » ou « mon chéri » et s’achevant par un explicite « je me presse sur ton gros sein ».
D’après les allusions de certains de ses contemporains, la double sexualité de Balzac semble avérée. Albéric Second compare ses relations masculines à celles de Nisus et Euryale,  Roger de Beauvoir le surnomme « Seraphitus », et Edward Allet légende sa caricature de Balzac : « le R.P. dom Seraphitus culus mysticus Goriot (…) conçoit (…)  une foule de choses inconcevables et d’incubes éphialtesticulaires. » [Référence à Ephialte qui prit à Revers Léonidas aux Thermopyles].

Pour les critiques actuels en revanche, la question de ce que Pierre Citron nomme « l’ambisexualité » de Balzac, reste posée. Parmi les hypothèses avancées par P. Citron, S. J. Bérard ou P. Berthier, les relations de Balzac avec Laurent-Jan, auquel on ne connaîtra pas d’aventures féminines, concordent avec l’hypothèse d’une homosexualité active ou fantasmée de Balzac.
Si l’on ajoute que la pièce Vautrin est dédiée à Laurent-Jan – pour le remercier, écrira Gautier, d’avoir « sérieusement mis la main à la pâte » – Laurent-Jan apparaît comme une des principales figures liées aux « zones obscures de la psychologie de Balzac » (titre de l’étude que Pierre Citron consacre à ce sujet).
A partir de 1841, la correspondance entre Balzac et Laurent-Jan s’avère moins ambiguë, et les excès de langage font place aux déclarations d’amitié et d’admiration réciproques jusqu’à la mort du Maître dont Laurent-Jan signe le 18 août 1850 l’acte de décès.
Durant ces dix dernières années, celui que Gozlan considérait comme le « meilleur ami de Balzac » et Philibert Audebrant comme « le bras droit de l’auteur de La Comédie humaine» fut plus particulièrement le principal partenaire de Balzac dans sa grande aventure théâtrale, passion qui allait consumer le romancier endetté en quête de reconnaissance et de succès financier.

Théophile Gautier relate qu’en 1840, lorsque Balzac le convie avec Laurent-Jan, Ourliac et de Belloy à lui écrire la pièce Vautrin qu’il a déjà vendue au théâtre de la Porte-Saint-Martin mais pas encore composée, seul Laurent-Jan se prête au jeu : « Balzac a commencé par me dire, en parlant de Vautrin, votre pièce puis, peu à peu, notre pièce et enfin... ma pièce. »

Laurent-Jan héritera toutefois d’une prestigieuse dédicace imprimée, un honneur qu’il partage avec quelques illustres contemporains dont Victor Hugo, George Sand ou Eveline Hanska, auxquels Balzac dédia également certaines de ses œuvres.
L’interdiction de la pièce ne décourage pas Balzac qui persiste dans son rêve de fortune théâtrale, avec la collaboration active et enthousiaste de Laurent-Jan auquel le Maître confie l’écriture, la correction ou la réécriture de nombreuses pièces et ouvrages : Lecamus, Monographie de la presse parisienne, Le Roi des mendiants (« un scénario superbe pour une pièce à deux »), etc.
« Aussi recevras-tu plusieurs scénarios qui pourront occuper tes loisirs, car je veux ta collaboration » lui écrit Balzac de Wierzchownia en 1849.
L’année précédente, avant son départ en Pologne, Balzac avait officialisé cette collaboration par une procuration littéraire à Laurent-Jan établie le 19 septembre 1848 : « Je déclare avoir investi Monsieur Laurent-Jan de tous mes pouvoirs, en tout ce qui concerne la littérature. […] Il pourra faire les coupures ou les ajouts, enfin tous les changements nécessaires ; […] Enfin il me représentera entièrement. »
Laurent-Jan accomplira sa mission avec le plus grand sérieux comme en témoignent ses multiples échanges avec le malheureux démiurge. Balzac ne connaîtra jamais le succès espéré, contrairement à ses amis Dumas et Hugo auxquels il se compare pourtant, même dans l’échec. Ainsi, après le four des Ressources de Quinola, écrit-il à Mme Hanska :
« Quinola a été l’objet d’une bataille mémorable, semblable à celle d’Hernani.» Dont acte !
Le 10 décembre 1849, c’est un Balzac presque mourant qui associe encore Laurent-Jan à tous ses projets dans une lettre admirable de courage et d’espoir : « Allons mon ami, encore un peu de courage, et nous nous embarquerons sur la galère dramatique avec de bons sujets, pour aller vers les terres de Marivaux, de New-Beaumarchais, et de la nouvelle Comédie ».

Il est très probable que le personnage de Quinola soit en partie inspiré de cet ami fidèle et admiré de Balzac qui concluait ses lettres de « mille amitiés » ; « tout à toi de cœur » ou « ton maître respectueux et fier de son prétendu valet » (en réponse au titre que s’attribuait Laurent-Jan).  Cet homme d’un esprit aussi brillant que vain ne produisit aucune œuvre digne de ce nom mais fut sans doute une source d’inspiration considérable pour Balzac qui lui doit nombre de « bons mots » ponctuant ses œuvres. Dans La Comédie humaine en particulier, Bixiou et Léon de Lora, sont directement inspirés de ce bohème excentrique, mais au-delà de ces deux personnages, écrit Maurice Regard : « Bien des ombres balzaciennes accompagnent ce vieux corps bossu et sec : Schinner, Steinbock, Gendrin » lui doivent « un peu d’eux même [et] beaucoup de leur esprit ».

Balzac n’aura de cesse de communiquer à ses proches l’indéfectible affection qu’il éprouve pour son « misanthrope sans repentir » qui n’eut pas toujours bonne presse.
« Il vaut mieux que ses apparences. Moi je l’aime beaucoup et sérieusement » (lettre à Laure de Surville).

Quelques jours avant la mort de son mari, Eve de Balzac rapportait encore à sa nièce Sophie de Surville, l’effet salvateur des visites de son dilectus.
 « Votre oncle va beaucoup mieux, il a été fort gai, fort animé, toute la journée, et je l’attribue à une bonne visite de notre ami Laurent-Jan, qui a été plus éblouissant que jamais hier soir – il nous a fasciné véritablement, et mon cher malade a répété plusieurs fois hier et aujourd’hui : « avouez qu’on n’a pas plus d’esprit que ce garçon ».

Lien vers la notice originale : cliquez-ici.

François Boucher et le nu masculin

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Le peintre François Boucher (1703-1770) est plus connu pour ses représentations de la femme. Il osa même quelques images égrillardes ou suggestives, en ce XVIIIe siècle libertin (Jeune femme étendue sur un sofa, L'Escarpolette, L'Odalisque, Léda et le Cygne, etc.).

Au hasard de mes lectures, j'ai trouvé ce beau dessin où, pour une fois, c'est la plastique masculine qui est mise à l'honneur :

Étude d’homme nu pour un saint Jean-Baptiste

Cela a piqué ma curiosité. Je suis allé fouiller sur le Web pour trouver d'autres dessins de François Boucher. La pêche a été maigre. Je n'ai trouvé que ces deux dessins à mon goût :

Homme couché sur son bras droit, 1735

 Académie d'homme nu assis tenant un bâton

Tapez "François Boucher homme nu" sur Google Images, vous verrez qu'il sort de nombreuses femmes nues, preuve, s'il en est, que François Boucher est vraiment le peintre des femmes. D'ailleurs, les hommes sont les grands absents de sa peinture, sauf comme faire valoir. Et surtout, leur corps est absent. Cela rend d'autant plus précieux ces quelques dessins.

Une vie d'homosexuel entre les deux guerres

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Arte propose un programme intitulé Instantané d'histoire : "Le XXème siècle est le siècle de la photo... Pour la première fois dans l’histoire, des anonymes ont pu conserver le souvenir de leur vie. A travers le monde, ces millions de photographes amateurs ont établi sans le savoir une chronique de leur temps. Leurs clichés font écho à des moments différents d’histoire, ils nous permettent de revisiter de manière originale une époque en mêlant regard intime et grands événements."

Sur la base de photos retrouvées, c'est l'occasion d'évoquer sous forme scénarisée, un destin, une vie. C'est ainsi qu'un album de photos retrouvé par Les libraires associés a été l'occasion de raconter une vie d'homosexuel entre les deux guerres. C'est ce programme que vous pouvez retrouver en replay sur Arte : cliquez-ici.


C'est une nouvelle preuve que la vie passée des homosexuels est parfois loin des clichés que l'on a aussi construits pour faire croire qu'il y a eu un avant, sombre et obscur, et un après. Ces photos nous montrent un homme heureux, assumé, qui se photographie ici avec son ami.



On aurait pu espérer un scénario plus simple, voire presque absent, pour nous laisser nous créer nous-mêmes notre propre histoire à la seule vue de ces photos muettes. Le choix a été différent.

Glanes

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Trude GEIRINGER (1890-1981) et Dora HOROVITZ (1894-1959) : 
Portrait de Jacques Catelain - Vienne, 1925

Matelots, Gregorio Prieto, 1935

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En ces années-là, le sentiment homosexuel ne pouvait s'exprimer publiquement que par des dessins subtilement homoérotiques. C'est en représentant des marins que Gregorio Prieto a partagé sa fascination pour la beauté virile des hommes.


C'est l'éditeur Guy Lévis-Mano qui a permis à Gregorio Prieto de publier ses dessins. Nous avons déjà rencontré Guy Lévis-Mano sur ce site à propos de la publication de quelques poèmes rassemblés sous le titre Les Éphèbes, illustrés pas Lucien Lovel (Gaston Poulain). Je vous renvoie à la notice que je lui ai consacrée (cliquez-ici). Nous voyons que Guy Lévis Mano, comme Griego Prieto, restait dans une évocation discrète de l'homosexualité. L'époque, certes plus libérale que les époques antérieures, ne permettait pas encore une affirmation trop frontale de l'amour des garçons, que ce soit par le texte ou par l'image.

L'ouvrage se présente simplement comme un ensemble de 12 planches non numérotées portant chacune un dessin. On remarquera que le style choisi par Gregorio Prieto se rapproche fortement de celui de Jean Cocteau ou, quelques années plus tard, de celui de Jean Boullet : une simplicité dans le trait, sans afféterie, comme les dessins d'une pureté pleine de force d'Henri Matisse. La filiation avec Jean Cocteau est aussi évidente par le choix du thème des marins...

Les 12 planches :














Gregorio Prieto

Gregorio Prieto Muñoz (Valdepeñas, 2/5/1897 - Valdepeñas 14/11/1992) est un peintre espagnol, membre de la Generación del 27, qui est un groupe littéraire qui apparut en Espagne entre les années 1923 et 1927, dont fit partie Frederico Garcia Lorca. Il fit plusieurs séjours à Paris, en particulier pendant les années 1925-1927 et 1931-1936. Après un long séjour en Angleterre (1937-1947), il revint s'installer définitivement en Espagne à partir de 1948 jusqu'à son décès. En 1968, il institue la fondation Griego Prieto.

Lors de son séjour à Paris, il collabora avec Guy Levis Mano en illustrant deux livres et une revue :
- Lucien Jublou, Déchirure, GLM , Paris, 1935.
- Jean Le Louet, Esprits gardiens, GLM, Paris, 1935.
- Pages, GLM, Paris, 1935 (Revue avec un unique numéro).
en plus de la publication de cet ouvrage. Comme on le constate, cette collaboration ne concerne que l'année 1935.

Pour aller plus loin :
Site de la Fondation Gregorio Prieto : gregorioprieto.org
Notice Wikipedia en espagnol (la française est trop sommaire) : Gregorio Prieto.

Plus d'informations, avec des reproductions (en espagnol) :
Gregorio Prieto: El pintor de la Generación del 27
El Postismo: Gregorio Prieto & Eduardo Chicharro Briones
GREGORIO PRIETO, EL PINTOR DEL 27.

Quelques images choisies :




Portrait de Frederico Garcia Lorca

Walt Withman


Description de l'ouvrage

Couverture

Matelots. Douze dessins de Gregorio Prieto.
Paris, Éditions GLM, 1935, in-folio (328 x 258 mm), [14] feuillets non chiffrés.

Titre

L'adresse qui est portée au titre est celle de la librairie, simplement appelée Librairie 79, dont il prit la gérance en 1934.

Le tirage est de 350 exemplaires


Comme la très grande majorité des livres qu'il a éditée, il en est aussi l'imprimeur. En 1935, il vient d'acheter une nouvelle presse. En cette année-là, il développe une intense activité éditoriale, en particulier au service des surréalistes qui ont perdu leurs éditeurs favoris et vont vers cet éditeur qui est aussi un imprimeur.

Malgré ce tirage, c'est un ouvrage rare. Dans les bibliothèque publiques, il n'y a qu'un seul exemplaire recensé au CCFr, qui se trouve à la BNF.

"Fières Archives"

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Pour tous ceux qui habitent Paris ou qui ont l'occasion d'y passer cet été, je conseille cette exposition très instructive à la mairie du 4e arrondissement :

https://quefaire.paris.fr/22921/fieres-archives

C'est l'occasion de découvrir des témoignages sur la vie homosexuelle entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle autour de 3 personnages : Georges Hérelle, le Dr Georges Saint-Paul (Dr Laupts) et le Dr Alexandre Lacassagne. L'exposition est surtout la présentation de documents : lettres, manuscrits, livres, quelques photographies. Certains étaient connus depuis longtemps, comme le "Roman d'un inverti". D'autres ont été exhumés plus récemment comme les archives de Georges Hérelle ou les papiers personnels du Dr Saint-Paul. 

Cette exposition doit surtout être l'occasion d'aller plus loin sur cette histoire en cours de renouvellement et d'approfondissement sur l'homosexualité "fin de siècle". J'ai déjà eu l'occasion de parler de Georges Hérelle à propos de la parution du remarquable ouvrage de Clive Thomson : Georges Hérelle. Archéologue de l'inversion sexuelle «fin de siècle». A ma connaissance, il n'existe pas d'ouvrage sur le Dr Saint-Paul. J'imagine que la richesse de ses archives va faire naître des vocations d’universitaires ou d'érudits. Quant au "Roman d'un inverti", il vient d'en être donnée une nouvelle édition par les soins de Michael Rosenfeld : Confessions d'un homosexuel à Emile Zola ; roman d'un inverti-né & suite (présentation établie par Michael Rosenfeld).

L'exposition a donné lieu à la publication d'un catalogue restreint :


qui contient de nombreuses photographies tirées des collections de Georges Hérelle, déposées à la bibliothèque municipale de Troyes.

J'en ai sélectionné quelques unes :

Photo de Guglielmo Plüschow

Anonyme

H. Geoffroy, ami de Georges Hérelle

Augusto Bassi, ami de Georges Hérelle

Sur le même sujet des témoignages d'homosexuels, on peut lire avec profit cet ouvrage.

François Augiéras et Jacques de Ricaumont

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Cet envoi de François  Augiéras à Jacques de Ricaumont sur une page de garde de L'Apprenti sorcier est l'occasion d'évoquer la personnalité de Jacques de Ricaumont et ses liens avec François Augiéras.

Jacques de Ricaumont (1913-1996) est aujourd'hui resté célèbre pour le salon qu'il animait chez lui, boulevard Saint-Germain. On y croisait aussi bien des aristocrates, des mondains, qu'un certain monde homosexuel. Frédéric Mitterand a évoqué ce monde disparu dans Mes regrets sont des remords :
Jacques de Ricaumont, Nosferatu le vampire ratatiné en vieille demoiselle attendant le gorille, recevait fort gentiment un extraordinaire assortiment de duchesses naufragées, de baroudeurs sur le retour, de curés intégristes efféminés et de jolis jeunes gens le nez en l'air flairant comme moi le parfum du grand monde là où il n'y avait plus que de la poussière. Devant un maigre buffet où quelques petits-fours se battaient en duel, on y lisait avec transport d'anciens numéros d'Arcadie, touchante tentative préhistorique de revue plus ou moins littéraire à l'usage des messieurs de qualité qui se reconnaissaient les uns les autres comme des conjurés, avec des articles sagement risqués que l'on attribuait sous pseudonyme à Montherlant ou Julien Green, des digressions lyriques sur la camaraderie militaire, des études savantes plutôt orientées sur la Grèce antique et des récits de voyages sahariens évoquant les ardentes surprises des oasis. On y réveillait aussi les heureux souvenirs des internats religieux où quelques hommes désormais rangés, mariés et célèbres n'avaient pas lésiné dans le passé sur les émois amoureux juvéniles entre condisciples. Tout cela était assez charmant, désuet, implacablement menacé par les temps nouveaux qui défilaient déjà en bas sous les fenêtres du faubourg Saint-Germain.

Photo de François-Xavier Seren, janvier 1988

Il a été un des fondateurs d'Arcadie avec André Baudry, qui l'avait rencontré par l'entremise d'André du Dognon. Julian Jackson, dans son ouvrage sur le mouvement Arcadie, évoque le Jacques de Ricaumont d'avant cette période :

Né dans la petite noblesse du Sud-Ouest, Ricaumont arrive à Paris au début des années 1930, où il rencontre du Dognon. Un portrait signé Nicolas de Staël et intitulé Mademoiselle de Ricaumont montre une créature efféminée, soigneusement maquillée, les sourcils épilés, faisant la moue. Du Dognon et Ricaumont auront quelques aventures avec des soldats allemands pendant la guerre, aventures dont on trouve le récit dans le second roman publié par du Dognon, Le Monde inversé (1949). Les Allemands lui manquant après 1945, Ricaumont se fait nommer correspondant de presse à Berlin, où il se retrouve au centre d'un petit scandale quand un journal français révèle sa liaison avec un descendant de Bismarck. Malgré son goût pour la provocation – il aime à raconter qu'à un officier allemand sous l'Occupation le décrivant comme un « excellent ami » des Allemands, il aurait répondu « seulement des jeunes Allemands » –, Ricaumont s'essaie à davantage de respectabilité après 1945. Il n'apprécie pas du tout de figurer – sous le nom de Phili – comme personnage principal dans le premier roman scandaleux d'André du Dognon, qui révèle son vrai nom dans la dédicace, lui donnant le titre de Grand Maître de l'Ordre. Il envisage même des poursuites contre l'auteur, et la dédicace est retirée dans les éditions suivantes. Ses passions sont l'aristocratie, l'Église et la défense de l'«amour grec». Il aime à fréquenter les nobles, vrais ou faux. Un membre d'Arcadie se souvient avoir participé à un dîner chez Ricaumont, assis entre le prince Jean de Bourbon-Sicile et le prince Ernst-Friedrich de Saxe-Altenberg. Bien que son talent réside davantage dans sa conversation que dans ses écrits, Ricaumont se taille une réputation comme journaliste et imprésario littéraire dans le Paris d'après guerre, grâce à ses innombrables relations. Ses carnets de rendez-vous de 1952 à 1954 révèlent un éventail de contacts extrêmement large : le prince Youssoupoff, Arletty, Jean Paulhan, Julien Green, Brecht, Ernst Jünger et Jean Giono, par exemple. Quel autre que lui aurait pu, au cours des années 1960, présenter le jeune Rudolf Noureev au sculpteur vieillissant et ancien sympathisant nazi Arno Breker ? Avec le temps, Ricaumont penche de plus en plus vers la droite extrême et, vers la fin de sa vie, attaque passionnément les réformes de l'Église catholique introduites par le concile Vatican II.
[J'ai repris ce passage de Julian Jackson, à défaut de disposer d'informations plus complètes sur la vie de Jacques de Ricaumont. Je crains que ce résumé de sa vie soit un peu caricatural, charriant quelques lieux communs sur les liens entre l'homosexualité de "droite" et les Allemands pendant la guerre. Et encore, je vous ai épargné le passage sur le Front national, devenu inévitable lorsqu'on parle de Jacques de Ricaumont (voir la fort sommaire notice Wikipédia). Si tant est que quelqu’un veuille bien s'intéresser encore à lui, il mériterait une biographie. J'ai lu quelque part que Ghislain de Diesbach voulait s'y atteler, mais je n'en ai pas trouvé trace.]

Jacques de Ricaumont en 1936

Comment François Augiéras et Jacques de Ricaumont se sont-ils rencontrés ? Je n'ai pas trouvé d'informations à ce sujet. Dans son salon accueillant aux personnalités homosexuelles et littéraires dans les années 1960, Jacques de Ricaumont ouvrait sa porte à tous les écrivains qui se présentaient. Malgré les apparences, l'univers de François Augiéras n'était pas aussi éloigné que l'on peut le penser de celui de Jacques de Ricaumont. C'est ainsi que Pierre-Charles Nivière, dont les souvenirs sur Augiéras sont encore inédits, a rencontré François Augiéras dans ce salon. Les relations antres les deux hommes étaient suffisamment familières pour qu'ils échangent une correspondance. qui a été vendue en juin 1996, après le décès de Ricaumont. On comptait une cinquantaine de lettres de François Augiéras, dont seulement des extraits ont été publiés dans divers ouvrages. Signalons en particulier le lettre d'Augiéras sur sa visite au couple Jouhandeau.

Dans cet envoi, François Augiéras semble se défendre de l'accusation d'avoir fait un livre irréligieux. Est-ce par respect pour le très catholique Ricaumont ? Est-ce un réponse à un reproche de Ricaumont ? Bien qu'il l'affirme, je ne crois pas d'ailleurs que L'Apprenti sorcier soit une "attaque" contre "les mauvais prêtres". C'est, me semble-t-il, bien plus que cela, mais j'en ai déjà parlé sur ce site : l'Apprenti sorcier.

Jacques de Ricaumont a donné un portait de François Augiéras dans le 2e cahier de « Le temps qu'il fait », qui lui était consacré. Il ne donne aucune information sur leurs liens et leur rencontre.


Glanes

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Pablo PICASSO, Grâce et mouvement
Zurich, Grosclaude, 1943, 14 compositions originales de Picasso gravées sur cuivre.

Vadim Androusov

Georges Grard (1901-1984) : Athlète accroupi, 1928


Œuvres de Marcel Damboise (1903-1992) :





Pour finir, une curiosité : un Saint-Sébastien totalement nu (je crois que c'est la première fois que je vois cela). Musée Antoine Lécuyer, Saint-Quentin (Aisne). C'est donné pour un travail allemand du XVIIIe avec une incertitude. Il manque l'unique flèche qui rappelait qu'il s'agissait d'un Saint-Sébastien (on distingue l'emplacement sur le mollet droit.




Glanes

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Pour répondre à Silvano qui s’interroge sur mon silence depuis mon dernier message (merci pour cette sollicitude), je vous présente ces quelques trouvailles glanées au gré de mes pérégrinations sur la toile. Certes, ce n'est pas une notice sur une oeuvre littéraire, ou autre trouvaille en relation, mais certains engagements tant professionnels que personnels me laissent moins de loisir pour mener à bien les quelques messages que j'ai en réserve, que ce soit sur Maurice Sachs, Augiéras, voire d'autres écrivains amis de nos passions privées.
En attendant, ce magnifique athlète de Rembrandt Bugatti.



Le cri ou Athlète nu assis, 1907
Rembrandt BUGATTI (1884-1916)






Narcisse ou Ephèbe
Attribué à l’atelier de Barthélémy Prieur (1536-1611)

Statuette en bronze à patine brune et socle en bois noirci (H. 25 cm)
Notice catalogue :
"Cette œuvre réalisée par l’atelier du Barthélémy Prieur est directement inspirée de l’Esclave mourant de Michelangelo (1475-1564) ( conservé au musée du Louvre) apporté en France et présenté au roi François 1er en 1546. Après un début de carrière en Italie, à Rome et à Turin, Barthélémy Prieur, de retour en France, devient le sculpteur officiel du roi Henri IV, pour lequel il réalise un grand nombre de statuettes en bronze inspirées à la fois des modèles antiques et des travaux de l’Ecole de Fontainebleau de la seconde moitié du XVIème siècle. Une vingtaine de bronzes de Narcisse est répertoriée, dont l’un conservé à la Wallace Collection à Londres".

Glanes

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Un exposition qui donne envie d'aller jusqu'à Nemours.


On y voit ce dessin de Gustave Doré : Le Néophyte. On peut se demander comment se sent ce jeune homme sensible au milieu de tous ces vieillards décatis :


http://www.nemours.fr/culture-et-sport/le-chateau-musee

Adam, Rhin supérieur, première moitié du XVIe siècle :



André Gide, de Maurice Sachs, 1936

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Désireux de renouer avec la chronique de livres choisis et aimés de ma bibliothèque Gay, je voulais m'attaquer à quelques ouvrages de Maurice Sachs, écrivain pour qui j'ai toujours eu une tendresse aussi particulière qu'inexplicable. Il était tentant de s'atteler tout de suite à l'œuvre autobiographique, le duo des livres de sa vie : Le Sabbat et La Chasse à courre. Mais, parcourant ma bibliothèque, j'ai exhumé un petit livre que j'avais un peu oublié : André Gide, par Maurice Sachs. Je me suis donc dit que commencer par celui-ci serait comme une mise en bouche avant le morceau de choix. Puis, comme dans l'amour des livres, tout n'est pas que littérature, cette élégante et sobre reliure qui couvre mon exemplaire m'a donné envie de le prendre en mains. Et ainsi de vous le faire découvrir.


Les relations d'André Gide et Maurice Sachs sont une succession de rendez-vous ratés. Comme le mot rendez-vous peut laisser penser qu'il y a, de la part des deux parties, une volonté commune de se rencontrer, il serait plus juste de parler d'une succession de demandes frustrées et inabouties de la part de Maurice Sachs.  Celui-ci attendait beaucoup de ces rencontres – lui-même a parlé de la recherche impossible du père qu'il n'a jamais connu – alors que Gide n'attendait rien de particulier de Maurice Sachs. Il faut aussi dire que la réputation qui précédait Sachs, sa proximité avec Jean Cocteau, qui s'est muée en haine, sa pitoyable tentative de conversion au catholicisme dans les pas du même Jean Cocteau et sous la « bénédiction », si j'ose dire, de Jacques Maritain, tout cela le desservait clairement auprès d'André Gide. Mais celui-ci, fidèle à sa ligne de conduite, lui fit bon accueil, l'aida même à entrer à la N.R.F. comme directeur de collection en 1933. Malgré des échanges qui se poursuivirent jusqu'à la guerre, on ne peut parler ni d'intimité, ni même de proximité entre les deux hommes. Trop de choses les séparaient. Maurice Sachs avait une propension toute particulière, presque un talent, à détruire lui-même ce qu'il était en train de construire, par ses mensonges, par sa malhonnêteté, par ses mauvais procédés. Ce ne sont pas ses lettres pleines de déclarations d'admiration qui pouvaient y changer grand chose :
... il n'est pas d'homme par qui j'ai plus violemment souhaité d'être reconnu que par vous (...) Vous pourriez dire : quel entêtement à venir me relancer sans fin. Ne voit-il pas que j'ai quelque défiance de lui, que quelque chose, en lui, de trouble m'écarte... Et fort occupé déjà de ceux que j'aime, je ne puis m'occuper par-dessus le marché de ceux qui m'aiment malgré moi...
Je ne me félicite pas de cette lâcheté instinctive par laquelle c'est un père toujours que j'ai cherché en ceux que je pouvais admirer, faiblesse qui me vient sans doute de ce que je n'eus pas de père et qu'enfant, ardemment, j'en souhaitai un (...)
L'homosexualité de Maurice Sachs a-t-elle eu sa part dans sa volonté de se rapprocher d'André Gide ? Il n'en dit rien. Comme on le verra dans Le Sabbat, il a toujours vécu son goût des hommes d'une façon assez détachée. A ce sujet, il n'y a chez lui aucun militantisme, aucune vision "communautariste" pour reprendre un terme actuel. Ce n'est pas lui qui voudra publier des livres de témoignages comme le Corydon et Le Livre blanc. Si l'homosexualité n'était pas absente de ces relations avec Jean Cocteau ou Max Jacob, ce qui pourrait expliquer la méchanceté dont il a fait preuve ensuite à leur égard, il n'y a rien de tel avec André Gide.

C'est dans ce contexte que Maurice Sachs voulut consacrer un livre à celui auprès duquel il espérait encore être une personnalité reconnue. Curieusement, c'est sous la bannière du communisme qu'il espérait opérer ce rapprochement, voyant par là un moyen de mettre ses pas dans ceux d'André Gide. Je dis curieusement car tous ceux qui connaissent bien l'œuvre et la vie de Maurice Sachs savent qu'il n'avait pas une conscience politique très développée. Même son rapprochement avec le catholicisme dans les années 1920 semble avoir été plus réfléchi que ce soudain intérêt pour le communisme. Peut-être même est-ce André Gide qui a cherché à le rallier dès 1934 et que c'est par admiration pour celui-ci qu'il s'y est intéressé. Dans cette voie nouvelle pour lui, il débute par une petite plaquette consacrée à Maurice Thorez, qu'il va même écouter lors de meetings. Il paraît que cet ouvrage est presque introuvable.


Maurice Sachs signe un contrat avec Denöel en mars 1936 pour une biographie d'André Gide. Il y travaille au printemps 36 et lui présente son travail. Ils le relisent ensemble, en juin. « Nous [André Gide et "la Petite Dame"] sommes très agréablement surpris : c'est très inégal, mais souvent bon. Il est souple (trop) et accepte toutes les remarques fort gentiment. ». Cette relecture a lieu avant que Gide fasse son voyage en U.R.S.S. Nous savons qu'il en reviendra avec un vision transformée du communisme. Le livre paraît en novembre 1936, sans modification, mais avec un introduction qui, à demi-mots, prend acte du changement de point de vue d'André Gide sur le communisme et l'U.R.S.S. Cela nous vaut ce petit livre un peu hybride, qui commence tout de même par une citation de Staline. En définitive, il ne semble avoir eu aucun écho. Aujourd'hui, c'est plus une curiosité, le témoin d'une période de la vie de Maurice Sachs et de ses errements personnels, tant sentimentaux – ses relations avec André Gide peuvent être qualifiées ainsi – qu'idéologiques.

L'ouvrage est dédié à Élie Faure, l'historien de l'art : « A Elie Faure, en confiante admiration. M. S. ». Je n'ai rien trouvé sur les relations entre les deux hommes, si ce n'est ces 2 lettres de Maurice Sachs : cliquez-ici.

Sur les relations de Maurice Sachs et André Gide, les sources sont :
Maurice Sachs, par Henri Raczymow
André Gide, l'inquiéteur, de Frank Lestringant
La rigueur et les errements : du côté de Gide et de la N.R.F., par Frank Lestringant, dans le Cahier de l'Herne consacré à Maurice Sachs. C'est une bonne synthèse des relations entre les deux écrivains, dont les éléments sont issus des deux ouvrages précédents.
Voir aussi ce message sur le site e-gide : cliquez-ici

L'ouvrage

Le corps de l'ouvrage est composé de 20 courts chapitres (pp. 13-116), datés en fin du 28 mai 1936.

Les 10 premiers chapitres (pp. 13-62) sont une courte biographie d'André Gide, complétée d'une présentation de son œuvre et de sa pensée. Maurice Sachs place les Nourritures terrestres au cœur de la démarche d'André Gide. Il en cite abondamment des extraits et n'hésite pas à évoquer en écho de ce livre le souvenir personnel d'une chaude journée dans les monts des Catskills lors de son récent séjour aux États-Unis. Au même niveau, il place Si le grain ne meurt. Ces chapitres sont surtout une défense de l'homme et de ses livres. Défense de son honnêteté, de sa rigueur morale, de son influence. Défense de l'acte gratuit tel que Gide l'a mis en scène dans Les Cave du Vatican. Enfin, défense du Corydon (chapitre IX), ce petit livre sur une « attraction sensuelle qui n'est pas la même que celle que subit la majorité dans notre présente civilisation. » Sur ce sujet, Maurice Sachs fait un parallèle entre Gide et Proust, au détriment de ce dernier qui « a voulu expliquer et excuser des habitudes qu'il ne tenait point lui-même pour bonnes et dont il allait se cachant. ». Puis, il introduit les 10 chapitres suivants uniquement consacrés au communisme par ce surprenant rapprochement entre l'amour du Christ et le communisme :
C'est dont tout NATURELLEMENT qu'André Gide aime ce qui est présentement le mieux vivant, qu'il déplore le piteux état dans lequel s'acagnardent les Français, qu'il a foi en le progrès de l'homme, qu'il hait la misère qui accable autrui, qu'il aime le Christ des premiers jours, qu'il déteste le Christianisme contre le Christ et qu'il se rallie au communisme.

Ces 10 chapitres (pp. 59-116) exposent toutes les démarches intellectuelles qui ont mené André Gide au communisme, en cohérence avec ce qui a été présenté auparavant. Notons que c'est le chapitre sur la haine du christianisme et non du Christ qui est le plus développé dans ce cheminement intellectuel. Tout cela est résumé dans le cours chapitre XVII :
Haine du christianisme (mais non du Christ), haine de la misère d'autrui, pitié de la France, foi dans le progrès de l'homme, amour de ce qui est vivant, amour du naturel ; Gide en est venu au « communisme [qui] est la doctrine la plus vivante la moins achevée qui existe », à cette entreprise qui, dit Guéhenno, « est l'entreprise d'hommes de bonne volonté qui s'efforcent de toute leur vertu de rendre cette terre un peu plus habitable ».
Dans une note (p. 111), Maurice Sachs tempère déjà son enthousiasme :

L'attitude des communistes français et des Russes a tant changé récemment que l'auteur de cet opuscule encore une fois se demande si c'est de chez eux maintenant que viendra une vie nouvelle. Mais si beaucoup de nous, et Gide même, avons été trompés par le développement du communisme il n'en resterait pas moins vrai que notre civilisation chrétienne est monstrueusement usée et profondément détestable.
Mais c'est surtout l'introduction qui vient fortement nuancer le contenu de l'ouvrage. Comme nous l'avons dit, juste avant la parution, Maurice Sachs a ajouté une introduction, datée d'octobre 1936, dans laquelle il présente le cheminement de la pensée d'André Gide et sa position vis-à-vis du communisme suite à son voyage en U.R.S.S., sans d'ailleurs faire référence à ce voyage. Notons qu'il s'associe lui-même à cette évolution en utilisant le "nous".

Mais depuis le jour récent encore où ce travail fut terminé pour moi, la politique des doctrines a rendu nécessaire cette introduction et quelques mots sur le sens où s'entend ici communisme.
On verra dans ces pages comment André Gide devait tout naturellement s'acheminer vers le communisme, comment son honnêteté ne pouvait que repousser les odieuses conclusions d'une société étouffée et décomposée à la fois par l'Eglise, les pires traditions familiales et la prééminence d'un capitalisme bourgeois dénué même des vertus Héroïques qui ont soutenu pendant tant de siècles une aristocratie, aujourd'hui exténuée et presque disparue.
Ce communisme donc vers lequel Gide allait avec une ferveur égale à celle de ses plus jeunes années lui représentait (représentait pour beaucoup), la liberté, la paix, la délivrance des obsessions mythologiques, une conception nouvelle de la vie.
Mais tout comme les cartes du Christ ont été brouillées par Saint Paul, il se pourrait bien que le communisme change de figure par la faute de ses plus zélés militants. Il se peut bien que le communisme dès aujourd'hui, ou dès demain, n'offre plus à beaucoup d'esprits libres, les saines et fortes tentations que nous y voyions hier.
Si cela est, Gide et bien d'autres auront été abusés. (La fin dira-t-on, justifie les moyens, mais il y a des moyens qui portent leur FIN en soi.)
C'est pourquoi, il me faut bien dire ici que par communisme, j'entendais (comme Gide je crois), plus ce qu'on nous proposait hier que ce que l'on nous offre aujourd'hui.
Si André Gide développera sa position sur le communisme dans Retour de l'U.R.S.S. en novembre 1936, Maurice Sachs s'éloignera du communisme aussi vite qu'il y était venu.

Description de l'ouvrage


André Gide, Maurice Sachs
Paris, Denoël et Steele, [1936], in-12 (168 x 106 mm), 124-[4] pp., 6 planches photographique en noir et blanc hors texte (portraits d'André Gide), couverture illustrée d'une photographie en noir et blanc (portrait d'André Gide).

Un des 6 portraits illustrant l'ouvrage
Cet exemplaire comporte un envoi à François Le Grix, sur la page de garde :


François Le Grix (1881-1966) est un écrivain, qui fut le directeur d'une revue littéraire La Revue hebdomadaire. C'était un personnage influent. Mais, comme le dit Mathieu Galey dans son Journal : « Mais qui se souviendra de Georges Poupet, de François Legrix, qui ont été les éminences grises de toute la littérature de l'entre-deux-guerres ? »
Lorsqu'on fait des recherches sur cette personnalité, on trouve la mention d'une relation sentimentale, voire amoureuse, entre François Mauriac et François Le Grix. Roger Peyrefitte assure qu'il connait « quelqu'un qui possède les lettres brûlantes écrites par le même Mauriac à François Le Grix ».

Maurice Sachs a visiblement largement dédicacé son ouvrage car dans les bibliothèques publiques, on trouve des envois à Valery Larbaud (Vichy),  André Rousseaux (Bibl. Sainte-Geneviève), Ambroise Vollard, Adrienne Monnier, Henri Bergson (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet) et Louis Aragon (BNF).

Le Sabbat, Maurice Sachs, 1946

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Je poursuis aujourd'hui l'exploration de l'œuvre de Maurice Sachs par son livre majeur, le plus connu.


Le Sabbat est un projet qu'il a longuement mûri, mais qui a été écrit en seulement quelques mois entre janvier et avril 1939. Il le vend rapidement à l'éditeur Corrêa, mais le livre ne peut paraître à cause de la guerre. Il ne sera publié qu'en 1946, après le décès de l'auteur. Pour Maurice Sachs, ce n'était « pas des mémoires, mai un petit mémoire, un relevé de compte, un mémoire moral » :

Ce petit livre dont le dessin et le dessein n'apparaîtront ni très nets ni très solides et qui suit comme il peut les sentiers difficiles de ma vie parallèle à des routes beaucoup plus grandes et plus belles. 

Il peut y avoir plusieurs lectures de cet ouvrage. On peut le lire comme le récit d'une vie où l'auteur, à l'instar de Jean Jacques Rousseau dans les Confessions, se donne ce programme : « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme, ce sera moi. ». Il faut avouer que certains aspects de la nature de Maurice Sachs ne sont pas des plus reluisants. Il ne se fait pas faute de nous livrer le récit de ses turpitudes, de sa malhonnêteté maladive, de son amoralisme léger et désinvolte, voire d'une forme de lâcheté et de veulerie comme dans le récit de son mariage. S'arrêter à cet aspect du livre serait, à mon avis, passer à côté de belles pages. On peut aussi le lire comme un témoignage irremplaçable, vécu de l'intérieur, des années de l'entre-deux-guerres. En lisant le Sabbat, on croise bien évidemment Jean Cocteau, Max Jacob, Jacques Maritain, mais aussi de nombreux acteurs de la vie culturelle et artistique de cette époque. Cet autre aspect, pour intéressant qu'il est, n'épuise pas la qualité de ce livre.

Quand on prend le temps de le lire, de s'arrêter sur les belles pages, d'oublier quelques récits inutiles, on peut trouver des passages comme celui-ci, qui m'a personnellement ému (je rappelle que ce blog n'est pas un blog d'analyse littéraire,  ni même un blog sur l'histoire de l'homosexualité. C'est, comme j'ai pu le dire, une promenade littéraire dans une bibliothèque personnelle. Comme dans une promenade, je m'arrête là où il me fait plaisir d'admirer le paysage et je passe vite là où quelque chose heurte ma vue).
Je fus d'abord merveilleusement heureux dans cette cellule, heureux d'être seul, heureux d'être chaste, heureux d'être recueilli. Chacun de nous a sa lutte à soutenir contre son éparpillement particulier (et même les minutieux qui perdent leur temps à ramasser la vie). Au début de mon séjour dans cette cellule je me ramassais avec facilité ; cela se sentait physiquement comme lorsqu'on brosse les miettes sur la table du profil de la main et qu'on les entasse. J'étais tout entier en moi ; c'est une des plus douces sensations du monde, car que ne souffre-t-on lorsque des parties de nous s'échappent et qu'on reste solitaire, privé de soi, l'œil dressé hors de l'orbite comme un périscope en quête de quelque sirène à naufrager, la conscience désertée par des vertus en promenade, (une honnêteté en visite chez un marchand et prise dans on ne sait quel trafic ; une sincérité arrêtée chez un ami dont elle admire le livre, en mentant effrontément ; l'indulgence prisonnière de sa lâcheté, abandonnée sur les coussins de quelque salon, pendant que la médisance fait des siennes ; la justice ayant pris un pernod et ne sachant où regarder ; la reconnaissance légère et folle, comme à l'accoutumée, se trompant de porte, visitant les amis riches, oubliant les pauvres ; la continence épuisée d'avoir mangé du lièvre à la française, et la gaîté, ayant trébuché dans un peu de vinaigre répandu, tournant à l'amer). Quand nos qualités sont en ballade, que faire de soi ?
Dans le silence de la cellule, le moi se ramasse et se retrouve ; les vertus rentrent au bercail, l'homme réoccupé se sent chaud et heureux. C'est d'abord l'effet que me produisit le séminaire. Paix, paix, confort de paix. [...]
Je fus pénétré deux mois par cette douceur plénière. Tout en moi souriait du matin au soir, et les soirs surtout étaient délicieux. On se groupait dans la grande chapelle, à cette heure fermée aux fidèles du dehors. Il n'y avait d'éclairée que la statue de la Vierge. Il n'y avait pas d'heure pour la quitter. [...]
Il m'arrive souvent de regretter ces jours émus et paisibles, mais je ne désespère pas d'en vivre de pareils, ailleurs.

Ce qui m'a aussi arrêté dans ce livre, ce sont tous les passages où Maurice Sachs parle d'homosexualité et d'amour entre hommes. Là aussi, il faut écouter la « petite musique » qu'il fait entendre. L'historien de l'homosexualité pourra y lire un témoignage sur la vie gay de l'entre-deux-guerres. Il aura raison et ce livre a souvent été lu pour cela. Mais, j'ai voulu écouter ce que Maurice Sachs disait du sentiment amoureux, mais aussi de ce qu'avait représenté pour lui l'homosexualité. A la différence de son livre suivant La Chasse à courre, qui contient beaucoup plus de passages explicites, l'homosexualité n'est que rarement évoquée ici et ne donne jamais lieu aux évocations picaresques des amours masculines de son livre suivant.

Sur l'homosexualité :
Je ne tiendrai pas compte [...] des culpabilités de sexe, car je n'ai, autant que je me souvienne, jamais eu de honte sur ce chapitre ni sur celui de la particularité de mes inclinations physiques.
Sur sa philosophie profonde de la vie, après qu'il se soit dégagé de ces vaines tentatives de conversion au catholicisme (rappelons qu'il fut quelques mois au séminaire et qu'il en a été sauvé, si j'ose dire, par un bel et jeune américain rencontré à Juan-les-Pins !) :
J'espère, en effet, ne connaître jamais d'autre temple que la nature, n'adorer que le soleil, ne vénérer que le membre éclatant qui fait l'homme et le ventre profond qui le porte, j'espère ne louer d'autre Dieu que celui confus et indéterminé qui est l'essence de la vie matérielle, car la matière c'est tout l'esprit.
Sur les femmes :
J'aurais été passionnément heureux, je crois auprès d'une femme si je les avais mieux aimées physiquement, mais mon corps, très capable d'exercer sa fonction masculine, s'exécutait vaillamment, et sans volupté. [...]
Je n'ai eu que quatre maîtresses depuis que j'ai l'âge de virilité ; c'est peu en regard des innombrables garçons avec lesquels j'ai fait l'amour, et pour dire vrai, je le regrette. Je sens constamment tout ce qui me manque à vivre sans femmes, et qu'une connaissance extrême, corporelle de l'humanité ne s'acquiert qu'auprès d'elles.
[...]
Ce besoin d'une femme était un besoin de l'âme, et ce n'étaient pourtant ni celui de mon corps, ni celui de mon esprit.  [...] Autant il me plairait de coucher avec une femme dont j'attendrais un enfant, pour la joie concertée de créer, autant j'ai peu le besoin, peu l'envie d'aller chercher la volupté auprès du corps féminin. Tout en lui me rappelle la maternité, ce bassin que je ne puis regarder sans penser au puissant mystère dont il est ouvrier, ces seins que je crois toujours pleins de lait, et cette ouverture sacrée, porte étroite par laquelle passe toute l'humanité n'inquiète en rien mes sens. La femme m'est un foyer ; c'est l'homme, aventure continuelle, qui me paraît plaisir.

Sur la déchéance (notons qu'il fait un lien entre son homosexualité et sa conduite, ce qui met un peu à mal ce qu'il disait par ailleurs, qui pouvait nous laisser penser qu'il vivait « la particularité de ses inclinations physiques » de façon naturelle et apaisée.)
Il se pourrait d'ailleurs, que ce qui me retint dans l'amour des garçons, ce fut autant et plus que la volupté, ce climat de complicité presqu'enfantine auquel je trouvais plus de charmes qu'à l'exercice de la pleine force masculine. Mais se pourrait-il qu'une honte inexprimée de cet infantilisme me poussât inconsciemment à chercher l'autre extrême ? La sénilité. Car il me semble aujourd'hui qu'à peine eusse-je compris [que] j'aimais être encore enfant, que je n'eus de cesse de vieillir au plus vite ; et toujours en évitant soigneusement l'âge d'homme. Je n'eus jamais envie d'avoir trente ans, je rêvai d'en avoir cinquante que je me représentai comme la vraie jeunesse, le vrai commencement de je ne sais quoi, de l'autre âge sans doute, de l'autre pôle humain auquel je voulais impatiemment atteindre.
Et dans ce besoin de m'amoindrir rapidement, de me diminuer, de me tuer enfin, je voyais joyeusement tomber mes cheveux, gonfler mon ventre et je commençai à boire énormément.
C'étaient là les premiers pas sur un terrain particulièrement glissant où j'allais tout à fait m'embourber pendant huit années, c'est la bouteille à la main que j'allais ouvrir la porte de l'enfer parisien, ivre de m'avilir, mais ayant, soif pourtant d'un monde meilleur que j'allais chercher aussi dans le vin.
Sur l'amour vénale, avec un petit détour inattendu par Marcel Proust :
Comme si cet abaissement ne suffisait pas, ce fut l'année où je découvris les horribles plaisirs de la promiscuité. Voici comment ; je n'avais pas jusqu'alors même soupçonné qu'il y eut un marché établi de l'homosexualité. On m'indiqua un établissement de la rue ***, qui, sous couvert d'un commerce de bains, dissimulait celui des prostitués mâles, garçons assez veules, trop paresseux pour chercher un travail régulier, et qui gagnaient l'argent qu'ils rapportaient à leurs femmes en couchant avec des hommes, car c'est un des traits les plus remarquables dans cette jeunesse dévoyée qu'elle ne prenait ni plaisir, ni habitude dans ses infâmes corruptions.
Lorsque je compris que je pouvais avec cent francs tromper mon ancienne soif d'Octave, un pareil endroit me devint indispensable. Mais j'avais besoin pour y aller de me forcer à croire que j'y trouverais un garçon que j'arracherais à son triste état et avec lequel je vivrais comme avec Octave.
C'était un étrange établissement que ces Bains du Ballon d'Alsace : cour pavée, décorée de lauriers en caisse et de troènes comme celle .d'un presbytère, avec son petit perron de quatre marches, l'étroite marquise et le mot BAINS sur la porte vitrée.
[Il poursuit avec sa rencontre avec Albert Le Cuizat, qui tient ce lieu]
Ce n'était pas le moindre attrait qu'avait pour moi cet étrange établissement que d'y retrouver, par delà sa mort, mais terriblement vivant ce Marcel Proust dont le nom avait été pour toute notre jeunesse comme un gage de féerie. Et je dois dire que la complicité presque charnelle que l'imagination établissait entre une œuvre adorée et cette caverne des brigands de chair où retentissait encore le bruit des chaînes du Baron de Charlus, parait les autres personnages de l'œuvre d'une non moins grande vérité. Mais réciproquement, tout le merveilleux que nous avions (à vingt ans) attaché aux personnages proustiens, merveilleux féerique et légendaire rejaillissait sur le lieu d'abomination où cet Albert Jupien faisait figure de Prince Sérénissime des Enfers.
Cette confusion à la fois sincère, spontanée mais volontairement exagérée que je laissais, puis faisais monter entre la vérité d'un bordel et la fiction d'une œuvre m'a procuré des mois d'enchantement où les médiocres plaisirs physiques qu'on achète des prostitués comptaient pour peu.
Sur le premier amour
C'est à cette époque que j'éprouvai la première passion forte de ma vie. Ce fut pour un garçon que j'appellerai Octave. Nous nous étions rencontrés à l'École de Luza. On s'émerveillait à la maison de ma sagesse ; il n'y avait plus rien à m'interdire. En effet, dès le dîner fini j'allais m'enfermer dans ma chambre et j'écrivais à Octave des lettres immenses. Je fus heureux : il m'aima aussi.
C'est un sentiment vif et doux dont je n'ai jamais eu honte ; notre amour, dans sa première fleur, ressemblait d'autant plus à celui qu'éprouvent une fille et un garçon de moins de vingt ans, que ceux-ci ne songent à rien d'autre qu'à s'aimer dans un feu qui se suffit à lui-même et dont ils n'attendent pas d'autre récompense que son incandescence.
Blond, musclé, couvert de taches de rousseur, Octave avait quelque chose d'assez animal, il était sinon plus jeune, du moins plus petit que moi, mais je faisais preuve à son égard de la plus entière soumission, car j'avais peut-être déjà contracté à mon insu certain complexe d'infériorité qui m'a toujours gêné par la suite dans mes affaires de cœur et poussé vers cette duperie qui consiste à les vouloir acheter.
[...]
Nous restions étendus sur le divan de ma chambre plutôt comme de jeunes chiens peuvent l'être tout en jouant qu'à la façon des amoureux. Je garde de ces après-midi un souvenir plein d'émotion. L'enthousiasme et l'innocence y faisaient bon ménage et je ne me souviens pas, tant cette tendresse jaillissait de source, en avoir ressenti vis-à-vis de culpabilité profonde. Et si je me dissimulais, c'était plutôt par pudeur, par respect pour ce sentiment auquel le secret me semblait dû, et par crainte qu'on m'accusât de paresse, car mon amour en soi me paraissait innocent et beau. Et si j'éprouvais quelque sentiment d'infériorité, ce n'était qu'envers cet ami dont je me jugeais indigne, car je le trouvais plus beau, plus charmant, plus fin que moi.
Je ne prétends pas que cette liaison fut entièrement chaste. Mais je me rappelle que nous ne fûmes nullement pressés de la sceller dans le plaisir, tant nous goûtions la volupté de ces embrassements sans fin déclarée, sans arrière-pensée. Le jour où nous nous touchâmes de plus près nous n'ajoutâmes rien à notre bonheur, car à cet âge la tendresse peut encore se passer de la possession.
Si l'on admet, comme je l'admets sans réserve, que notre vie n'est tout entière qu'un essai de réalisation des rêves de notre jeunesse, on comprendra qu'il est possible de rechercher sa vie durant un bonheur qu'on a goûté enfant.
Pour moi, le souvenir d'Octave et la recherche ininterrompue, vaine peut-être, d'un autre Octave qui serait trop pareil au premier me confirmèrent dans le goût de l'homosexualité et je ne crois plus pouvoir prendre d'autres plaisirs du cœur ou du corps.
Sans doute est-ce là un peu d'infantilisme, comme disent les psychiatres, sans doute ces joies innocentes, si douces et sensuelles aussi que me donnait Octave me fussent bien plus sûrement revenues vingt ans plus tard entre les bras d'une femme de mon âge.
Mais cela est plus fort que moi. Je ne crois pas, c'est-à-dire que je ne crois pas qu'une femme puisse jamais être Octave. Elle ne peut même pas y prétendre. Tandis qu'un garçon peut me faire illusion.
Sur l'amour et le plaisir d'être deux hommes ensemble (à propos d'Henry Wibbels, qu'il rencontra aux États-Unis et qui le suivit à Paris où ils vécurent quelques années ensemble. Il lui dédia ce livre) :
C'est sur ces entrefaites que je rencontrai un jeune Californien, que j'aimai dès que je le vis. Il était beau, tendre, intelligent et enthousiaste.
J'avais connu en Californie un jeune homme, Nous avions les mêmes goûts et nous étions seuls tous deux. Il se relevait tout juste d'un grand chagrin et moi d'une grande confusion, et bien que nous ne fussions pas d'accord sur tout, nous étions heureux d'être ensemble.
[...] tout travail suivi me jetait dans une torpeur incroyable et bientôt sur mon lit. Sans doute que j'étais trop heureux, car après tout ce que nous avions souffert, Henry et moi en nous aimant à Paris, nous étions prêts à jouir avec passion. Enfin, le problème financier ayant perdu de son acuité, nous pouvions prendre plaisir à la compagnie de l'un de l'autre sans mensonge. Je goûtai alors toute la joie simple de vivre à deux hommes, de passer insensiblement de la camaraderie à l'amour, de la passion à l'amitié, avec cette gaieté, cette bonhomie désintéressée que les garçons ressentent beaucoup mieux que les femmes.
C'est sur cette note de bonheur homosexuel que je souhaite que vous restiez au moment de quitter cette évocation du Sabbat.

Description de l'ouvrage


Maurice Sachs
Le Sabbat. Souvenirs d'une Jeunesse orageuse.
[Paris], Éditions Corrêa, MCMXLVI [1946], in-8° (189 x 120 mm), 443-[3] pp.

Tirage de tête :
- 6 exemplaires sur Vélin Johannot, numérotés de 1 à 6
- 35 exemplaires sur Alfax Navarre, numérotés de 5 à 41
L'achevé d'imprimer est du 10 juillet 1947 pour les exemplaires sur papier d'édition et du 10 décembre 1946 pour les tirages de tête (Alfax).

J'ai la chance de posséder un des exemplaires sur Alfax Navarre, le n° 7, dans une belle reliure en demi maroquin à coins signée par A & E. Maylander.


Voeux 2018

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Je souhaite une belle et heureuse année 2018 à tous mes lecteurs, qu'ils soient occasionnels ou réguliers. Je vous souhaite de continuer à découvrir de nouvelles richesses de notre culture homosexuelle. Je partage avec vous une belle découverte : une version du Tirésias, de Marcel Jouhandeau, illustrée par René Bolliger. J'ai choisi la plus chaste (mais peut-être pas la moins érotique) des illustrations.


En 2017, j'ai eu le plaisir, entre autres, de rencontrer enfin le blogueur le plus culte de la sphère gay, un lecteur avec qui j'ai pu partager notre attachement commun pour Augiéras, recevoir le message sympathique d'un lecteur qui m'a fait part des découvertes qu'il fait grâce à mes messages (je les sais trop rares pour certains) et d'autres messages d'encouragements. J'espère que l'année 2018 sera encore l'occasion de beaux échanges.

Glane

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Ce tableau de Nicolas Régnier (1588-1667), représentant Saint-Jean-Baptiste, est une splendeur :


André Baudry (1922-2017)

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La nouvelle est peut-être passée inaperçue. André Baudry, le fondateur du mouvement Arcadie en 1954, est décédé le 1er février dernier à Naples, où il vivait depuis longtemps.


J'espère que mes lecteurs connaissent Arcadie, le premier mouvement homosexuel en France. A défaut d'en connaître l'histoire, j'espère qu'ils en connaissent au moins le nom. Je n'ai d'ailleurs pas l'objectif de faire ici l'historique du mouvement. On trouvera sur Internet de nombreux sites, dont Wikipédia, qui présentent les principales choses à savoir. En cherchant bien, on trouvera peut-être quelques-uns de ces jugements qui renvoient aux oubliettes de l'histoire une association qui, à un moment donné, s'est trouvée décalée par rapport aux évolutions des mouvements homosexuels. C'est ainsi qu'il a disparu en 1982. Mais, il faut aussi que le temps permette de rendre justice à ceux qui l'ont créé et l'on fait vivre pendant presque 30 ans.

Aujourd'hui, je voudrais plus particulièrement rendre hommage à André Baudry, qui a été le maître d’œuvre et l'animateur du mouvement Arcadie. Avec quelques uns qui ont été à l'origine du mouvement, il a eu le courage de porter une forme de visibilité homosexuelle à une époque qui n'était pas prête à l'accueillir. Pour beaucoup d'entre nous, il est très difficile d'imaginer ces années 1950 que nous n'avons pas vécues. De l'avis de tous, ce fut une époque de retour à une forme d'ordre moral, après le traumatisme de la Second Guerre Mondiale et de l'attitude peu glorieuse de la France.

Pour ceux qui veulent en savoir plus, il existe un bon ouvrage documentaire, paru il y a quelques années : Arcadie. La vie homosexuelle en France de l'après-guerre à la dépénalisation, par Julian Jackson (interview de Julian Jackson : ici).



C'est, à ma connaissance, l'ouvrage le plus complet. L'ouvrage de Frédéric Martel, Le Rose et le Noir, lui consacre aussi une large place dans son histoire des mouvements homosexuels. C'est d'ailleurs dans cet ouvrage que j'ai véritablement découvert l'histoire du mouvement.

Il y quelques années, j'ai eu le bonheur de pouvoir acheter la collection complète des 10 premières années de la revue Arcadie, bien reliée. Toutes les circulaires, tous les documents annexes communiqués au membre d'Arcadie, toutes les photos envoyées en supplément ont été reliés dans cette collection, ce qui en fait un document irremplaçable sur les premières années du mouvement.



Ceux qui auraient la vision d'un mouvement un peu "vieillot" et timoré ne doivent pas oublier qu'il a ouvert sa revue à un dessinateur comme Jean Boullet, présenté les ouvrages d'Augiéras, projeté Un Chant d'amour, de Jean Genet, au moment où il n'avait aucun visa 'exploitation.

Nota : Le premier numéro de la revue Arcadie, qui signe la naissance du mouvement, est daté de janvier 1954. Dans le faire-part, c'est 1956 qui est indiquée. Sauf à penser qu'il s'agisse d'une erreur, je n'ai pas trouvé d’éléments permettant de corroborer cette date. Cette année-là, l’événement marquant est le procès intenté à André Baudry pour la publication de la revue Arcadie.

Robert Mapplethorpe, "habillé" par Florent Rousseau

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L'ouvrage de ce jour est l'association d'un grand photographe et d'une relieur contemporain imaginatif et créateur :


En 1988, paraît un ouvrage sur Robert Mapplethorpe, signé Richard Marshall, publié à l'occasion d'une exposition qui s'est tenue au Whitney Museum of American Arts, de New York du 23 juillet au 23 octobre 1988.


C'est un exemplaire de cet ouvrage qui a été relié en 2014 par Florent Rousseau :


La fragile reliure est conservée dans une emboîtage :



J'ai cherché une image emblématique. J'ai choisi cette mise en regard d'un arum, stylisé par le regard du photographe, avec ce garçon, la mise en page rendant érotique le rapprochement de ces 2 photos.


Autre image, plus souvent reproduite :


Robert Mapplethorpe, dans un autoportrait où il se montre dans une forme de simplicité qui ne lui est pas habituelle :



La couverture :

Florent Rousseau a signé sa composition de cette petite pièce de cuir portant un emblème fort suggestif :



J'ai déjà présenté une reliure de Florent Rousseau sur ce site. Il s'agissait d'une création pour couvrir l'édition originale du Captif amoureux de Jean Genet :


Garçons de joie

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Le nouvel ouvrage de Nicole Canet et de la galerie "Au Bonheur du Jour" est arrivé. Faisant suite à un premier ouvrage de 2012 : Hôtels garnis, Garçons de joie, 1860-1960, celui-ci poursuit l'exploration de ce même thème. Le premier ouvrage était plus historique, explorant les archives de la Préfecture de Paris. Celui-ci fait la part belle à une riche iconographie souvent très érotique. On y trouve des belles séries d’œuvres de Roland Caillaud, de René Bolliger, d'Ernst Hildebrand et de bien d'autres, moins connus, voire anonymes.

La couverture illustrée d'un dessin de Roland Caillaud est déjà une "mise en bouche" (si j'ose cette expression), qui donne envie d'en voir plus. Je vous dévoile quelques images de ce que vous pourrez y découvrir :





Pour découvrir et commander le livre : cliquez-ici.

Le site de la galerie a été refondu. N'hésitez pas à aller faire un tour :  http://www.aubonheurdujour.net/



Glanes

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Mais que regardent ces tendres jeunes gens ?


Est-ce ce bel homme musculeux?


Il semblerait bien que oui :


Mais de quoi s'agit-il ?

Jean-Jacques Lagrenée (Paris 1739 - 1821) : Archimède sortant du bain


Les hasards des ventes aux enchères nous donnent d'autres occasions de belles découvertes. Ce ne sont pas toujours des chefs d’œuvre, mais ce sont souvent des occasions de découvrir comment le corps masculin a toujours été mis à l'honneur dans le temps, souvent sous des prétextes historiques, mythologiques ou ethnologiques.

Par exemple, ce fort médiocre tableau du XIXe siècle, vendu récemment à Lyon, réserve quelques bonnes surprises sur l'image qu'un peintre néo-classique anonyme pouvait avoir du corps masculin.

Le vue complète du tableau nous permet de découvrir quelques images surprenantes :

École française du XIXe siècle : La porte des enfers, " discite justitiam moniti " (Enéide, Livre VI)

Mais voyons les détails :




Est-ce l'Apollon callipyge ?

J'en profite pour présenter quelques glanes un peu anciennes :

Remarquez le déhanché de ce torse d'Apollon !



Arthur Dupagne (1895 - 1961) : Piroguier






 Charles-Alphonse Combes (1891-1968) : La danse du feu

 Francesco Salviati (Florence 1510 - Rome 1563)


Jacques d'Adelswärd-Fersen, l'insoumis de Capri, de Jacques Pérot et Viveka Adelswärd

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J'ai souvent eu l'occasion de parler de Jacques d'Adeslwärd-Fersen sur ce blog, une des belles personnalités de notre histoire homosexuelle. Jusqu'à maintenant, il n'existait pas de biographie directement accessible. L'Exilé de Capri de Roger Peyrefitte ne pouvait pas être considéré comme une source fiable. Au mieux, peut-on la lire quand on aime le style (fort vieilli) de Peyrefitte.


Cette lacune est maintenant comblée grâce à la belle biographie de Jacques Pérot et Viveka Adelswärd : Jacques d'Adelswärd-Fersen, l'insoumi de Capri, qui vient de paraître. 

C'est une biographie documentée, précise, qui obéit aux règles actuelles du genre : des faits vérifiés et sourcés, des travaux de recherche documentaire, un écriture précise. J'aime ce type de biographie qui pourrait paraître froide (ce que certains ont appelé des biographies notariés...). Dans le cas présent, ce récit de la vie de Jaques d'Adelswärd se lit avec plaisir grâce à l'élégance et la fluidité du style.

Mais au-delà de ces commentaires de forme, cette biographie apporte plusieurs éléments nouveaux qui enrichissent notre connaissance de la vie du baron comme la correspondance inédite de son cousin Adolf qui permet de voir "de l'intérieur" la perception de l'affaire par sa famille ou des textes inédits, comme celui qui permet de confirmer que Fersen se serait suicidé.

A la différence de la majorité des biographies d'écrivains, les auteurs ont fait le choix de publier de nombreux extraits de textes de l'auteur, soit pour appuyer des faits de sa vie (Jacques d'Adelswärd s'est beaucoup raconté), soit pour illustrer ses sentiments ou ses pensées, soit, tout simplement, pour faire découvrir ses œuvres. Excellente initiative qui permet au lecteur de découvrir l'œuvre de Fersen. En effet, ses livres sont difficilement accessibles et peut-être que tout le monde n'a pas le temps (et parfois le courage) de découvrir les beaux textes de Fersen au sein d'une production abondante.

Ce beau portrait de l'adolescent Milès orne le dernier chapitre du bel ouvrage de Jacques d'Adelswärd-Fersen :
Le Baiser de Narcisse, 1912, illustré par Ernest Brisset.

J'aurais peut-être aimé qu'une place plus grande soit faite à la revue Akademos, même si un chapitre entier lui est consacré. En effet, il faut toujours répéter que c'est la première revue homosexuelle française, même si elle n'était pas que cela (récemment, on a essayé de lui retirer ce privilège d'antériorité au profit d'Inversions, autre revue méritoire). Mais c'est peut-être que j'aurais voulu un livre plus militant, mais ce n'était pas le propos des auteurs, ce qui est probablement mieux. Pour rester dans cette thématique, j'ai beaucoup apprécié la mise en valeur et la reconnaissance de la belle relation ente le baron et Nino, cet amour qui a traversé les années. Bel exemple de fidélité.

Sur cette photo peu connue, récemment publiée par les éditions Quintes-Feuilles (voir commentaires),
on y voit Nino Cesarni à gauche et Jacques d'Adelswärd à droite. La troisième personne n'est pas identifiée.



Si le grain ne meurt, André Gide, 1924

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Mais, saisissant la main qu'il me tendait, je le fis rouler à terre. Son rire aussitôt reparut. Il ne s'impatienta pas longtemps aux nœuds compliqués des lacets qui lui tenaient lieu de ceinture; sortant de sa poche un petit poignard, il en trancha d'un coup l'embrouillement. Le vêtement tomba; il rejeta au loin sa veste, et se dressa nu comme un dieu. Un instant il tendit vers le ciel ses bras grêles, puis, en riant, se laissa tomber contre moi. Son corps était peut-être brûlant, mais parut à mes mains aussi rafraîchissant que l'ombre. Que le sable était beau! Dans la splendeur adorable du soir, de quels rayons se vêtait ma joie!...
Ce beau texte est extrait du livre le plus personnel d'André Gide, du moins de mon point de vue. Si le grain ne meurt a d'abord paru dans un petit tirage confidentiel et privé de 12 exemplaires pour le premier volume en 1920 et de 13 exemplaires pour le deuxième volume en 1921. Quelques années plus tard,  André Gide se décida à le rendre public. C'est un exemplaire de cette première édition publique, de 1924, en 3 volumes, que j'ai eu le plaisir d'acquérir dans une belle reliure de Devauchelle. Un beau texte, qui me touche, dans un beau tirage, recouvert d'une belle reliure, que demander de plus ?


Pour ceux qui veulent en savoir plus sur la première édition, la fiche de ce libraire (en anglais) présente un des rares exemplaires : cliquez-ici.
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