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Corydon, André Gide, édition de 1920

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Il est de bon ton de brocarder ce texte. Certes, il a vieilli ; certes, il défend une vision de l’homosexualité qui n’a plus cours aujourd’hui, plus d’un siècle après sa première rédaction ; certes, c'est plutôt le modèle de l'amour grec que semblait défendre André Gide. Malgré cela, il reste le premier plaidoyer écrit en langue française en faveur d’une plus grande bienveillance et compréhension de l’homosexualité. Et, rien qu’à ce titre, il mérite encore et toujours d’être lu et de figurer dans une Bibliothèque Gay. Ce qui en fait la force est que l'édition publique de 1924 porte le nom de l'auteur. Ce n'est pas le cas d'un Jean Cocteau avec Le livre blanc d'un Paul François Alibert, avec Le supplice d'une queue, etc. Son « concurrent », si j'ose dire, Marcel Proust avançait quant à lui masqué. 


Beaucoup a été dit sur ce texte, beaucoup a été écrit. Rappelons juste l'historique du texte et de ses publications.

Rédigé en 1910, la première édition a été imprimée à Bruges le 22 mai 1911, sous la surveillance attentive d'André Gide lui-même qui avait fait le déplacement. Dans les éditions suivantes, il précise que le tirage a été de 12 exemplaires, « lesquels furent remisés dans un tiroir - d'où ils ne sont pas encore sortis. » (préface de la seconde édition, en 1920). Son premier bibliographe, Arnold Naville donne plutôt un tirage de 22 exemplaires, mais je ne sais pas sur quels éléments il s'appuie. Gide aurait-il été « désireux de minimiser la portée de cette naissance clandestine » comme l'avance Franck Lestringant (tome I, p. 683) ?

En 1918, il reprend le texte : « Le 1er janvier, et jusqu'au 25, Gide se retira à Cuverville pour peaufiner le livre qu'il considérait tout à la fois comme son Évangile et son testament — son Nouveau Testament, pour le dire en un mot. Le 14 janvier, il avait "à peu près achevé "». Il s'en explique dans la Préface : « Je me décide après huit ans d'attente à réimprimer ce petit livre. [...] Le Corydon ne comprenait alors que les deux premiers dialogues, et le premier tiers du troisième. Le reste du livre n'était qu'ébauché. Des amis me dissuadaient d'achever de l'écrire. » Malgré cela, « Ces derniers mois néanmoins je me persuadai que ce petit livre, pour subversif qu'il fût en apparence, ne combattait après tout que le mensonge, et que rien n'est plus malsain au contraire, pour l'individu et pour la société, que le mensonge accrédité. »

Entre la fin de la rédaction et l'impression, la guerre imposa son rythme, retardant la conclusion des accords avec Jacques Doucet et Lady Rothermere pour l'impression de cette nouvelle édition, ainsi que des Mémoires, qui ne portaient pas encore le titre de Si le grain ne meurt.... En définitive, ce fut Jacques Doucet qui assura le financement de cette édition, en même temps que celle de Si le grain ne meurt..., pour une moitié. L'autre moitié, qui devait initialement être prise en charge par Lady Rothermere, fut en définitive prise en charge par Gide, après qu'il eut cassé le contrat avec celle-ci. Comme pour la première édition, l'imprimeur était Verbecke, à Bruges. Gide se rendit lui-même en Belgique, entre noël et le premier janvier 1920 pour superviser l'impression et donner le bon à tirer, ce qui fut fait à la mi-janvier 1920. Après quelques aléas (grève, en particulier), l'impression fut terminée le 5 mars. Après le brochage de l'ouvrage, il était disponible pour Doucet début avril. L'impression de Si le grain ne meurt... tarda encore quelques mois.

Cette nouvelle édition, toujours privée, a été tirée à 21 exemplaires.

C'est l'arrivée dans ma bibliothèque de l'exemplaire n° 8 qui explique ce message.


Description de l'ouvrage


Corydon
S.l.n.n [Bruges, Imprimerie Saint-Catherine], 1920, in-8° (195 x 142 mm), 171-[5] pp.
 
Contenu de l'ouvrage  :
- Feuillet blanc (pp. 1-2)
- Titre (p. 3) : Corydon (nouvelle édition), avec seulement la date : 1920.
- Justification (p. 4) : « Il a été tiré de ce livre 21 exemplaires numérotés à la presse sur papier à chandelle ». Cet exemplaire est le n° 8.
- Titre intermédiaire : Corydon. Quatre dialogues socratiques.(p. 5)
- Préface (p. 6).
- Texte du Corydon composé des 4 dialogues (pp. 7-171).
- « Achevé d'imprimer le cinq mars mil neuf cent vingt par "L'imprimerie Sainte Catherine" quai Saint Pierre, Bruges, Belgique. » (p. [173])
- Feuillet blanc (pp. [175-176]) 

Titre intermédiaire :

Justification :

Achevé d'imprimer :

La couverture porte simplement « Corydon » et la date 1920. Le dos porte « C.R.D.N » et la date 1920. Les couvertures sont probablement sur papier japon. Cette reprise des 4 lettres « C.R.D.N » au dos est un discret rappel de la première édition qui ne portait que ces lettres sur la couverture et le titre.

Comme on le constate sur les scans, l'ouvrage a été imprimé sur un papier de mauvais qualité, très fin (papier à chandelle), ce qui explique que l'on voit le verso par transparence. Pourquoi avoir choisi un tel papier, pour un petit tirage, et non un beau papier, ce que Gide pouvait se permettre ? Peut-être une fausse humilité, pour un texte qui devait encore rester privé, au seul usage de quelques amis.

Dans les bibliothèques publiques, il y a 3 exemplaires, sur les 21 :
BNF, dans la Réserve des livres rares : RES P-R-781, provenant de la bibliothèque du Dr. Lucien-Graux
Paris – Bibliothèque littéraire J.Doucet : D VIII 23, l'exemplaire n° 21, de la collection de Jacques Doucet 
Paris – Bibliothèque littéraire J.Doucet : DLY 151, l'exemplaire n° 5, de la bibliothèque de Roger Martin du Gard.

L'édition publique, portant le nom d'André Gide, a paru en 1924. C'est un petit ouvrage, toujours imprimé à Bruges, à l'imprimerie Saint-Catherine. Le tirage en est très important : 550 exemplaires  sur papier Van Gelder et 5000 (sic) sur papier ordinaire.



Je possède un des exemplaires hors commerce, qui provient de la bibliothèque de Catherine Gide, la fille d'André Gide, qui vient d'être dispersée par la librairie Les Amazones : Catherine et son étrange famille.


Beaucoup d'informations sur la rédaction de ce texte et des différentes impressions proviennent de la monumentale biographie d'André Gide par Franck Lestringant : André Gide, l'inquiéteur, 2 tomes
Sur le Corydon, on peut consulter cet intéressant article de Claude Courouve : Les vicissitudes de Corydon.

Glanes

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Edgar Degas, Tête de jeune garçon italien, 1856-1857
Huile sur carton marouflé sur toile, timbre de l'atelier en bas à droite. 22,6 x 17,7 cm

Sir Alfred GILBERT (1854-1934), Comédie

Harold James YOUNGMAN (1886-1968), Ismaël ou jeune guerrier au pagne

Les mains de Jean Cocteau

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Deux belles photographie des mains de Jean Cocteau, par Raymond Voinquel :



Vase palestre, René Lalique

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Vase PALESTRE, par René LALIQUE (1860-1945).
Modèle créé en 1928.





Glanes

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Léonor Fini : Portrait de jeune homme.

Barthélémy Blaise (1738 - 1819) : Jeune Berger ou Adonis, 1785

La notice du catalogue dit : 
"École française XIXe siècle. Jeune pêcheur napolitain."

École VENITIENNE vers 1640, entourage de Nicolas REGNIER :
David et la tête de Goliath

Charles Kvapil ( 1884-1958 ) : Fin de journée, 1949

Une belle série de Jean Cocteau

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Une belle série de documents (dessins, lettres, livres, photos, etc.) concernant Jean Cocteau






























Lettres à Ibis, Jean Genet

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Une célèbre maison de ventes aux enchères a proposé le 25 juin un ensemble de lettres écrites par Jean Genet, connu et publié sous le titre "Lettres à Ibis".



Il s’agit d’une correspondance qui s’étend de 1933 à 1948. En 1933, le jeune Jean Genet (il n’a que 22 ans au moment où il écrit sa première lettre), se rapproche d’un groupe de jeunes gens, du même âge que lui, sur la base d’une communauté de vue sur la littérature, les arts et la politique. La destinataire des lettres est Andrée Plainemaison (1910-1978), dite Pragane, dite Ibis. Avec quelques amis, elle avait fondé une revue Jeunes qui se voulait le moyen d'expression d'« un groupe de jeunes, dégoûtés d'une civilisation basée sur la violence, la propriété, l'injustice et l'hypocrisie [...] un groupe de jeunes qui voulons essayer d'aider nos frères, jeunes comme nous, à construire une société nouvelle, plus harmonieuse et surtout plus juste. »

Tout juste sorti de ses engagements militaires, qui lui ont fait connaître la Syrie et le Maroc, il entre en contact avec eux et plus particulièrement Ibis qui était l'animatrice de ce groupe.
 

Retrouvés par le fils d'Andrée Plainemaison, ces documents ont été publiés en 2010 :
Lettres à Ibis
Collection L'arbalète/Gallimard, Gallimard, 2010, 128 pages et 8 pages planches hors texte avec 15 illustrations, couverture illustrée.


On a longtemps eu l’image d’un Jean Genet dont la vie se construit autour d’un avant et d’un après. L’avant, c’est toute la période qui va de sa naissance jusqu’à sa première œuvre publiée en 1942, le Condamné à mort. L’avant, c’est la période de vie obscure, de vie vagabonde et, longtemps, de vie sans littérature. L’après, c’est la période publique depuis sa première œuvre, en 1942, suivie de toutes celles que l’on connaît. Ce sont aussi ses engagements, ses prises de parole, son film, etc. Jean Genet a lui-même cultivé, construit cette image qu’il renvoyait de sa vie, en particulier dans Le Journal d’un voleur.

La vérité de sa vie, paradoxalement plus riche et plus complète que le « roman » qu’il en a donné, est qu’il a, très tôt, eu l'ambition d’une entrée en littérature et le désir de se rapprocher de personnes avec lesquelles il se trouvait en communauté de pensées et de goûts. C’est ce que montrent très bien ces lettres, dans lesquelles on trouve déjà les thèmes littéraires qui le guideront tout au long de sa vie. On y trouve aussi le récit d’un amour pour Jean, amour difficile, mal partagé, mais néanmoins dit à sa confidente. On est loin de la mythologie des amours pour les voyous et les marins, mais, me semble-t-il, plus proche de la vérité, au moins à ce moment-là, de son amour pour les garçons. Dès la première lettre, il se déclare, semblant espérer qu'Ibis fasse l'intermédiaire entre lui et Jean :
« Ibis, je vais vous faire une confidence, et vous jugerez d'après cela si je vous affectionne et si j'ai confiance en vous. L'avez-vous vu : j'aime Jean. Voilà, j'ai dit les choses et je suis bien plus à mon aise. » Il poursuit : « Trouvez cela honteux, laid, répugnant, : bah ! je suis voué à la répulsion, à la laideur décrétée. Il n'en ai pas moins que j'ai au fond du cœur le sentiment le plus beau et le plus vaste. Oh ! Ibis, si vous saviez, mon amour pour lui est un soleil. Maintenant, je ne suis plus un être quelconque, je suis tout amour. »

Cette proximité pendant quelques années avec ce « groupe de jeunes » aurait pu déboucher sur une collaboration littéraire, si le journal n'avait pas rapidement cessé de paraître pour raison financière. Il en reste une texte Lettre à Ibis reproduit dans ce recueil. C'est le premier texte littéraire de Jean Genet, dans lequel se mêle prose et poésie. Se présentant d'abord comme le compte-rendu de l'ouvrage Samara, de Michel Vieuchange, sur son expérience d'explorateur à travers l'Afrique jusqu'à la cité du même nom dans le Sud-Marocain, c'est surtout le prétexte, ou l'occasion, d'évoquer l'accomplissement de soi, le voyage, le dépassement, la mort, une certain forme de mysticisme (« Je ne puis du livre vous dire rien. Il n'est qu'une attente de l'Instant. ») C'est un très beau texte, très littéraire, où l'on retrouve les prémices du Jean Genet qu'on lira beaucoup plus tard dans un livre comme Un captif amoureux. On y voit une forme littéraire qui se crée, chez un homme jeune – il n'a que 22 ou 23 ans – dont on peut se demander où et comment il a acquis cette maîtrise littéraire.



Aller ! Toujours! Savoir que tout est semblable et vouloir plus loin.
Aller seul, très pensif, se noircir au soleil et crever sous la lune !
Le voyage de Michel Vieuchange l'ayant mis en contact avec le peuple des Chleuhs, j'ai choisi ce beau portrait pour illustrer mon message, peint justement l'année de la parution du livre de Michel Vieuchange.


Jeune homme Chleuh, Marrakech, 1932
Zinaida Evgenieva Serebriakova (1884-1967)

Le recueil se clôt sur la lettre écrite par Jean Genet en mars 1984, en réponse au courrier de Jacques Plainemaison annonçant le décès de sa mère et l'existence de cette correspondance. Il termine sa lettre par ces quelques mots, simples et magnifiques :
Je suis très vieux. Et très seul mais très heureux : d'être seul et vieux ? Peut-être.

L’impossible conciliation ou la vie héroïque du Dr Claude-François Michéa, Jean-Claude Féray

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Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire de l'homosexualité (c'était il y a quelques dizaines d'années), la littérature disponible sur le sujet n'était pas aussi abondante qu'aujourd'hui. On avait le sentiment que cette histoire était rythmée par une césure profonde : il y avait un avant et un après 1968 et Stonewall. C'est à cette date que, tout d'un coup, les homosexuels étaient passés de l'ombre à la lumière. D'un peuple sans histoire, ils étaient soudainement entrés dans l'histoire. Une première raison était sûrement que ces événements étaient encore proches. Je n'exclus pas que cette perception soit aussi directement liée à ma propre histoire personnelle.

Aujourd'hui, parce que le sujet a été beaucoup exploré, cette histoire me semble plus envisagée comme un continuum. Elle est appréhendé comme toute histoire, avec des phases, des changements de direction, dont Stonewall serait un jalon, comme il y avait eu d'autres jalons dans le passé. C'est cette vision d'une histoire en continuité, plutôt qu'en rupture, qui permet de mettre en valeur des personnalités, des textes qui ont apporté leur contribution à un moment donné. C'est ainsi qu'une biographie récente a mis en lumière une personnalité fort oubliée, un aliéniste du XIXe siècle, le Dr Claude-François Michéa (1815-1882), qui est l'auteur d'un texte qui présente sous un jour favorable l'homosexualité. C'est une forme d'archéologie que d'aller déterrer, au sens figuré certes, au sein d'une revue savante du XIXe siècle, une contribution qui apporte sa pierre à l'édifice d'une histoire de l'homosexualité.


Paru en 1849 dans Travaux et mémoires originaux de médecine et de chirurgie, de thérapeutique générale et appliquée, cette réflexion : Des déviations maladives de l'appétit vénérien, a été initialement motivée par une très sordide affaire de nécrophilie. Cependant, le Dr Michéa profite de cette occasion pour étudier d'autres « déviations », dont la philopœdie, terme qu'il utilise pour désigner l'attirance d'un individu pour un individu du même sexe. On verra plus loin que le Dr Michéa avait un intérêt tout personnel à s'intéresser à ce sujet-là. C'était une forme de plaidoyer pro domo, que le prétexte d'une affaire à fort retentissement permettait de livrer au public.

Au début de l'article, il se présente en rupture avec le christianisme pour qui « tout acte vénérien accompli en dehors de cette prévision devint à ses yeux un attentat qui, du domaine de la morale chrétienne, passait souvent dans celui du droit civil et criminel afin d'y recevoir parfois un châtiment atroce et capital. ». En regard, il avance :
Les Grecs et les Romains pensaient que la sagesse divine avait aussi donné à l'homme l'amour en vue du simple plaisir ; ils croyaient que la volupté était tantôt une fin, tantôt un moyen. Selon Zenon, l'amour est un dieu libre qui n'a d'autres fonctions à remplir que l'union et la concorde
Ce qui est intéressant dans ce texte est la volonté affichée de faire sortir l'homosexualité du domaine de la morale religieuse, du péché et de la faute pour le faire entrer dans le domaine du médical. C'est un mouvement bien connu du XIXe siècle, qui va au-delà de ce sujet. Avec nos yeux contemporains, la médicalisation de l'homosexualité est souvent vue comme une autre forme d'enfermement ou de catégorisation. Il faut pourtant le comprendre comme un progrès, car cela permettait en même temps d'en faire un sujet d'étude, donc de donner un caractère factuel et objectif à tous les travaux le concernant, et d'affirmer son caractère naturel, comme une forme parmi d'autres d'expression de la sexualité (l'appétit vénérien, pour reprendre les termes de l'époque).
Les déviations maladives de l'appétit vénérien, et je ne veux parler ici que des principales, des plus antipathiques aux mœurs modernes, de celles dont le fait en soi et même la simple tendance conduisaient jadis au supplice du bûcher, et qui, dans l'avenir, seront exclusivement de la compétence des médecins, et pour lesquelles, dans l'opinion publique, une pitié profonde remplacera le mépris et la flétrissure.

D'après cela, on pourrait croire, on a cru jadis, et l'on croit encore généralement aujourd'hui, que L'amour grec est toujours un produit des civilisations avancées, qu'il constitue un vice engendré par le raffinement, le sophisme et la curiosité des imaginations blasées. [...] L'histoire et le récit des voyageurs modernes démontrent que la philopœdie s'observe aussi à l'origine des sociétés, chez les peuples sauvages et dans les natures les plus incultes et les plus primitives. Elle existait chez les Celtes, suivant Aristote, et chez les Germains, d'après Sextus l'Empirique et Eusèbe.

Le plaidoyer en faveur de l'homosexualité, certes sur un mode mineur, se concrétise par ces exemples de personnalités homosexuelles de premier plan à travers l'histoire.
Il est donc très probable que, chez les modernes, Henri III, le philosophe Vanini, le duc de Vendôme, Monsieur, frère de Louis XIV, Frédéric le Grand, Cambacérès, la tragédienne Raucourt, qui brûlaient presque exclusivement de ce genre d'amour, n'étaient point arrivés là graduellement et par excès de débauches réfléchies, mais que ces personnages y sacrifiaient en raison du goût inné, d'une passion instinctive. Plusieurs observations faites par des auteurs, notamment par des médecins, tendent à démontrer que l'amour grec doit être considéré comme une déviation maladive de l'appétit vénérien.
Je crois que les mots : "goût inné, d'une passion instinctive" sont au cœur de cette nouvelle vision de l'homosexualité (le mot n'existait pas) qu'il souhaite promouvoir.

On y voit donc comme une des premières manifestations d'un relativisme historique dans la perception de l'homosexualité. Comme on le sait, ce relativisme conduit à redonner une légitimité à des mœurs jusque-là moralement condamnées et socialement stigmatisées.

Il va même chercher une explication dans les restes physiologiques d'un utérus masculin, dans le corps masculin.
Si ces faits anatomiques se vérifiaient, si l'on parvenait surtout à découvrir que l'utérus masculin peut acquérir parfois un développement plus ou moins considérable, on serait peut-être en droit d'établir un rapport de causalité entre eux et les tendances féminines qui caractérisent la plupart des individus livrés à la philopœdie.

En présentant ce livre, c'est aussi l'occasion de dire que ce type de biographie, très documentée, est pour moi un modèle du genre. C'est presque un exercice de style que de vouloir faire sortir tout une vie du presque néant. Jean-Claude Féray y est parvenu. Au-delà du rôle officiel du docteur, de ses travaux comme aliénistes, ce sont les aspects plus personnels de sa vie qui sont révélés : il est identifié dès 1847 comme pédéraste dans le registre du même nom, tenu par la préfecture de police. Son mentor, dont il est très proche, le Dr Vallerand de la Fosse est lui aussi noté dans ce registre. Par deux fois, des affaires de mœurs le mettent en rapport avec la police. La première fois, en 1850, à propos d'une affaire de drague homosexuelle sur la cours de Vincennes, qui n'aura pas de conséquence. La deuxième fois, l'affaire ira jusqu'au procès. Il sera d'ailleurs rayé de l'ordre de la Légion d'honneur. Ces faits, que l'on aborde plutôt par la chronique judiciaire, éclairent un pan de sa personnalité, que l'on peut mettre en rapport avec le texte cité. On approche ainsi une certaine vérité de la personne, même si on aimerait savoir comment il vivait son homosexualité, comment il appartenait à un réseau d'homosexuels parisiens, comment il a fait le choix d'assumer cette vie, au risque de l'opprobre et de la stigmatisation, alors même qu'il aurait pu faire le choix d'une vie de façade « normale ». En définitive, le seul témoignage que nous ayons sur sa façon d'être au monde d'un homosexuel au  XIXe siècle est ce texte. Rien que pour cela, il méritait d'être sorti de l'oubli.

 Voir ici.

Lettre à Leonor Fini, Jean Genet, 1950

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Pendant quelques années, il y a eu une relation spéciale entre Jean Genet et Leonor Fini. En 1947, ils collaborent. Elle illustre son poème Galère de 6 dessins. J'ai décrit un exemplaire de cet ouvrage sur ce site (La Galère, de Jean Genet, 1947). En 1950, chez le même libraire qui les avait publiés en 1947, Jacques Loyau, paraît une Lettre à Leonor Fini, un texte d'analyse de son œuvre par Jean Genet, illustré de 8 reproductions de tableaux de Leonor Fini. La première reproduction est un portrait de Jean Genet : 


Dans ce texte foisonnant, le premier qu'il consacre à un artiste, on sent bien que Jean Genet parle autant de l’œuvre de Leonor Fini que de la sienne propre. Avant d'extraire quelques passages qui m'ont semblé éclairer son propos, je note que cette réflexion est toute cérébrale. Je veux dire par là que l'on n'y sent pas le souffle d'une émotion esthétique devant les tableaux de Leonor Fini. C'est peut-être aussi la limite de ce texte, plus baroque et lyrique que chaleureux et inspiré.

Vous êtes la noce de la plante et de la bête.

Mais ce qui domine surtout - la parfum majeur que j'ai reconnu - c'est celui de la mort. Le choix des couleurs, l'inquiétude des scènes, la rencontre d'un coquillage avec un miroir, le plis des tentures, vos masques, tout, dans votre travail, témoigne d'un intime théâtre macabre.

L'époque que vous vivez, c'est la Renaissance, je veux dire que vous illustrez un thème qui, historiquement se nomme Renaissance Italienne. Le faste de cette époque est celui même de votre œuvre, voluptueuse et saupoudrée d'arsenic. Vos dames allongées dans l'alcôve, leurs garçons élégants sont emprisonnés, sont atteints d'une peste venue de la plus haute antiquité.

Ainsi, au dernier terme de votre travail, vous vous préoccupez du monde reprouvé où le silence a la puissance d'une nécessité esthétique. Peut-être est-ce lui qui vous permettra de rejoindre le malheur plus terrestre, plus "humain", plus charnel. Si, jusqu'à ces jours derniers vous avez, à la plus fine des cires donné une vie solennelle, peut-être allez-vous accorder le malheur et la vie à la plus infâme tourbe.

Sans doute trouverez-vous que j'ai vivement élu ce qui m'est proprement familier, et que c'est d'abord mon travers que j'exalte. Mais me passionnerais-je autant pour une œuvre si je n'avais découvert en elle et dès sa formation non ce vers quoi je m'achemine - et qui n'appartiendra qu'à moi - mais ces mêmes éléments désespérés épars à travers des fastes mortuaires ?

Cet exemplaire s'enrichit, au verso de la couverture, d'un envoi de Jean Genet. On ne sait pas quel est le destinataire. La lecture du texte en est incertaine : "J'exprime un art, puisse un jour en illustrer un autre, Jean Genet, H-51"


Pour illustrer le propos de Jean Genet, la plaquette contient la reproduction en noir et blanc de 8 tableaux de Leonor Fini. Le premier est le portrait de Jean Genet  qui introduit ce message. Les 7 autres sont :

Sphinx philagria

Espagne

La fille au corsage velu

Sphinx ermite

Bagnard

La fille du maçon

Antonio

Description de l'ouvrage
 

Jean Genet
Lettre à Leonor Fini
Paris, Loyau, 1950, in-8° (218 x 146 mm), [32] pp., 8 planches photographiques en noir et blanc.


L'ouvrage se compose de :
- Faux titre (p. [1])
- Titre (p. [3])
- Texte, signé en fin "Jean Genet" (pp. [5-13])
- 8 planches photographiques en noir et blanc, reproduisant des tableaux de Leonor Fini, sur la page de droite, avec le titre en regard sur la page de gauche (pp. [ 14-29]. Ce sont les planches reproduites ci-dessus.
- Achevé d'imprimer et justification (p. [31]) :

Cet exemplaire est le n° 89. Toutes les autres mentions que j'ai trouvées signalent 800 exemplaires, toujours avec une justification manuscrite. Seul celui-ci apparaît avec le chiffre de 1000. S'agit-il d'une erreur ?

Dans les bibliothèques publiques en France, il n'y a que 6 exemplaires (source CCFr) :
BNF : 8-V PIECE-31512 et RES 8-Z PAB BIBL-417 (don Pierre-André Benoît)
LYON- BM, fonds Chomarat : B 1686 (n° 718, ayant appartenu à Michael Josselson)
PARIS - BIB.LITTERAIRE J.DOUCET : 57040 (ex. n° 241, don Bronia Clair)
PARIS - Centre Georges Pompidou
STRASBOURG-BU Arts : T FINI 1

Ce texte a été repris dans :
Fragments... et autres textes, Gallimard, 1990, avec une préface d'Edmund White.
Les autres textes sont :
'adame Miroir (1948)
Jean Cocteau (1950)
Fragments...(1954)
Lettre à Jean-Jacques Pauvert (1954)

Pèlerinage au pays d'Augiéras

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Depuis longtemps, j'ai un particulier attachement pour l'œuvre de François Augiéras. J'ai souvent eu l'occasion d'en parler et de décrire ses ouvrages majeurs (cliquez-ici). Ces derniers jours, profitant des vacances, j'ai voulu pour ainsi dire incarner un peu plus ma passion pour l'œuvre en allant sur les traces de l'auteur. Certes, je sais l'aspect dérisoire de penser que l'on se sent un peu plus proche d'un auteur en allant simplement voir et fouler les lieux qu'il a parcourus. Néanmoins, portant en moi ce qu'il représente pour moi, penser que les lieux que j'ai visités sont aussi ceux qu'il a connus, a donné en même temps plus d'épaisseur et d'incarnation à ce que je voyais et plus d'humanité et de proximité avec l'auteur.

C'est ainsi que nous sommes allés à Domme et, plus particulièrement, sur sa tombe. Je ne saurais décrire la forme d'émotion qu'il y a voir et toucher, car j'ai voulu toucher sa pierre tombale et ajouter une pierre à sa modeste sépulture. J'ai demandé à mon ami qu'il immortalise ce moment. Il y a un mélange de naïveté et d'émotion à faire cela.



Nous sommes aussi allés aux Eyzies, au bord de la Vézère. Tout cela a dû beaucoup changer, preuve de la perte de l'enchantement du monde dans lequel nous vivons (cette perte d'enchantement est probablement un des événements majeurs de notre époque. Pourrons-nous en revenir ? Je l'espère).
 

Hier soir à Périgueux, nous sommes allés voir le 14 rue du Palais où il a si longtemps vécu avec sa mère.


Sans parler d'une belle rencontre hier après-midi à Périgueux, avec un libraire avec qui j'ai pu très longuement parler et échanger sur Augiéras.

On me demandait comment j'ai connu François Augiéras. C'est cet article du Monde, paru en 1995, qui m'a fait connaître L'apprenti sorcier.


Cela reste mon livre fétiche, dont j'ai parlé ici même (L'apprenti sorcier). C'est ainsi ce mélange de hasard, d'attention et de curiosité qui m'a ensuite amené à découvrir plus en avant son œuvre.

Pour finir, lever de soleil sur la cathédrale de Périgueux ce matin :



Une histoire des garçons et des filles Amour, genre et sexualité dans la France d’après-guerre, Régis Revenin

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Dans un billet précédent (L’impossible conciliation ou la vie héroïque du Dr Claude-François Michéa, Jean-Claude Féray), j'évoquais ma perception de l’histoire de l'homosexualité. Je vais la rappeler car ce que j'en disais s'applique aussi bien à l'ouvrage dont je parle aujourd’hui.

Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire de l'homosexualité (c'était il y a quelques dizaines d'années), la littérature disponible sur le sujet n'était pas aussi abondante qu'aujourd'hui. On avait le sentiment que cette histoire était rythmée par une césure profonde : il y avait un avant et un après 1968 et Stonewall. C'est à cette date que, tout d'un coup, les homosexuels étaient passés de l'ombre à la lumière. D'un peuple sans histoire, ils étaient soudainement entrés dans l'histoire. Une première raison était sûrement que ces événements étaient encore proches. Je n'exclus pas que cette perception soit aussi directement liée à ma propre histoire personnelle.

Aujourd'hui, parce que le sujet a été beaucoup exploré, cette histoire me semble plus envisagée comme un continuum. Elle est appréhendée comme toute histoire, avec des phases, des changements de direction, dont Stonewall et 68 serait un jalon, comme il y avait eu d'autres jalons dans le passé. C'est cette vision d'une histoire en continuité, plutôt qu'en rupture, qui permet de mettre en valeur des personnalités, des témoignages qui donnent une autre vision de cette histoire.


Le mythe, bien installé dans 1'histoire militante, veut que les Trente Glorieuses aient été prises en tenailles entre deux «âges d'or»: un entre-deux-guerres particulièrement favorable a 1'expression de 1'homosexualite et la «libération sexuelle» des années 1970. Or, cette période, souvent présentée comme particulièrement conservatrice, est plus subtile et complexe qu'il n'y parait: c'est aussi celle de l’émergence d'un mouvement homosexuel et de 1'apparition d'un nombre significatif de periodiques spécifiquement destines aux gays, dans un contexte de pénalisation des pratiques homosexuelles.(p. 167)

L'ouvrage de Régis Revenin apporte sa contribution à cette révision en cours, par la force de son témoignage. Plus qu'une étude théorique à proprement parler, c'est par l’exploitation d'un riche matériau qu’il nous donne à voir la sexualité des adolescents durant les « Trentes glorieuses ».
Disposant de 13 000 dossiers (il a exploité plus directement 2 500 dossiers) d’un centre de l’éducation judiciaire (Centre d'observation public de l’Éducation surveillée de Paris, à Savigny-sur-Orge), il a exploité les très nombreux témoignages, écrits, questionnaires des jeunes garçons passés par ce centre. Ces paroles retranscrites, complétées des commentaires et faits ajoutés à leurs dossiers par les éducateurs, donnent comme une vue de l'intérieur, avec des mots qui sont souvent simples et directs, de la sexualité de ces jeunes.

Au-delà de la sexualité, il aborde aussi la construction de la masculinité, les rapports entre garçons et, bien entendu, l'homosexualité. C'est plutôt sur ce dernier point que j'aimerais mettre en valeur l'apport de l’ouvrage. Avant cela, deux remarques. Par la source dont il disposait, il ne s’agit que de garçons. On n'a donc aucun point de vue de jeunes filles, ni sur leur vie sexuelle, ni sur leur perception en miroir de celle qu'en donnent les garçons. Ensuite, ce sont essentiellement des garçons des classes populaires de Paris et sa région. Pour ce qui m’intéresse ici, le fait d’appartenir aux classes populaires apporte un éclairage intéressant car l’histoire de l'homosexualité a surtout été écrite par des représentants des classes supérieures.

 Raymond Voinquel, L'ouvrier, 1946
Cette étude met une fois de plus en lumière que la séparation nette, voire la catégorisation hétérosexualité/homosexualité, qui induit des comportements distincts, étaient beaucoup moins prégnante, avec une certaine fluidité, selon les situations ou les occasions, entre les amours homos et hétéros. Pour ceux qui ont lu les livres de Daniel Guérin (je pense plus particulièrement à Un jeune homme excentrique. Un essai d'autobiographie.), c’est une idée déjà bien connue. Ce sur quoi je me suis arrêté, ce sont ces affirmations par de jeunes homosexuels de leur homosexualité. J'en ai retenu certaines, surtout extraites du chapitre : Amitiés et amours entre garçons. Ces mêmes affirmations paraissaient admises et validées par l'institution, par le seul fait qu'elle les transcrit dans les dossiers. Cela remet en question une vision, parfois misérabiliste, d'une difficile affirmation de sa spécificité avant la « libération ».

C'est Florimond, 17 ans en 1949, qui confirme : "Je faisais ça pour le plaisir. J'éprouve du plaisir à coucher avec un homme,. J'aime qu'un homme m'embrasse sur la bouche", après avoir affirmé : "la pédérastie est normale", les homosexuels "ne portant pas préjudice à société."

C'est Victor, 16 ans, en 1961 : "Je ne cache rien de mes tendances pédérastiques [...]. Je ne pense pas changer de mœurs [...]. Les femmes me laissent complètement froid."

C'est Pierre-Yves, qui en 1964 : "Nous, les pédés, nous sommes des êtres normaux et puis on nous changera jamais. [...] Je suis un pédé, je le sais, mais je suis bien comme je suis. D'ailleurs, je ne suis pas le seul dans ce groupe, hein ?"






J'ai focalisé mon compte-rendu de lecture sur ce point, car c'est celui qui m’a personnellement le plus intéressé. L’ouvrage est beaucoup plus riche que cela. Dans ce même chapitre, il y a une vision intéressante du Paris homosexuel de l'époque, tel qu'il était perçu et vécu par ces jeunes homosexuels. De même, il rapporte la vision de l'amour, de la construction d'une relation, où l'on voit que tout cela reste une affaire de sexe et de sentiments, comme cela l'a toujours été. Visiblement, pour celui qui voulait vivre cette vie, les rencontres semblaient assez aisées à Paris. Parmi les autres chapitres, celui sur la construction de la masculinité On ne naît pas viril, on le devient, est particulièrement intéressant. Il concerne tous les garçons, mais on peut aussi le lire avec, en arrière plan, la construction en regard des jeunes homosexuels, sur leur propre virilité, à une époque où l'équivalence : homosexuel=efféminé était beaucoup plus prégnante dans le regard de la société et des homosexuels eux-mêmes.
En lisant ce livre et ces témoignages de jeunes nées parfois avant guerre, j'avais encore en mémoire la très récente lecture du dernier livre de Dominique Fernandez. Issu d’un milieu totalement opposé à celui de ces jeunes, il a souvent raconté le fil de sa vie homosexuelle, en la construisant sur une opposition très forte entre les deux périodes avant et après le mouvement de libération homosexuelle. Il l'avait introduit dans le Rapt de Ganymèdemais l'a repris tel quel dans son dernier ouvrage, comme si à 20 ans de différence, il n'était pas possible d'envisager l'histoire autrement. Pourtant l'ouvrage de Régis Revenin montre, de façon vivante, je dirais même en lien direct avec l'expérience vécue de ces jeunes homosexuels des années 1950, qu'il était possible d'être homosexuels dans ces années-là et de l'être et de le vivre de façon assumée.
En définitive, pour revenir à Dominique Fernandez, je me demande s'il n'y a pas confusion ou amalgame entre sa propre histoire personnelle et l’histoire globale du mouvement homosexuel, dont il s'est fait un peu l’historien vulgarisateur. Un ouvrage comme celui de Régis Revenin (je pense aussi à Georges Hérelle que j’ai eu l’occasion de chroniquer ici), amène un regard neuf, décalé et, surtout, nourri de l’expérience vivantes de nombreux destins individuels. C’est aussi ce qui en fait le prix.





Nota : hormis la couverture, l'ouvrage ne contient aucune illustration. J'ai choisi des images qui, me semble-t-il, illustrent bien ce message.

Histoire de la célèbre maison close. 1877-1946. "LE CHABANAIS".

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J'ai déjà eu l'occasion sur ce blog de saluer le travail de Nicole Canet. Il s'agissait alors de la parution de Plaisirs et Débauches au Masculin. 1780-1940 (cliquez-ici).

Cette fois-ci, Nicole Canet s'est intéressée à une ancienne maison close, fort célèbre en son temps : "Le Chabanais". Cela fait l'objet d'une exposition-vente dans sa galerie de la rue Chabanais et d'un beau livre, fruit de ses recherches sur l'histoire de cette maison close. Cela nous vaut un ouvrage documenté et bien illustré, nourri des recherches dans les archives de la Préfecture de Police, ainsi que de nombreuses photographies.


Pour tout savoir sur l'exposition-vente et l'ouvrage, je vous renvoie vers le site de la galerie "Au bonheur du Jour" : cliquez-ici pour l'expo et pour l'ouvrage.

Ayant moi-même une âme de chercheur, je sais tout le travail que représente la collecte et la mise en forme de tous ces documents. J'ai lu avec beaucoup d’intérêt cette histoire, même si spontanément, je me suis rarement intéressé à ce sujet. Pour mettre une petite touche personnelle, je signale juste qu'un des passages que j'ai trouvé le plus sympathique conte les mésaventures d'un jeune Italien, venu perdre son pucelage à Paris. Au passage, il semble aussi avoir perdu un peu de sa naïveté.



En marge du sujet principal de l'exposition-vente, quelques œuvres présentées sont aussi, j'imagine, plus en accord avec les goûts et les centres d'intérêt de mes lecteurs (et de moi-même) :




N'hésitez pas à explorer le site de "Au Bonheur du Jour". Sur les maisons closes, Nicole Canet avait mené un travail similaire sur la prostitution masculin. Je vous y renvoie Hôtels Garnis, Garçons de joie, Prostitution masculine à Paris de 1860 à 1960.

Deux dessins de René Bolliger

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Trouvés au Salon du livre et papiers anciens de Champerret, ce jour, deux dessins de René Bolliger :



La Zone, conte de Marc Bernard, illustré par Jean Boullet

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Jean Boullet a mis son talent d'illustrateur au service de nombreuses causes. Vers 1947 ou 1948, le "Comité de protection de l'enfance inadaptée de Nîmes" a fait appel à la générosité du public pour participer à la rénovation du château de Luc, centre devant recevoir des mineurs délinquants à qui on voulait éviter la prison. Le Comité obtint un conte de l'écrivain Marc Bernard (1900-1993), originaire de Nîmes. C'est Jean Boullet qui est chargé de l'illustration.


Le résultat est une petite plaquette La Zone, contenant ce conte du même nom, illustré de 16 dessins de Jean Boullet. Marc Bernard donne une évocation très personnelle de la zone, telle qu'elle pouvait exister à la sortie de la guerre près de la porte de Bagnolet ou la porte d'Italie.

Je vous laisse apprécier l’homoérotisme des dessins de Jean Boullet, à travers quelques planches parmi les 16 qui illustrent la plaquette. Il n'y a pas de mauvaises causes qui ne permettent pas de faire montre de son talent pour croquer les beaux garçons !














Description de l'ouvrage

La Zone.
Conte inédit de Marc Bernard, illustré par Jean Boullet
[Nîmes], Comité de l'enfance de Nîmes, s.d. [1947-1948], in-8° (220 x 162 mm), [40] pp., 16 dessins pleine page, ouvrage en feuilles, sous couverture illustrée d'un dessin.


Contenu de l'ouvrage :
Couverture. La couverture imprimée sert de titre.
- Faux titre : La Zone (p. [1])
- Justification (p. [2]) : 150 exemplaires sur papier Montgolfier, numérotés de I à CL et 850 exemplaires sur papier vélin de Barjon, numérotés de 151 à 1000. Imprimé par H.Mauger, Nîmes. Ex. n° 921.
- Conte La Zone, signé en fin Marc Bernard. (p. [3-7]). Évocation très personnelle de la zone, telle qu'elle pouvait exister à la sortie de la guerre près de la porte de Bagnolet ou la porte d'Italie. Suit une page blanche (p. [8])
- 16 planches dessinés, signées Jean Boullet, en référence exacte au texte du conte de Marc Bernard. (pp. [9-40]). Chaque feuillet de 4 pages comporte deux dessins et deux pages blanches.

Malgré un tirage en apparence important (1000 exemplaires), il s'agit d'un ouvrage très rare. Il n'existe aucun exemplaire à la BNF et au CCFr. Il est absent de la bibliographie de Denis Chollet et de l'ouvrage Jean Boullet. Passion et subversion.

Notice biographique de Marc Bernard.

Henriette Gröll

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Une galerie grenobloise propose une série de dessins d'Henriette Gröll. J'ai vu l'exposition et j'ai retenu une série de portraits de personnalités gays : Philippe Jullian, André Fraigneau, etc. Il y avait aussi quelques dessins de nus masculins. J'ai aimé.

Philippe Jullian

Matthieu Galey

André Fraigneau

Ghislain de Diesbach




Couverture du catalogue

Henriette Gröll

Ces dessins sont en vente : Galerie Vaujany

Illustration persane

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Une des 25 illustrations de Les Robaïyat d'Omar Khayyâm illustrés par Génia Minache (1957)
(pour en savoir plus : cliquez-ici).

Voeux de 2016 avec Jean Genet

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Pour débuter cette année qui marquera le 30e anniversaire du décès de Jean Genet, je partage avec vous un des plus beaux textes, à mon avis, de Jean Genet.
Tout habillé j'étais étendu sur le lit de Hamza. J'écoutais. Les bruits de bataille, très vifs, paraissant décisifs ; ne l'étant plus mais gardant leur intensité et à peine lointaine, et parmi ce désordre sonore, deux très petits coups, discrets mais voisins, firent reculer immensément le désordre destructeur. Deux coups en somme paisibles, frappés doucement à la porte de ma chambre. À l'instant je compris tout : le fer, l'acier explosaient au loin, à côte l'articulation d'un index cognait sur du bois. Je ne répondis rien car j'ignorais encore le mot «entrez» en arabe, et surtout, je l'ai dit, parce que j'avais «vu», tout à coup «vu», le déroulement de ce qui eut lieu. La porte s'ouvrit, comme je l'avais vu aux coups sur le bois. La lumière du ciel étoile entra dans la chambre et derrière je distinguai une grande ombre. De façon à laisser croire que je dormais, je fermai les yeux à demi mais je voyais tout entre mes cils. Fut-elle dupe de ma ruse? La mère venait d'entrer. Venait-elle de la nuit, maintenant assourdissante, ou de cette nuit gelée que je porte avec moi en tous lieux ? Elle tenait un plateau des deux mains, qu'elle posa très doucement sur le guéridon bleu à fleurs jaunes et noires, dont j'ai parlé. Elle le déplaça afin de le poser à la tête du lit, c'est-à-dire à portée de ma main, et ses gestes avaient la précision d'un aveugle en plein jour. Sans aucun bruit elle sortit et ferma la porte. Le ciel étoilé disparu, je pouvais ouvrir les yeux. Sur le plateau : une tasse de café turc et un verre d'eau; je les bus, fermai les yeux, attendis en espérant n'avoir fait aucun bruit. Encore deux petits coups à la porte, pareils aux premiers; dans la lumière des étoiles et de la lune décroissante la même ombre allongée apparut, cette fois familière comme si, toute ma vie, chaque nuit, avant mon sommeil, à la même heure cette ombre était entrée, ou plutôt à ce point familière qu'elle était plus en moi qu'au-dehors, depuis ma naissance venant en moi la nuit m'apporter une tasse de café turc. À travers mes cils je la vis retirer le guéridon bleu qu'elle remit silencieusement à sa place, toujours avec la précision d'aveugle-née elle reprit le plateau, elle sortit et referma la porte. Ma seule crainte fut que ma politesse n'eût égalé la sienne, c'est-à-dire qu'un mouvement de mes mains ou de mes jambes n'eût trahi ma feinte absence. Or tout se passa avec tant d'adresse que je compris que la mère venait chaque nuit apporter à Hamza le café et le verre d'eau. Sans bruit, sauf quatre petits coups à la porte, et au loin, comme dans un tableau de Détaille, la canonnade sur fond d'étoiles.
Puisqu'il était cette nuit au combat, dans sa chambre et sur son lit je tenais la place et peut-être le rôle du fils. Pour une nuit et le temps d'un acte simple cependant nombreux, un vieillard plus âgé qu'elle devenait le fils de la mère car « j'étais avant qu'elle ne fût ». Plus jeune que moi, durant cette action familière — familiale? — elle fut, demeurant celle de Hamza, ma mère. C'est dans cette nuit, qui était ma nuit personnelle et portative, que la porte de ma chambre s'était ouverte et refermée. Je m'endormis.

Ce texte est extrait du Captif amoureux, le dernier et, par certains aspects, le plus personnel des livres de Jean Genet, paru en 1986. Il venait de terminer la correction des épreuves lorsqu'il est mort, seul, dans une chambre d'hôtel du 13e arrondissement, dans la nuit du 15 au 16 avril 1986.

J'ai eu le plaisir d'acquérir, en 2015, un exemplaire de l'édition originale dans une reliure originale et somptueuse de Florent Rousseau.



C'est ma façon de vous souhaiter mes meilleurs vœux pour 2016, que j'espère toujours riche en découvertes.

La revue Inversions

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C'est une initiative à saluer que la réédition à l'identique des 4 numéros de la revue homosexuelle Inversions et du numéro unique de L'Amitié. Il y a déjà eu des études sur ces revues pionnières, mais, à ma connaissance, aucune publication en fac-similé.


Pour rappeler l'histoire, ce sont deux jeunes gens parisiens, originaires du Gers, Gustave Beyria et Gaston Lestrade, avec un 3e comparse,  qui se lancent, sans beaucoup de soutiens, dans la publication d'une revue uniquement consacrée à l'homosexualité : « [Ce] n'est pas une revue de l'homosexualité mais une revue pour l'homosexualité. » Ces extraits du texte d'introduction du premier numéro est un programme de « défense et illustration » de la cause homosexuelle et des homosexuels :
Nous voulons crier aux invertis qu'ils sont des êtres normaux et sains, qu'ils ont le droit de vivre pleinement leur vie, qu'ils ne doivent pas, à une morale qu'ont créée des hétérosexuels, de normaliser leurs impressions et leurs sensations, de réprimer leurs désirs, de vaincre leurs passions.
[...]

INVERSIONS veut être leur Revue, ils y chanteront leur amour aussi beau, aussi noble que les autres amours.
[...]
Nous voulons grouper autour de INVERSIONS ceux qui souffrent de leur solitude. INVERSIONS veut être pour eux, l'écho des voix de leurs frères d'amour.
Nous étudierons ici les homosexuels, qui dans la littérature, les arts, la philosophie et la science, se classèrent parmi les génies.
Nous faisons donc appel à ceux, qui, hors de tout préjugé, de toute morale conventionnelle voudront nous aider et nous éclairer de leur documentation et de leurs observations personnelles.
Notre effort se heurtera sans doute à bien des obstacles, à de nombreuses difficultés ; à vous tous, homosexuels, nos amis, nos frères, de nous aider et de nous soutenir.

Le premier numéro paraît le 15 novembre 1924. Initialement prévu pour paraître au rythme de 2 numéros par mois, la revue rencontre rapidement des obstacles, avec en particulier une inculpation pour « atteinte aux bonnes mœurs », comme ils l’annonce dans le 3e numéro. Le 4e et dernier numéro paraît le 1er mars 1925.

La majorité des articles sont signés de pseudonymes, mais on sait que, en plus de nos 2 auteurs, Eugène Whilhelm (Numa Praetorius),  Louis Estève, Camille Spiess, Pierre Guyolot-Dubasty (Axieros), etc. ont contribué.  Certes, quelques uns des grands noms de l'époque : André Gide, Jean Cocteau, Willy sont absents, alors qu'ils auraient pu apporter leur contribution, voire même leur protection, mais on ne sait pas s'ils ont été sollicités.

Suite aux poursuites engagées, la revue devient L'Amitié. Dans le seul et unique numéro paru en avril 1925, sont publiées quelques contributions de soutien qui avaient été sollicitées dans le dernier numéro d'Inversions, sous forme de 3 questions dont la dernière est : « Quel est votre opinion sur l’homosexualité et les homosexuels ? ». On voit apparaître des signatures plus prestigieuses comme Havelock Ellis, Henry-Marx, Camille Spiess, Claude Cahun, Suzanne de Callias et Georges Pioch. Le revue disparaît ensuite.

Cette histoire, ainsi que le contenu même de la revue, est mis à notre disposition, contribuant à une meilleure connaissance de notre histoire homosexuelle.

Il y a cependant deux remarques à faire.

Dans le sous-titre : « Une autre histoire de la première revue gay française »,  dans le texte lui-même, il est répété qu'il s'agit de la première revue homosexuelle. Pourquoi une telle affirmation ? Tout le monde sait que la première revue française est Akademos. Comme celle-ci était d'un esprit un peu différent, peut-être un peu moins militant, j'imagine que Michel Carassou lui dénie le titre de première revue au profit d'Inversions. Mais ce n’est que supposition de ma part. Il est tout de même dommage qu'une telle erreur soit mise en avant. Ce qui est le plus étrange est que la revue Akademos est citée plusieurs fois, en particulier dans la bibliographie.

Mais, ce qui m'a le plus dérangé est l'injustice qui est faite aux deux piliers de cette revue, Beyria et Lestrade. Ils ont été condamnées à de la prison ferme. Ils n'imaginaient pas qu'en plus, dans cette réédition, on les déposséderait de leur initiative et de leur travail en attribuant un rôle central à Claude Cahun dans l'histoire de la revue, en particulier dans le dernier numéro où il est avancé, sans preuves : « cette livraison de L'Amitié a été conçue et dirigée par Claude Cahun. » (p. 30). L'avantage des publications sous pseudonyme est que cela permet de donner libre court à son imagination pour tenter d'identifier les auteurs. C'est ainsi que par un jeu de déductions aussi subtiles que fragiles, Claude Cahun se retrouve projetée, si j'ose dire, au-devant de la scène. Pourtant, la  seule chose certaine est qu'elle a contribué en envoyant un texte de soutien pour le numéro unique de L'Amitié. Au-delà, lui attribuer des contributions importantes dans les 4 numéros d'Inversions et un rôle de premier plan dans L'Amitié est du roman, et pas de l'histoire. Et je ne parle pas d'hypothétiques manœuvres conduites par Claude Cahun – on ne prête qu'aux riches ! – pour « éliminer » Camille Spiess. Certes, cet étrange personnage fort peu sympathique avait probablement rien à faire dans une telle revue, mais, à défaut d'autres preuves, je pars du principe que ce sont ceux qui ont créé la revue qui ont eu assez de maturité pour cesser de solliciter sa contribution.

C'est ainsi que je souhaite rendre hommage à Gutave Beyria et Gaston Lestrade. Ils ont tout le mérite de la création et de l'animation de cette revue pionnière, pour laquelle ils ont injustement payé. Claude Cahun a d'autres titres de mérite dans l'histoire homosexuelle, pour ne pas chercher à lui en attribuer d'autres.

Pour élargir les points de vue sur l'histoire de cette revue, il est conseillé de lire les autres études accessibles, comme l'article d'Olivier Jablonski in Dictionnaire des cultures gaies et lesbiennes, Paris, 2003, l'étude de Mirande Lucien, Inversions 1924-1925. L'Amitié 1925. Deux revues homosexuelles française, Lille, GKC, coll. « Cahiers GKC » (n° 58), 2006 ou, de la même : Les deux premières revues homosexuelles de langue française : Akademos (1909) et Inversions/L’Amitié (1924-1925) in La revue des revues, n° 51,‎ 2014.

Images

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CALAVAS actif 1860-1870

WILHELM VON PLUSCHOW 1852-1930

WILHELM VON GLOEDEN 1856-1931

"Jacques Chazot au "Boeuf sur le Toit",
dans sa création du Petit Génie de la Bastille", ca 1920

LIONEL WENDT 1900-1944

KAROLL OF HAVANA

RAYMOND VOINQUEL 1912-1994

RV LEBEAUPIN 1956-1996

VINCENT GODEAU 1954
Jeune boxeur, série "Narcisses", 1989

BIRON Oz, 2012

Photos extraites d'une vente aux enchères à venir, le 23 février 2016.

Le quadrille du lancier et Voyous de velours, de Georges Eekhoud.

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Je répare aujourd'hui un oubli fâcheux. En effet, je n'ai pas signalé en son temps la publication de deux volumes de textes de Georges Eekhoud dans la collection GayKitshCamp. Je me devais d'en parler à double titre.

D'abord, pour saluer cette initiative de rendre accessibles un ensemble de nouvelles et un ouvrage de cet auteur malheureusement mal connu aujourd'hui,  même au sein de la culture homosexuelle, alors qu'il a écrit des textes puissants sur la fascination pour les jeune voyous, leur virilité explosive, leur charme, leur tendresse. Mais, il ne faut pas y voir que cela. Ce sont des tranches de vie, dans la Blegique populaire fin de siècle, écrites dans un langue puissante, parfois recherchée.

Le quadrille du lancier contient un choix de nouvelles, dont beaucoup sont extraites de l'ouvrage Mes communions, que j'avais largement décrit et analysé sur ce site. Je vous renvoie à mon message : cliquez-ici.



Pour une présentation de l'ouvrage sur le site de GayKitschCamp Le quadrille du lancier.

Voyous de velours est la réédition du roman paru en 1904 sous le titre L'autre vue et, en 1926, sous le titre Voyous de velours ou l'autre vue. Bien qu'il s'agisse d'un roman, il est en réalité composé de 3 parties bien distinctes, certes, qui sont unies par le personnage principal, Laurent Paridael, et un certain déroulé chronologique. De mon point de vue, c'est le chapitre central, justement appelé Voyous de velours, qui est le plus intéressant. S'il me fallait en retenir qu'un phrase, ce serait celle-ci :

Ils finirent par parler tous à la fois ; ils trépignaient, se bousculaient, s'égosillaient, se criaient mutuellement dans le visage, et leur charnure se chauffant avec leur langage réveillait la moiteur de leurs haillons et communiquait à leurs dessous de flanelle et de là à toute l'atmosphère ces effluves de force adolescente comparables aux fragrances des arbres séveux.




Pour une présentation de l'ouvrage sur le site de GayKitschCampVoyou de velours.

Cette édition est accompagnée de présentations et de notes très intéressantes et utiles par Mirande Lucien. Là aussi, je retiens surtout la présentation et les photos d'un bel exemplaire relié de L'autre vue, offert par Georges Eekhoud à son épouse Cornélia Van Camp, exemplaire qu'il a complété de photos de quelques uns des voyous qui ont inspiré ceux du roman. On se fait une idée assez précise des "goûts" de Georges Eekhoud (notons au passage l'étrangeté apparente d'offrir à sa femme un tel cadeau, mais cela montre la solidité et la complicité de leur relation).


La deuxième raison pour parler de ces éditions est que j'ai fourni de nombreuses illustrations, en particulier les gravures de Frans de Geetere, petit motif de satisfaction.
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