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« je respire par sa bouche, je vis de sa vie » : Vautrin, de Balzac

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 Vautrin et Rastignac, un autre jeune homme 
qui a fait l'objet de toutes les attentions de Vautrin.


Vautrin est un des personnages les plus célèbres de La comédie humaine, de Balzac. Au-delà de son rôle majeur dans plusieurs ouvrages, en particulier Le père Goriot, Les illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, il est, pour ce qui nous intéresse, le premier personnage homosexuel de la littérature. Certes, pour un lecteur moderne, son homosexualité doit être devinée ; elle n'est jamais explicitement montrée et encore moins dite. Elle est pourtant manifeste, trouvant son apothéose dans la relation, certes platonique, entre Vautrin, sous le nom de Carlos Herrera, et Lucien de Rubempré.

Devant le succès du personnage, dont il faut avouer qu'il est particulièrement bien marqué et présent dans le roman, Balzac en a tiré une pièce en 5 actes qui a été jouée pour la première fois le 14 mars 1840. L'histoire a été en partie transposée, mais aussi modifiée. L'objet de l'amour en même temps homosexuel et paternel de Vautrin, s'appelle Raoul de Frescas.

Lisons cette quasi déclaration d'amour de Vautrin (acte III, scène III) :
Raoul de Frescas est un jeune homme resté pur comme un ange au milieu de notre bourbier, il est notre conscience. Enfin, c'est ma création ! Je suis à la fois son père, sa mère, et je veux être sa providence. J'aime à faire des heureux, moi qui ne peux plus l'être ; je respire par sa bouche, je vis de sa vie; ses passions sont les miennes, je ne puis avoir d'émotions nobles et pures que dans le cœur de cet être qui n'est souillé d'aucun crime. Vous avez vos fantaisies, voilà la mienne !

Autre passage, où Vautrin répond à Raoul de Frescas (acte III, scène X) :
Ton bienfaiteur !... Tu m'insultes. T'ai-je offert mon sang, ma vie? suis-je prêt à tuer, à assassiner ton ennemi, pour recevoir de toi cet intérêt exorbitant appelé reconnaissance. Pour t'exploiter, suis-je un usurier ? Il y a des hommes qui vous attachent un bienfait au cœur, comme on attache un boulet au pied des..... suffit !.. ces hommes-là, je les écraserais comme des chenilles sans croire commettre un homicide ! Je t'ai prié de m'adopter pour ton père. Mon cœur doit être pour toi ce que le ciel est pour les anges, un espace où tout est bonheur et confiance, tu peux me dire toutes tes pensées, même les mauvaises.

Ce passage montre bien toute l'ambiguïté de la relation entre eux. Là où Raoul de Frescas voit en Vautrin un bienfaiteur, envers qui il doit montrer de la reconnaissance, Vautrin, lui, voit une relation d'amour filial et protecteur, où il n'attend pas de reconnaissance, mais quelque chose qui n'est pas dit dans ce texte. Il attend en retour un amour confiant à son égard. C'est du moins ce que je lis.

La dernière citation que j'ai sélectionnée, dans ce même acte, est cette réponse de Vautrin à Raoul de Frescas qui s'étonne de cet intérêt plein de mystère de Vautrin pour lui :
Tu n'avais rien, je t'ai fais riche ; Tu ne savais rien, je t’ai donné une belle éducation. [...] Un père . . . tous les pères donnent la vie à leurs enfans, moi, je te dois le bonheur...
Intéressant renversement où, de père aimant, faisant tout pour son "fils", il devient comme le débiteur amoureux de celui-ci.

Comme toujours sur ce blog, c'est l'acquisition récente d'un exemplaire de la première édition de ce texte, paru en 1840, qui m'a amené à le découvrir et à le présenter ici.

Pour ceux qui voudrait lire la pièce, elle est accessible sur Gallica dans ce recueil : cliquez-ici.

Cette pièce a été interdite dès le lendemain de sa première représentation car l'acteur principal, Frédéric Lemaitre avait eu l'idée de ressembler au roi Louis-Philippe (voir ici). J'avais à l'esprit qu'en réalité, elle avait été interdite à cause de l'homosexualité suggérée et trop explicite du personnage. Comme je n'ai retrouvé aucune référence de cela, c'est probablement le fruit de mon imagination, trouvant plus valorisant une interdiction pour homosexualité que pour une simple ressemblance avec Louis-Philippe.

Description de l'ouvrage



Vautrin, drame en cinq actes, en prose, M. de Balzac
Drame représenté sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 14 mars 1840.
Paris, Delloye, Libraire-Éditeur ; Tresse, 1840, in-8° (220 x 143 mm), [8]-247 pp.


Cet ouvrage contient une petite curiosité. Il y aurait dû y avoir une préface qui, pour cause d'arrêt de la pièce, n'a jamais été écrite par Balzac. Dans l'édition de la pièce, il a juste inséré cet avis :
M. de Balzac, retenu au lit par une indisposition très-grave, n'a pu écrire la Préface qui devait accompagner sa pièce de Vautrin, dont les représentations ont été arrêtées par l'autorité.
Cette Préface paraîtra dès que la santé de l'auteur lui permettra de la composer. Toutes les personnes qui auront acheté la présente édition auront droit à un exemplaire de ladite Préface, qui leur sera remis en échange du présent avis, qu'il est facile de détacher du livre.
Bon pour un exemplaire de la Préface de Vautrin.
Cette préface, très courte, a été publiée avec la 3e édition. Cependant, les avis sont restés dans les exemplaires, comme dans celui-ci.


Pour terminer le message, une image du film Vautrin, de Pierre Billon (1944), avec Michel Simon et Georges Marchal :


Glanes

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Pablo PICASSO, Grâce et mouvement
Zurich, Grosclaude, 1943, 14 compositions originales de Picasso gravées sur cuivre.

Vadim Androusov

Georges Grard (1901-1984) : Athlète accroupi, 1928


Œuvres de Marcel Damboise (1903-1992) :





Pour finir, une curiosité : un Saint-Sébastien totalement nu (je crois que c'est la première fois que je vois cela). Musée Antoine Lécuyer, Saint-Quentin (Aisne). C'est donné pour un travail allemand du XVIIIe avec une incertitude. Il manque l'unique flèche qui rappelait qu'il s'agissait d'un Saint-Sébastien (on distingue l'emplacement sur le mollet droit.



Hommage à Jean Genet

Glanes

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Riccardo Taurini (École Lombarde 1608 - 1678). Le Christ mis en croix

Un ex-libris discrètement gay

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Pam Rueter (1906-1998) est un graveur hollandais, qui s'est surtout illustré dans la production d'ex-libris (plus de 1000, selon sa notice Wikipedia).
Pour l'ex-libris que je présente, il a mis son talent à son service, en gravant son ex-libris personnel. Celui-ci était apposé sur un ouvrage de sa bibliothèque, qui vient de rejoindre ma bibliothèque.

Au hasard de mes glanes, j'ai déjà rencontré cet artiste. Parmi les œuvres présentées dans ce message (L'univers d'un esthète bruxellois), il y avait un tableau qui ne laisse aucun doute sur ses préférences (pas plus d'ailleurs que l'ouvrage qui contenait cet ex-libris) :


J'ai trouvé cette photo de Pam Rueter :


Litterature Gay 1920-1930

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Au fil du temps, j'ai enrichi ma bibliothèque de cette riche production des années 1920-1930 qui a vu surgir pour la première fois, me semble-t-il, une abondante littérature, variée dans son style et son objet, qui parle d'homosexualité. C'est simplement un florilège que je présente ici, qui ne se prétend ni exhaustif, ni même ordonné. C'est en voyant ces livres sur les rayons de ma bibliothèque que je me suis dit qu'il fallait rendre hommage à ces hommes qui ont bravé les interdits ou, plus simplement les préjugés. J'avais déjà parlé de certains d'entre eux. Je renvoie à ce que j'en ai dit. Pour d'autres, il me reste à vous les présenter.

Un roman, le dernier entré dans ma bibliothèque : Au Poiss d'Or, hôtel meublé, d'Alec Scouffi, 1929, dont la belle couverture permet en soi de dater l'ouvrage :


L'auteur, Alec Scouffi a été assassiné en 1932, probablement par un de ses amants de passage. Je renvoie à cet article, très caractéristique de la manière de traiter les meurtres d'homosexuels : cliquez-ici.

La série des Frédi, par Max des Vignons, 1929-1930 :




Un petit ouvrage très attachant, mal connu, qui est un véritable plaidoyer en faveur de l'amour des hommes : Platoniquement, par Axiéros (Pierre Guyolot-Dubasty), 1924 :


J'en reparlerai. Il ne faut pas entendre "platoniquement" dans le sens qu'on lui donne aujourd'hui, mais comme une référence aux mœurs de Platon. Ce n'est pas non plus une nostalgie de l'amour grec. Si je n'avais pas peur de faire un anachronisme, je le sous-titrerais "Gayement".

C'est un livre qui s'avère aussi courageux que le célèbre Corydon (première édition publique en 1924) (cliquez-ici) :



Il y a le très connu Le 3e sexe, de Willy (Henry Gauthier-Villars), peut-être un sympathisant (cliquez-ici) :



Un ouvrage hors norme, d'une personnalité totalement oubliée (son antisémitisme viscéral et ses divagations idéologiques n'y sont pas étrangers)
Le sexe androgyne, Camille Spiess, 1928


La réédition d'un grand classique :
Alcibiade enfant à l'école, signé D.P.A, 1936

Histoire de l'amour grec dans l'antiquité, par M.-H.-E. Meier, augmentée d'un choix de documents originaux et de plusieurs dissertations complémentaires par L.-R. de Pogey-Castries, 1930 (cliquez-ici). Quand l'érudition est au service de la cause.



Contes d'Amour des Samouraïs. XIIe siècle japonais, Saïkakou Ebara, 1927

Mes communions, Georges Eekhoud, 1925, une édition magistralement illustrée (cliquez-ici) :


Un protestant, Georges Portal, 1936 (je renvoie au message d'un blog ami : cliquez-ici)

Billy. Idylles d'amour grec en Angleterre, Jean d'Essac, 1938, un petit roman sympathique et bienveillant (on a aussi besoin de cela) (cliquez-ici) :



Les Procès de Sodomie aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Dr Ludovico Hernandez [Louis Perceau et Fernand Fleuret], 1920 (cliquez-ici) :



Chez les mauvais garçons, Michel du Coglay, 1937, qu'il me reste à décrire. Un ouvrage pas spécifiquement sur les homosexuels, mais où ils sont très présents (un chapitre entier leur est consacré).

Les éphèbes, Guy Lévis Mano, 1924 (cliquez-ici) :



25 dessins d'un dormeur, Jean Cocteau, 1929, éloge dessiné, homoérotique, d'un garçon aimé  (cliquez-ici) : 



L'ersatz d'amour, Willy et Ménalkas, 1923, où l'on retrouve Willy, dans un roman qui mérite d'être découvert.


Le supplice d'une queue, [François-Paul Alibert], 1930, le seule ouvrage clairement érotique de cette liste (cliquez-ici) :



Jésus la Caille, Francis Carco, édition illustrée par Dignimont, 1929 (cliquez-ici) :



C'est volontairement que j'ai mis sur le même plan des romans un peu accrocheurs et des ouvrages fondamentaux comme le Corydon d'André Gide et cela parce que je pense que chacun contribue, à sa manière, à la cause homosexuelle.

Escal-Vigor, de Georges Eekhoud, 1899

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Je sors d'un assez long silence pour partager ma dernière découverte avec mes lecteurs : Escal-Vigor, de l'écrivain belge Georges Eekhoud. Je connaissais évidemment ce roman,mais je n'avais jamais eu l'occasion de le lire. J'ai été subjugué. Ce roman publié en 1899 par la Mercure de Franceest maintenant reconnu comme le premier roman dont les personnages principaux sont homosexuels et qui porte un message positif et ouvert sur l'homosexualité. Mais, au delà de cet aspect historique, important pour moi, il y surtout un beau texte au service d'une belle histoire, malgré la fin tragique.


D'abord, l'histoire, que je résume :
Henry de Kehlmark revient s'installer dans son château d'Escal-Vigor, au bout d'une île imaginaire d'un pays du nord de l'Europe. Il est accompagné d'une gouvernante, Blandine, femme avec qui il a eu une brève liaison. Elle lui voue une admiration et un dévouement sans bornes. Au cours d'une fête mêlant peuple et notable, il rencontre Guidon, le jeune fils (18 ans) d'un notable du coin, garçon rebelle et sauvage. Il en tombe amoureux et n'aura de cesse de l'approcher, s'en faisant d'abord son professeur, son maître, lui révélant ses talents pour l'art, jusqu'à le faire venir vivre avec lui, dans son château. Ils partagent un amour serein et épanoui. Dans le même temps, son argent et son titre attirent la convoitise de Claudie, la sœur de Guidon, qui voudrait l'épouser. Cette âme basse ne ménage pas ses manœuvres pour y arriver. Autre personnage trouble de son entourage, le cocher Landrillon, « une âme rapace et trigaude. », qui pour sa part convoite Blandine, n'hésite pas à utiliser le chantage – il est le seul à avoir complètement compris la nature de la relation entre Kehlmark et Guidon – pour arriver à ses fins. La tension entre ces êtres conduit Kehlmark à expliquer ses mœurs à Blandine et à les lui faire accepter. Lors d'une kermesse du village, le peuple des femmes d'abord, puis des hommes, conduit et aiguillonné par Claudie et Landrillon « lynchent » Guidon, puis Kehlmark, qui meurent dans les bras l'un de l'autre, sous le regard de Blandine.


Ce qui m'a frappé à la lecture de toute la scène finale où le peuple en furie moleste, bat et viole Guidon, c'est que le motif de l'homosexualité n'est pas celui qui est mis en avant. Alors que la violence est déjà déchaînée, l'accusation d'homosexualité est seulement utilisée par Landrillon pour attiser une peu plus la violence des femmes. En fait, ce qui met ce peuple en furie, c'est la frustration. La frustration sexuelle d'abord. Cette kermesse est une sorte de carnaval où les valeurs sont inversées. Ce sont les femmes qui partent à la chasse aux hommes, dans une atmosphère décrite de plus en plus échauffée, en particulier pour celles qui n'ont pas trouvé l'homme (notons que la langue d'Eekhoud rend admirablement cette montée de la tension sexuelle). Quand elles s'en prennent à Guidon, c'est surtout à un homme qui se refuse à elle sexuellement. C'est la frustration sexuelle de Claudie qui, malgré tous ses efforts, n'arrive pas à créer le désir chez Kehlmark. C'est aussi la frustration sexuelle de Landrillon, qui convoite Blandine. Certes, grâce à son chantage, elle s'est donnée à lui (pour utiliser le vocabulaire de l'époque), mais lorsque elle se dédie, tous ses désirs inassouvis de « posséder » cette femme sont un carburant à sa haine. Remarquons au passage que la vision des rapports entre les hommes et femmes chez Eekhoud me semble assez stéréotypée. Peut-être est-ce le souhait d'opposer ces mœurs d'une société traditionnelle à ceux qu'il veut défendre. Mais la frustration n'est pas seulement sexuelle. Elle est sociale. L'argent, la reconnaissance sociale, sont omniprésents dans les désirs des protagonistes. Claudie veut l'argent et, surtout, le titre de Kehlmark. Elle veut être la châtelaine de l'île. Landrillon veut aussi l'argent de Blandine, mais, plus encore, la respectabilité d'un mariage installé. C'est ce cocktail détonnant qui explose à la vue de ce couple qui est comme une injure en face de toutes ces frustrations. Là où il sont tous à la recherche de la satisfaction de leurs pulsions, Kehlmark et Guidon présentent l'harmonie de leur amour et de leurs désirs. Là où ils sont tous travaillés par l'argent et la reconnaissance sociale, Kehlmark et Guidon présentent leur amours des arts, la jouissance des sentiments partagés, tout chose qui s'opposent à ces vulgarités. Quelque part, c'est leur bonheur qui est jeté en pâture à tous ces êtres travaillés par l'envie, le désir, la jalousie, voire la haine. Il suffit alors d'un rien pour que le déchaînement de violence explose. C'est en cela que ce roman m'a plu car il ne se met pas dans un schéma trop simple d'homophobie, pour utiliser un terme moderne, mais plutôt dans une opposition frontale entre un désir qui s'épanouit et une frustration totale.


Il faut reconnaître que Georges Eekhoud donne une vision du peuple pour le moins ambivalente. A l'instar de son personnage principal, il montre de la sympathie pour ce peuple, de la bienveillance, que l'on jugerait aujourd'hui un peu condescendante, voire de l'intérêt pour ses mœurs, sa culture, ses croyances, etc. A côté de cela, la vision qu'il en donne, en particulier lors de la fête finale, est celle d'une violence toujours prête à se mettre en mouvement, un aveuglement, une furie, qui laisse penser qu'il voit le peuple comme un être dangereux, incontrôlable. D'une certaine manière, il aime le peuple domestiqué et apprivoisé, comme ce qu'il a fait avec Guidon, en regard d'un peuple obscur, violent, insaisissable. Landrillon est le contre-modèle de Guidon car, dans le portrait qu'il en donne, il n'y a rien à sauver.


Ce qui fait le sel de ce livre, c'est d'abord l'affirmation claire d'une homosexualité assumée par Kehlmark. C'est Blandine, prise dans un dilemme insoutenable pour cette âme pure, entre les sollicitations de Landrillon – on parlerait aujourd'hui de harcèlement – et sa dévotion – c'est le mot – pour Kehlmark, qui oblige celui-ci à se dévoiler. C'est ainsi que mezzo voce, car Eekhoud doit garder une certaine prudence, il nous est donné à lire un plaidoyer en faveur de la reconnaissance de l'homosexualité. Plus largement, d'une sexualité épanouie, comme le dit Kehlmark : « Avec Guidon et Blandine, il se sentait de force à créer la religion de l'amour absolu, aussi bien homo qu'hetérogénique. » (c'est le vocabulaire du livre !). Au début de ma lecture, avec le style inimitable de l'auteur, je craignais que l'on reste dans l'allusif, l'implicite, le suggéré. Mais, non. Au milieu de ce langage précieux, parfois affecté, on voit même apparaître le mot « sexuelle », ce que j'aurais presque vu comme un gros mot, en abordant ce livre.


La lecture de la scène finale de la fête au village, qui se termine par cette violence, m'a rappelé immédiatement un livre d'Alain Corbin : Le Village des « cannibales », récit et étude d'un cas de violence collective des habitants d'un village de la Dordogne à l'encontre d'un aristocrate du coin, qu'ils finiront par tuer et brûler. Les motifs sont différents, mais la dynamique de la violence qui monte et qui se nourrit d'elle-même, très bien décrite par Georges Eeekhoud, est la même. Elle est très finement analysée dans cet ouvrage de Corbin.

Pour moi qui suis un peu fétichiste du livre, ce qui a aussi redoublé mon plaisir, c'est de lire ce texte dans un exemplaire de l'édition originale de 1899. Quand je tournais les pages, je manipulais ces mêmes pages, qu'a lues ce premier lecteur qui l'a acheté et fait agréablement relié. Au cœur de la nuit (j'ai fini de lire tard cette nuit), je m'imaginais un lecteur de la Belle époque, ayant découvert par hasard l'existence de ce livre qui parle de ses mœurs, grâce à une chronique littéraire d'un journal de l'époque, lui laissant deviner entre les mots tout l'intérêt pour lui de ce texte. Peut-être comme moi, il y plus de cent ans, il a lu avec ferveur ce livre, touchant ce même papier que j'ai moi-même touché, tenant entre ces mains ce cuir maroquin que j'ai moi-même tenu, et, par cela, me transmettant cette passion à travers les ans.


Peut-être est-ce aussi à l'occasion du procès qui lui a été attenté pour pornographie que notre lecteur inconnu a découvert ce livre. En définitive Georges Eekhoud a été acquitté par le tribunal de Bruges, après avoir été défendu par de nombreuses grandes plumes de l'époque, où l'on trouve Émile Zola, Octave Mirbeau, Anatole France, etc.

Il existe plusieurs rééditions de ce livre. Je vous conseille celle-ci : cliquez-ci, des Éditions Séguier, par la spécialiste de Georges Eekhoud, Mirande Lucien. Il existe aussi une version numérise sur Gallica : cliquez-ici.

Il n'existe malheureusement pas d'édition illustrée. J'ai donc puisé dans les illustrations de Mes Communions, par Frans de Geetere. Elles rendent admirablement l'atmosphère du livre. Il y a aussi un forme de clin d’œil, car la nouvelle Climatérie est le récit de la jeunesse d'Henry de Kehlmark dans le collège suisse où sa grand-mère l'avait placé (voir le message que je lui ai consacré : cliquez-ici).



Description de l'ouvrage


Escal-Vigor, Georges Eeekhoud
Paris, Mercure de France, 1899, in-8°, 261 pp.


L'édition originale de cet ouvrage est rare dans les bibliothèques publiques. Je n'ai trouvé que 3 exemplaires en France (source : CCFr) : 2 exemplaires à la BNF et un à la bibliothèque de l'Institut (fonds Lovenjoul), auxquels il faut ajouter 3 exemplaires de la 4e édition de 1900 à la BNF et un exemplaire de la 9e édition de 1923 à Limoges.

Faune au chevreau

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Faune au chevreau, attribué à Jacques-François-Joseph Saly (1717-1776)

Delacroix et la beauté masculine

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« Je regarde avec passion et sans fatigue ces photographies d’après des hommes nus, ce poème admirable, ce corps humain sur lequel j’apprends à lire et dont la vue m’en dit plus que les inventions des écrivassiers. » Ces quelques mots tirés de son Journal (5 octobre 1855) éclairent le rapport du peintre Eugène Delacroix à la photographie. Les photos que je présente dans ce message ont été prises par Eugène Durieu sur les indications du peintre lors de deux séances de poses successives en juin 1854. Elles ont été rassemblées dans un album qui est déposé à la BNF. J'ai sélectionne quelques une des vues. La totalité de l'album est visible à cette adresse : cliquez-ici.

Le modèle que l'on retrouve dans toutes les photos est une homme musclé, qui visiblement, ne laissait pas Delacroix insensible (je rappelle que Delacroix est resté célibataire et que l'on connaît fort peu de choses sur sa vie sentimentale). Ce qui m'a le plus surpris dans cette série est que l'idéal de la beauté masculine s'éloigne significativement des standards modernes, même quand cela concerne un homme musclé.  La raison principale, me semble-t-il, est que cet homme s'est probablement musclé grâce à un travail de force quotidien (fort des halles, manutentionnaire, homme de peine) et non pas par une sculpture étudiée de son corps comme aujourd'hui.



























Pour finir, cette très belle photo d'un dos féminin :


Nu masculin

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Poursuivant mon exploration de la photo masculine, je fais un saut temporel de plus de 150 ans pour passer directement de Delacroix - les photos de nus masculins que j'ai présentées dans le message précédent - à une très belle revue qui vient de paraître : le n° 7, du magazine Normal, entièrement consacré au nu masculin. 

Hans Withoos



Au passage, cette confrontation temporelle illustre parfaitement ce que je disais à propos de l'évolution des canons de beauté masculine  pour les hommes musclés. Autre différence, peut-être seulement possible grâce aux progrès techniques de la photo et de la reproduction, une sophistication de l'image qui ne semblait pas envisageable en 1850. J'avoue d'ailleurs qu'entre le grain des photos de 1850 et les images de notre temps, mon choix est vite fait. Ceci dit, cela n'enlève rien à l'intérêt, à la beauté et à la diversité des travaux photographiques présentés. J'ai fait ma sélection, totalement subjective.

 Arman Livanov

 Erwin Olaf

Gérard Rancinan

Olivier Valsecchi

Cédric Roulliat

Erwin Olaf

Leonardo Corredor

Stefanie Renoma

Je signale l'interview de James Bidgood. J'espère que pour les lecteurs de mon blog, le nom de Bidgood n'est pas totalement inconnu. Certes, c'est une autre époque. J'ai d'ailleurs souvent songé à présenter son œuvre, qui a été magnifiquement mise en valeur dans un livre des éditions Taschen en 1999. C'est un bel interview, entre amertume, lucidité et espoir.


Lien vers le site de la revue Normal : cliquez-ici.

Serge Lifar

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Louis Marcoussis  (1878-1941) : Serge Lifar,  1933, Eau-forte et burin en noir et bistre

Cocteau et quelques autres

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Aujourd'hui à Paris, ont été vendus ces quelques dessins, photos, etc.

Jean Cocteau : La Tache du Diable

Jean Cocteau : 3 têtes sous un même bonnet ” ou la Vierge au grand C… avec Léon Daudet et Étienne de Beaumont [Piquey 1917]

Jean Cocteau : Portrait de Jeune Homme de face et de profil.
 
Jean Cocteau : Les Deux acrobates.
 
Jean Cocteau : Beau dessin représentant Christian Bérard travesti.

Jean Cocteau : Homme nu assis.
 
Jean Cocteau : Dessin original à l'encre, signé avec envoi autographe, 1930, sur la couverture de la voix humaine. Profil “ À mon cher petit Jean [Bourgoin] ”.

Paul Stecker : Jean Cocteau et Raymond Radiguet au Piquey (Ancienne Collection Jacqueline Apollinaire)

Marcel dit “ Pas de Chance ”. Portrait photographique carte-postale avec envoi autographe, signé à Jean Cocteau. Très rare portrait “ en marin ” de celui qui se trouvera transposé dans Le Livre Blanc en 1928.

 Jean Cocteau et Darius Milhaud

Roland Caillaux : Les Toréador de dos et de face. Crayon et lavis original, signé et daté 1947

Roland Caillaux : Le Marin.
 
R. Niedergang

Paul Smadja : Le Marin nu.

Glanes

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Georges Desvallières (1861-1950) : Eros à la flûte de Pan, 1910

Henri François Riesener (Paris 1767 - 1828) :Académie de guerrier, le dernier des Horaces

Pierre Dumonstier l'aîné (vers 1553 - Paris, 1601) : 
Bernard Nogaret, seigneur de La Valette, amiral de France (1553-1592), vers 1584-1585



Les petites joies du collectionneur de livres

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L'amour des livres n'est pas exempt de fétichisme. C'est ainsi que j'ai acheté récemment un exemplaire de la première édition de Le Vieillard et l'Enfant de François Augiéras, publié en 1950 avec deux petites choses qui lui donnent tout son prix. La première est que la bande d'éditeur a été conservée. Vous connaissez tous ces bandes rouges (ce ne sont plus des bandes à proprement parler car elle ne sont plus fermées) que les éditeurs ajoutent aux livres comme publicités. Nombreux sont ceux qui s'empressent de les retirer et de les jeter. En pourtant, quelle satisfaction de trouver un exemplaire qui contient encore sa bande, comme celle qui entourait ce livre d'Augiéras!


Comme argument de vente, elle porte cette belle phrase d'encouragement d'André Gide : « L'intense et bizarre joie que j'éprouve à la lecture (et relecture) des ces pages remarquables entre toutes. »

Elle est un peu déchirée et salie, mais, peu importe, elle est là....

L'autre petit détail est que François Augiéras à ajouter son nom et son adresse de sa main sur la page de titre.


Là aussi, c'est un petit rien, mais cela donne un peu d'épaisseur à cet exemplaire, lorsque j'imagine François Augiéras penché sur l'ouvrage, traçant ces quelques lignes de son écriture un peu appliqué et maladroite, si caractéristique avec ce mélange de majuscules et minuscules dans les mots, comme dans son nom ou dans Périgueux.


C'est tout pour aujourd'hui. Pas de beaux garçons, mais l'envie de partager ce qui fait les petites joies de la vie du collectionneur de livres.

Meilleurs vœux pour cette année 2017

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En ces temps troublés, pleins de bruits, de fureurs, mais aussi d'espoirs, il est toujours plus indispensable de se rappeler nos guides du passé. Certes, nous connaissons Gide (qui a l'honneur d'être un des auteurs du bac cette année), Cocteau, Genet, Jouhandeau, Lorrain, etc. Mais il est aussi nécessaire de rappeler à notre souvenir ces "obscurs" qui, par leurs écrits, ont apporté leur contribution à notre histoire.


En cette année 2017, j'aimerais rendre hommage à Pierre Guyolot-Dubasty (1898-1927) qui a fait publier un recueil de quelques contes homosexuels en 1924 sous le pseudonyme d'Axieros. Paru la même année que la première édition publique du Corydon de Gide, ce livre, encore un peu maladroit, est passé inaperçu. Même aujourd'hui, il est bien oublié alors que, par certains aspects, il s'avère plus moderne que le Corydon. J'espère pouvoir vous entretenir plus de ce livre dans les semaine qui viennent. J'espère aussi pouvoir terminer cette étude sur Pierre Guyolot, qui m'a déjà permis de trouver d'intéressants éléments sur sa vie.



Boris Kochno et Christian Bérard

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Une maison de ventes aux enchères  propose des archives de Boris Kochno et Christian Bérard. Pour mieux connaître ces deux personnalités de la vie artistique et gay de l'entre-deux-guerres, j'ai reproduit la présentation du catalogue de vente en fin de message.

J'ai extrait ces documents qui m'ont plu, en particulier les dessins de Christian Bérard où, derrière la simplicité du trait, se dévoile une réelle fascination pour le charme masculin. Le premier dessin me semble parfaitement illustré mon propos. J'espère que vous partagerez mon choix.

Dessins de Christian Bérard :











Deux peintures de Christian Bérard:



Autres artistes :

Fernand Léger : nu masculin

Kliment Nikolaevich Red'ko : Portrait de Boris Kochno, pastel

Photos de Boris Kochno : 



Photo de Christian Bérard : 

 

Composition illustrant le catalogue de la vente :


Lien vers la vente : cliquez-ici.
Lien vers le catalogue : cliquez-ici.

Préface du catalogue : 

Bébé est le surnom que ses compagnons des académies de peinture de Montparnasse donnèrent à Christian Bérard, évoquant ainsi sa ressemblance avec le bébé rose, joufflu et souriant des publicités pour un célèbre savon pour enfant. C’est par ce sobriquet que le peintre Pavel Tchelitchev fit un portrait de ce personnage rocambolesque à Boris Kochno. Ce dernier le rencontra pour la première fois alors qu’il était encore en relation avec Serge de Diaghilev auquel Jean Cocteau et Henri Sauguet avaient vanté les talents du peintre Christian Bérard. Il envisageait de lui confier les décors pour La Chatte, le ballet en préparation en 1926 pour les Ballets russe de Monte-Carlo. Boris Kochno décrivait alors Christian Bérard en ces termes : « C’était un jeune homme replet, de taille moyenne. Il avait les cheveux blonds, une bouche souriante et des yeux clairs et lumineux au regard candide. Je m’aperçus bientôt que ce visage ouvert et plein de charme changeait complètement selon les sentiments qui l’animaient et qui, parfois, modifiaient brusquement ses expressions et ses couleurs. »

Après la mort de Diaghilev en 1929, Bérard et Kochno commencent leur collaboration avec le ballet La Nuit sur une idée de Kochno. Celui-ci fut présenté au Palace Theatre de Manchester un an plus tard. Bérard travaillait également à l’époque au portrait de Kochno. Il le rejoignait dans son atelier qui était alors encore au domicile des parents de Bérard dans un hôtel particulier Villa Spontini. La peinture apparaissait avoir une emprise sur Bérard tel que Kochno l’expliquait : « Il me semblait ne plus être seul avec Bérard... J’avais l’impression qu’un être occulte le secondait dans son travail, guidant sa main gauche qui maniait le pinceau, ou bien la retenant à mi-chemin lorsqu’elle s’avançait vers la toile. Bérard paraissait suivre les conseils de quelqu’un qui se tenait derrière lui et lui parlait à l’oreille, car, par moment, il s’arrêtait de travailler, se retournait comme pour écouter ce qu’il lui disait, puis s’exclamait, tapait du pied et recommençait à peindre avec furie. »

En parallèle de La Nuit, Bérard exécutait les décors de La voix humaine, pièce en un acte de Jean Cocteau dont la première eut lieu au théâtre de la Comédie-Française le 17 février 1930. C’est à ce moment que Bérard et Kochno s’installèrent ensemble au Marquis’s Hôtel, place Pigalle, pour ensuite rejoindre pour de nombreuses années le First Hôtel, place Cambronne. Suivront ensuite pour Bérard la création des décors et costumes du ballet Cotillon (1932) exécuté par la troupe des Ballets russe de Monte-Carlo, la Machine infernale (1934) mise en scène par Louis Jouvet au théâtre de la Comédie des Champs-Elysées , Margot (1935), une comédie humoristique avec une musique de Georges Auric et Francis Poulenc, La Septième symphonie (1938), un ballet dont le livret et la chorégraphie sont de Léonide Massine, Renaud et Armide (1942), tragédie en vers de Cocteau interprétée notamment par Marie Bell, La Folle de Chaillot (1943) de Jean Giraudoux, Les Forains (1945), dont la musique est de Henri Sauguet et la chorégraphie de Roland Petit. L’on se doit enfin de citer l’étroite coopération qu’il entretint avec Jean Cocteau les dernières années de sa vie en travaillant aux décors et costumes de célèbres films tels que La Belle et la bête, L’Aigle à deux têtes ou encore Orphée.

Christian Bérard et Boris Kochno c’est aussi l’histoire de la vie mondaine avant-guerre. Ils étaient proches et amis de nombreuses personnalités : Coco Chanel, Christian Dior, Elsa Schiaparelli, Misia Sert, les Noailles, la comtesse Pastré, Louise de Vilmorin, Jean Cocteau, Léonide Massine, Georges Balanchine, etc. Les fêtes auxquelles ils ont participé étaient toujours l’occasion pour Bérard de se déguiser. C’était en effet pour lui une échappatoire aux exigences du raffinement. Car bien que « doué d’un sens exceptionnel de l’élégance vestimentaire », Bérard était de manière générale négligé dans sa tenue. Il portait néanmoins un soin particulier à la rendre extravagante : « … vêtu d’une salopette délavée ou d’un bleu de travail rapiécé et maculé de couleurs. Parfois, il s’enroulait autour du cou un grand foulard bigarré et épinglait aux vestes d’ouvrier qu’il portait une rose ou un œillet… » Ainsi en témoignent les nombreuses photos conservées de lui.

Depuis leur nouvel appartement du 2 rue Casimir-Delavigne, Bérard et Kochno organisèrent leur quotidien. Celui-ci se rythmait par les voyages de Kochno à Londres ou leurs vacances à Tamaris (1931) et le refuge trouvé pendant la guerre chez Jean Hugo au Mas de Fouques, chez la comtesse Pastré au château de Montredon ou encore au Goudes où Kochno avait une petite maison. Cette vie était également alternée par les séjours de Bérard « prisonnier d’inavouables habitudes » à la Maison de santé de Saint-Mandé où Boris Kochno l’accompagnait toujours. La relation des deux hommes fut très forte comme témoigne la correspondance passionnée qu’ils entretinrent.

Christian Bérard est mort de façon précoce sur scène alors qu’il supervisait la mise en place du décor des Fourberies de Scapin au Théâtre Marigny. Boris Kochno recueillit les condoléances de toute la société du spectacle, foudroyée par la perte brutale d’un génie. Sa vie durant Boris Kochno se consacra à promouvoir le travail de son ami intime, en perpétuant ainsi la mémoire. Il participa ainsi à l’organisation des expositions au Musée National d'Art Moderne de Paris (1950), au Musée Cantini de Marseille (1973), et rédigea, outre les nombreuses publications auxquelles il a collaboré, un ouvrage qui lui est entièrement consacré (1987).

Jean Maraix, par Christian Bérard

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Pour remercier ceux qui ont aimé le message précédent et qui me l'ont fait savoir par leurs sympathiques commentaires, je vous offre cette semaine ce beau portrait de Jean Marais par Christian Bérard.



Il est mis en vente parmi un ensemble de souvenirs et d’œuvres de Jean Marais, qui est proposé aux enchères dans quelques jours (25 mars).

Patti Smith et Rimbaud

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L'annonce de l'achat de la maison Rimbaud de Roche par Patti Smith a donné lieu à quelques confusions sur la maison qui a été réellement achetée et le lien entre cette maison, Rimbaud et Charleville.


Vitalie Cuif, la mère d'Athur Rimbaud, avait hérité de son père d'une ferme importante située au hameau de Roche  (commune de Chuffilly-Roche, Ardennes) à une quarantaine de kilomètres au sud de Charleville. Cette maison, par son importance au sein du village, satisfaisait probablement cette aspiration à la notabilité qui a hanté la mère de Rimbaud toute sa vie. Elle devait lui rappeler cruellement la situation sociale précaire qu'elle occupait à Charleville, aggravée par le départ de son instable mari.

Cette maison a été utilisée par les Allemands comme PC lors de la guerre de 1914-1918. Ils l'ont détruite au moment de leur retraite, ne laissant qu'un pan de mur. La maison achetée par Patti Smith a été construite sur le terrain, mais dans une situation différente et en retrait de la route.

Ces deux images permettent de nous représenter la maison telle que l'a connue Arthur Rimbaud.


La maison achetée par Patti Smith est celle-ci.


Cette vue permet de la situer par rapport au pan de mur subsistant que l'on voit sur la gauche de cette photo :


Pour évoquer le séjour d'Arthur Rimbaud à Roche, durant ce printemps et cet été 1873 pendant lesquels il écrivit Une saison en enfer, le journal de sa sœur Vitalie nous fournit un témoignage précieux. Cette jeune sœur, née 4 ans après Arthur Rimbaud,  a tenu un journal dans lequel elle a consigné les faits de sa vie de jeune fille. Au-delà de l'intérêt que peut présenter ce texte pour entrer dans l'intimité d'une adolescente du XIXe siècle, c'est pour nous l'occasion d'une évocation familière d'Arthur Rimbaud. Au printemps 1873, Vitalie, son frère aîné Frédéric, sa sœur Isabelle, et leur mère s'installent pour quelques mois à la ferme de Roche. Le vendredi-saint de cette année-là, ils ont la surprise de voir débarquer Arthur. Vitalie Rimbaud relate avec beaucoup de fraîcheur et d'émotion cette scène de retrouvailles familiales :
Nous nous étions mis à bêcher une partie du clos qui se trouve derrière la maison car nous avions la prévision d'en faire notre jardin potager, aussi bien qu'il devait renfermer de jolies fleurs. Ce travail tout nouveau pour nous excita singulièrement notre ardeur et il ne fut point de moment à nous qui n'était employé à cultiver la terre. La chaleur, la fatigue, rien ne nous rebutait ; la perspective de voir ce terrain cultivé de nos mains et fécondé de nos sueurs produire de dignes fruits de notre travail, suffisait pour surmonter tous les obstacles. Nous arrivâmes ainsi au Vendredi Saint. Ce jour devait faire époque dans ma vie car il fut marqué d'un incident qui me toucha particulièrement ; sans en être pour ainsi dire prévenus, l'arrivée de mon second frère vint mettre un comble à notre joie. Je me vois encore, dans notre chambre où nous restions habituellement, occupées à ranger quelques affaires ; ma mère, mon frère et ma sœur étaient auprès de moi, lorsqu'un coup discret retentit à la porte. J'allai ouvrir et... jugez de ma surprise, je me trouvai face à face avec Arthur. Les premiers moments d'étonnement passés, le nouveau venu nous expliqua l'objet de cet événement ; nous en fûmes bien joyeux, et lui bien content de nous voir satisfaits. La journée se passa dans l'intimité de la famille et dans la connaissance de la propriété qu'Arthur ne connaissait presque pas pour ainsi dire.
Leur vie se déroule, occupée par les travaux de jardinage et d'économie domestique. Seul, Arthur est engagé dans sa dernière œuvre littéraire, Une Saison en enfer :
Le mois de juillet [1873], ce mois extraordinaire pour moi maintenant, fut la cause de bien des sensations, de bien des déterminations. Pendant que des heures rapides s'écoulaient pour moi dans les champs, ma sœur Isabelle restait à la maison, avait soin du ménage ; elle prenait avec une sollicitude que je partageais moi-même quand je rentrais, un goût excessif à l'arrangement des petits lapins et des jeunes poussins qui venaient de nous être donnés ; ces petites bêtes étaient de notre part l'objet d'une préoccupation toute singulière. Mon frère Arthur ne partageait point nos travaux agricoles ; la plume trouvait auprès de lui une occupation assez sérieuse pour qu'elle ne lui permît pas de se mêler de travaux manuels.
J'ai découvert ce texte lors de notre visite du musée Rimbaud de Charleville il y a une an :


Pour finir, cette très belle interprétation de Because the night, par Patti Smith :

Amours secrètes

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C'est avec beaucoup de plaisir que j'annonce le nouvel ouvrage publié par Nicole Canet :

AMOURS SECRÈTES
Dans l'intimité des écrivains
De Marcel Proust à Jean Genet en passant par Pierre Loti, Renaud Icard et Roger Peyrefitte.


Texte de présentation :


Comme toujours, la parution est accompagnée d'une exposition de certaines œuvres illustrant ce nouveau livre (21 avril - 27 mai 2017).

Pour plus de détails, je vous renvoie vers le site de "Au Bonheur du Jour" : cliquez-ici.

Narkiss, Jean Lorrain, 1908

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"Narkiss vivait là, sauvagement nu dans sa beauté resplendissante et pareil aux idoles."


En juin 1898, Jean Lorrain fait paraître un conte dans Le Journal. C'est une variation sur le thème de Narcisse, transposé dans l’Égypte antique. Narkiss, "prince d’Égypte et fils et petit-fils d'innombrables pharaons était d'une beauté surhumaine." Il porte en lui le sang de la grande déesse Isis. Les prêtres d'Isis le soustraient à sa mère et le gardent dans "un vieux sanctuaire autrefois consacré à Osiris et dont les ruines gigantesques, les ruines de trois temples retournaient déjà depuis huit siècles à la nature, ensevelies sous les lianes, les prèles, les acanthes et les hauts papyrus d'un bras mort du Nil."
Il avait d'Isis les larges yeux hallucinants, les immenses yeux aux prunelles de nuit où palpitent l'eau des sources et le feu des étoiles. D'Isis il avait la face étroite et longue, le menton accusé et la pâleur sacrée, la pâleur transparente et comme rayonnante qui dénonce aux initiés la déesse sous ses voiles. La nuit, sous les hauts palmiers balancés par la brise, sa nudité éclairait les ténèbres, et les Anubis à têtes d'éperviers souriaient sur leur socle, quand au cliquetis de ses longs pendants d'oreille le petit pharaon s'avançait grave et lent. Narkiss était toujours scintillant de joyaux et fardé comme une femme. En cultivant sa terrible beauté, les très vieux prêtres eunuques, commis à sa garde et chargés d'efféminer en lui un futur tyran, obéissaient moins à un ordre qu'à l'occulte puissance d'un don des dieux enivrant et fatal : Narkiss résumait en lui toute la beauté d'une race.
Mince et souple avec de droites épaules et une taille étroite, il s'effilait aux hanches pour s'épanouir au torse et portait aux aines le signe de la lyre; il était la grâce et la force.
Maintenu cloîtré, sans contact, sans connaissance de sa royale naissance, il est même tenu à l'écart de tout ce qui pourrait lui refléter sa propre image. Une nuit, il travers les trois temples, jusqu'au bras mort du Nil. Là, il s'approche de l'eau :
Les yeux hallucinés, les prunelles agrandies, les doigts des mains écartés et leurs paumes tendues droit devant lui, Narkiss enivré descendait vers l'eau. Autour de Narkiss, la fragilité des iris, la féminité des lotus et l'obscénité des arums, phallus d'ambre dardés dans des cornets d'ivoire, éclairaient comme des flammes, tour à tour de jade, d'opale ou de béryl.
Cette fascination le mène à la mort :
Le lendemain, aux premiers rais de l'aube, les prêtres d'Osiris trouvèrent le petit pharaon mort, enlisé dans la boue, au milieu des cadavres et de l'immense pourriture amoncelée là depuis des siècles. Debout dans la vase, Narkiss avait été asphyxié par les exhalations putrides du marécage mais, enfoncé jusqu'au cou dans le cloaque, il dominait de la tête les floraisons sinistres écloses autour de lui en forme de couronne ; et, telle une fleur charmante, son visage exsangue et fardé, sa face adolescente au front diadémé d'émaux et de turquoises se dressait droite hors de la boue et sur ce front mort des papillons de nuit s'étaient posés, les ailes étendues et dormaient. Isis avait reconnu Isis. Isis avait rappelé à elle le sang d'Isis.
Ainsi mourut, par une claire nuit de juin, Narkiss, petit-fils de la grande déesse et prince du royaume d’Égypte.


C'est ce texte que Jérôme Doucet réédite dans une édition de luxe, répondant à un désir de Jean Lorrain de voir ses écrits publiés dans des ouvrages dignes de lui, par la qualité de l'illustration, le choix du papier, le soin apporté à la typographie. Cela nous vaut ce beau livre - on pourrait même dire ce bel objet - paru deux ans après la mort de Jean Lorrain. C'est une forme de témoignage posthume qui lui est rendu.

L'ouvrage est illustré de 14 compositions, signées ODV Guillonnet, autrement dit Octave Denis Victor Guillonnet (1872-1967), un artiste aux multiples facettes, comme on peut le voir dans sa notice Wkipédia (cliquez-ici) et sur ce site qui lui est entièrement consacré (cliquez-ici). Ces compositions ont été gravées par Xavier Lesueur.

Frontispice, en 2 couleurs :


3 gravures en pleine page :




9 vignettes, dont ces 4 vignettes et celle en tête du message :






Description de l'ouvrage

Paris, Édition du Monument, MCMVIII (1908), in-8°, [68] pp., une gravure en frontispice hors texte, une vignette au titre, 9 vignettes gravées dans le texte, 3 gravures pleine page dans le texte, couverture illustrée et dorée.

Couverture :

Page de titre :

La mise en page (exemple sur la dernière page) :


Cet encadrement "à l’égyptienne" est reproduit sur toutes les pages, à partir du titre. Seul le petit motif doré en bas à droite change selon les pages. Les illustrations ont été imprimées à part, puis découpées et collées sur les pages de l'ouvrage.

L'ouvrage à été tiré à 300 exemplaires :
- 25 exemplaires sur Japon Shidzuoka avec 3 états des figures
- 50 exemplaires sur Japon avec 2 états des figures, pour F. Ferroud, éditeur.
- 225 exemplaires sur vélin à la cuve des papeteries d'Arches avec un seul état

Cet exemplaire, du tirage de 50 ex. avec 2 états, ne porte pas de justification, mais cette simple mention : « N° offert à l'artiste graveur » [Xavier Lesueur].

Il a été bien relié en box grège par Lobstein-Laurenchet :


L'ouvrage vient d'être réédité dans la Bibliothèque GayKitschCamp : cliquez-ici, avec la reproduction à l'identique de la typographie et de la composition du texte et des illustrations. Il est précédé d'une notice de présentation.

Il existe aussi une présentation très complète, avec quelques illustrations, dans la Collection Koopman de la Bibliothèque Royale des Pays-Bas : cliquez-ici.
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