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Glanes

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École FRANÇAISE du début du XIXe siècle. Académie d'homme.
Anciennement attribué à Pierre-Paul Prudhon

École Française fin XVIII-début XIXe "Étude de nu académique". Sanguine sur papier.

Ivanovitch SOUNGOUROFF (1911-1982) "Portrait d'un jeune garçon".
Huile sur toile signée en bas à gauche.

Paul Cézanne : Les Baigneurs (grande pl.). Vers 1896-1897. Lithographie.



Matthias Stom (Amersfoort 1600-Sicile 1650) : Mucius Scaevola menaçant Porsenna après avoir tué son secrétaire



Georges Hérelle. Archéologue de l'inversion sexuelle «fin de siècle»

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C’est un livre stimulant qui vient de paraître : Georges Hérelle. Archéologue de l'inversion sexuelle « fin de siècle », Introduction et édition établie par Clive Thomson. Préface de Philippe Artières


Sur cette période 1870/1914, il existe déjà de nombreuses études sur l’homosexualité, qui abordent le sujet selon de nombreux points de vue : médical, littéraire (riche période !), artistique (voir le récent Plaisirs et débauches au masculin : cliquez-ici) ou tout simplement historique. Pour les études historiques, la large utilisation des archives de police apporte un éclairage intéressant, mais qui est marqué par le biais induit par la source- même. Ainsi, la prostitution masculine, la délinquance liée à l’homosexualité et les affaires de mœurs délictueuses sont surreprésentées par rapport à ce que pouvait être la vie quotidienne d’un homosexuel du temps. Dans la littérature, l’atmosphère fin-de-siècle nous dépeint souvent un univers décadent, marqué par des personnalités hors normes, en marge de la société, le plus souvent au sein de milieux aisés (je pense évidemment à Jean Lorrain, Marcel Proust, Oscar Wilde, Robert de Montesquiou, etc.). Ceux qui ont lu Sodome d’Henri d’Argis imaginent sans mal le type d’êtres décadents et débauchés qui faisaient les beaux-jours de la littérature homosexuelle, des arts et des chroniques des gazettes.

Georges Hérelle

Après cette immersion, souvent passionnante, on se demande s’il existait des homosexuels « normaux » (j’utilise le mot avec prudence). Ce que j’appelle un homosexuel normal est une personne qui fait un métier standard (professeur par exemple), au sein d’une famille normale (la petite bourgeoise de province), qui a des amis, des occupations, bref, qui mène la vie de monsieur Tout-le-monde, excepté que les fées qui se sont penchés sur son berceau lui ont donné le goût pour les personnes du même sexe. En lisant ce livre, je pense l'avoir rencontrée. Cette personne, c’est Georges Hérelle. Le livre est la publication d'une partie de ses archives et de ses papiers d’érudit, dans lesquels il a consigné tout au long de sa vie des témoignages, des réflexions, des lettres au sujet de l’Amour grec, pour reprendre son expression favorite. Ce qui rend d’autant plus rare cet ouvrage, c’est que ce type de documents ne se rencontre quasiment jamais.

George Hérelle, vers 1930

Georges Hérelle n’est certes pas monsieur Tout-le-monde. Né à Pougy-sur-Aube le 27 août 1849, il passe sa jeunesse à Troyes. Professeur de philosophie dans de nombreux lycées de province (Dijon, Dieppe, Vitry-le-François, Évreux, Cherbourg et enfin Bayonne), il est surtout passé à la postérité pour ses traductions de Gabriele D’Annunzio, ainsi que, de manière plus confidentielle, pour ses études des pastorales basques. En parallèle de ses nombreuses activités, il a amassé au fil du temps une documentation sur l’Amour grec. Il publie d'abord en 1900 à seulement 25 exemplaires, Aristote : Problèmes sur l'amour physique, traduits du grec en français et enrichis d'une préface et d'un commentaire par Agricola Lieberfreund. Le tirage tellement confidentiel ne lui permet pas de se faire connaître. Plusieurs décennies plus tard, toujours à l'abri d'un pseudonyme, il publie son travail le plus connu et le plus diffusé (la justification annonce 3200 exemplaires) : Histoire de l'amour grec dans l'antiquité, par M.-H.-E. Meier, augmentée d'un choix de document originaux et de plusieurs dissertations complémentaires par L.-R. de Pogey-Castries, publié en 1930 aux éditions Stendhal. Cette étude n’est qu’un pâle reflet de l’extension des études homosexuelles de Georges Hérelle. Il a ensuite l’ambition de publier des Nouvelles études sur l’amour grec, mais son décès à l’age de 86 ans le 15 décembre 1935 à Bayonne, ne lui a pas permis de mener son projet à son terme. Archiviste dans l’âme, Georges Hérelle n’a eu de cesse avant la fin de sa vie d’assurer une protection de ses archives en les donnant à différentes institutions, en fonction du sujet. Ses archives sur les pastorales basques sont restées à Bayonne. En revanche, tout ce qui concerne ses traductions, ses archives sur D'Annunzio ont été données à la bibliothèque de Troyes, sa ville d’enfance. Après avoir transmis ses premières archives, intéressantes pour une bibliothèque de province en enrichissant son fonds avec des documents inédits, il commence à tâter le terrain auprès du conservateur pour ses archives sur l’Amour grec. Il faut rendre hommage à ce conservateur, Lucien Morel-Payen, pour son ouverture d’esprit car il l'a tout de suite accepté. C’est l’exploitation de ces riches archives par Clive Thomson qui fait la matière de ce livre passionnant à plusieurs égards.

Avant d’entrer dans la description de l’ouvrage, une précision s’impose sur l’homosexualité de Georges Hérelle. Clairement, comme l’indique les titres de ses livres, il vit l’homosexualité comme une relation sentimentale et sexuelle entre un « aimant » et un « aimé », nécessairement plus jeune, souvent adolescent et d’un milieu inférieur. C’est le modèle de l’Amour grec, avec sa dimension éducative, entre l’éraste et l’éromène, qu’il veut faire revivre en cette fin-de-siècle. Il ne semble pas envisager que cette relation puisse être celle de deux êtres adultes, dans un rapport d’égalité. Lorsque il parle d’homosexuels de son âge ou de son milieu (Félix Bourget, François Le Hénaff, etc.), ce sont des confidents, mais pas des amants. Il faut dire que l’époque restait très marquée par ce modèle. J’en veux pour preuve le Corydon de Gide.


L’ouvrage débute par les lettres échangées avec les frères Paul et Félix Bourget (Paul Bourget est le célèbre écrivain, futur académicien). Les lettres de Georges Hérelle à Félix Bourget, du printemps 1873 (Georges a 23 ans et Félix 15 ans) sont très libres de ton, dans la mesure où la vie homosexuelle, les sentiments, les peines de cœur, les amours, sont très franchement discutés, même s'il n'y aucun aspect sexuel explicite (pp. 84-98). On aimerait pouvoir trouver d’autres correspondances de cette nature. Quel éclairage cela pourrait nous donner sur la vie d'un homosexuel de l’époque ! Il fallait ce concours de circonstances pour que ces lettres soient conservées.

L’ouvrage contient aussi une étude sur la prostitution en Italie, pays où il a souvent séjourné à un moment de sa vie. Cette étude, presque sociologique, laisse penser qu’il ne s’est approché de ce monde qu’à titre d’intérêt purement intellectuel… 

Ce qui forme la partie centrale de l’ouvrage est le questionnaire sur l’homosexualité qu’il a soumis à quelques amis et qu’il a complété de ses propres remarques et considérations. On y voit une interrogation permanente sur la nature des sentiments, sur la pérennité des amours de ce type. En filigrane, voire de façon plus directe (on appréciera la pudeur des passages en latin pour évoquer des habitudes sexuelles), il discute ou commente la nature du plaisir sexuel, en particulier celui du pathicus, autrement dit le plaisir passif. Même si cela n’est pas mené à son terme, il y a une réflexion à la croisée entre le plaisir homosexuel, ses formes, et les sentiments amoureux. Par certains exemples qu’il cite, c’est seulement dans cette partie qu’il casse les codes de l’Amour grec au sens strict : aimant-actif-mature/aimé-passif-jeune. Signe probable de l’influence de l’âge, on le sent profondément marqué par le passage du temps et la fragilité de ces amours, quand l’aimé commence à entrer dans l’âge adulte et qu’il s’éloigne presque naturellement de l’aimant. Cette partie centrale du livre est la plus intéressante et la plus riche pour qui veut lever le voile sur ce que pouvait être un homosexuel à la fin du XIXe siècle.

Ensuite, il poursuite par un long texte de réflexions, sous le titre de Les opinions de Simplice Quilibet, qui illustre bien ce que j’entends par homosexuel normal. Même s’il ne se revendique pas de ces termes, l’exergue : "Les opinions de Simplice Quilibet, français moyen, sur lui-même et sur autrui, sur l'art et sur la littérature, sur le droit et sur la morale, sur le monde et sur Dieu", exprime bien qu’il se voit comme un homme « standard » conduit à réfléchir sur ce sujet et beaucoup d'autres.

Enfin, la dernière partie de l’ouvrage est la conclusion écrite de l’ouvrage jamais paru. Il s’interroge sur le statut de l’homosexualité à son époque, qu’il met en regard de la place prise par la femme, et l’amour conjugal dans la société du temps. Il conclut que, malgré ses vœux, une renaissance de l’amour grec n’est pas possible à son époque, même s’il constate une plus grande tolérance à cet égard.

En conclusion, un livre a fortement recommander à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’homosexualité. Parmi les très nombreux documents qu’il a conservés et donnés, il y a des recueils de photos de famille, de cartes postales des lieux où il est passé, des amis, des hommes qu’il a aimés, des photos d’hommes nus, etc. Certaines sont reproduites dans le cahier central. J’en ai sélectionné quelques unes.




Plaisirs et Débauches au Masculin. 1780-1940.

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Livre après livre, Nicole Canet, de la galerie « Au Bonheur du Jour », construit une histoire illustrée de l'homosexualité masculine. Après le très documenté, Hôtels Garnis, Garçons de joie, Prostitution masculine à Paris de 1860 à 1960, dont j'ai parlé ici, Tendres marins. Dessins de Roland Caillaux (voir ici) ou enfin le très beau Jean Boullet. Passion et subversion (voir ici) - on constate la variété et la richesses des thèmes traités - , un nouvel opus vint de paraître : Plaisirs et Débauches au Masculin. 1780-1940.

Ce qui fait l'intérêt de cet ouvrage, comme des précédents, est l'alliance entre les textes et la très riche iconographie. Principalement tirées des collections de sa galerie, la plupart des 250 illustrations sont inédites. Pour ce livre, Nicole Canet a exhumé un carnet de dessin d'Arthur Chaplin (1869-1935), fils du peintre Charles Joshua Chaplin, qui est le récit par l'image de la journée d'un dandy homosexuel fin-de-siècle. Ce sont les images savoureuses d'un monde raffiné, vaguement décadent, où l'élégance et les plaisirs semblaient une fin en soi. Ces images ont été enrichies de courts textes qui donnent, parfois avec un double sens, une vie à ses images. Un des dessins illustre la couverture.


Autre intérêt, les monographies de quelques écrivains majeurs de cette même période : Jean Lorrain, Jacques d'Adelswärd-Fersen, Oscar Wilde, Robert de Montesquiou, etc. Chaque texte, d'un auteur différent, est le reflet, toujours bien illustré, des différentes manières d'être homosexuels en cette fin de siècle.

Mais le livre ne s'arrête pas là. Le début de l'ouvrage reste très chaste. Mais peu à peu, des images plus érotiques sont offertes au lecteur. Chacun pourra y grappiller ses propres images, selon ses goûts. C'est par exemple une série de gravures anciennes, dans le chapitre "Débauches". C'est un ensemble de dessins inédits d'Hildebrandt, très belle série d'illustrations érotiques des années 1930. 



Dans une large section, "Photographies Érotiques", parmi les nombreuses curiosités, sont reproduites des sortes de planches contacts, assortiments d'images érotiques où 2 garçons expérimentent toutes les positions possibles. L'amateur n'avait plus qu'à choisir la ou les photos qu'il voulait acquérir pour alimenter son imagination.


Plus loin, pour ceux qui aiment, c'est une collection d'images érotiques SM qui sont offertes à la vue (et à l'esprit!). Ce qui en fait le « charme », si j'ose m'exprimer ainsi, est le fait qu'il s'agit d'un travail amateur. C'est d'ailleurs une remarque générale sur les photos de cet ouvrage. Majoritairement œuvres d'amateurs ou de professionnels qui faisaient cela pour l'argent, on y retrouve un cachet d'authenticité que l'imagerie érotique (ou pornographique, c'est selon) actuelle, avec ses beautés standardisées et ses figures imposées, a définitivement abandonnée,  même pour les « œuvres » dites d'amateur.


Mais ce livre n'est pas que cela. On y trouve d'autres sujets variés : "Miniatures Persanes", "Estampes Chinoise", "L'Onanisme" et encore "Les Préservatifs". Comme on le voit, une grande variétés de thèmes, avec ce fil rouge : l'homosexualité masculine illustrée par l'image et la photo.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur la page de la galerie où un petit flip-book permet de se faire une idée encore plus précise de l'ouvrage: www.aubonheurdujour.net/Plaisirs_et_debauches.html et, pourquoi pas, de se l'offrir ou de l'offrir comme cadeau en ces jours propices à cela.

Ce magnifique de dessin de Roland Caillaud est probablement la plus belle façon de terminer cette présentation de l'ouvrage.

Meilleurs voeux pour l'année 2015

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J'ai choisi ce détail d'un tableau du Pérugin pour marquer le début de l'année.


J'ai pu admirer à nouveau ce tableau lors de l'exposition Pérugin qui se tient encore pour quelques jours au musée Jacquemart-André, à Paris.


J'ai toujours été fasciné par ce tableau, que j'ai déjà eu l'occasion de voir au Louvre. C'est en le revoyant que j'ai retrouvé, intact dans mon souvenir, la puissance érotique de cet œuvre.Si Apollon obéit au standard physique de la Renaissance italienne :


Le jeune homme, concentré sur son instrument, qu'Apollon regarde avec bienveillance, m'a toujours semblé "moderne", si tant est que le mot signifie quelque chose. Je veux dire par là qu'il a la beauté intemporelle des hommes et, détail qui n'est pas pour me déplaire, il a la chevelure presque rasée, ce qui lui donne un aspect presque en dehors du temps et, dans tous les cas, en dehors des canons de représentation de la beauté masculine à la Renaissance, dont l'Apollon est un bel exemple.

Si l'on en croit la notice du musée du Louvre, le tableau représente : Apollon et Marsyas,  avec cependant ce commentaire : « On reconnaît souvent dans cette scène la joute musicale entre Apollon et Marsyas, mais celui-ci n'ayant pas l'aspect d'un satyre, il pourrait s'agir de Daphni, jeune pasteur mort d'amour pour Apollon. » La notice Wikipédia est plus précise : « Le jeune homme, qui n'est pas représenté en satyre, a fait s'éveiller des soupçons et des études approfondies laissent présager qu'il puisse s'agir de Daphnis, le jeune pâtre inventeur de la zampogna et du chant bucolique qui mourut d'amour pour Apollon. »

Il m'est agréable de penser que ce jeune homme que j'ai choisi pour marquer la nouvelle année se meurt d'amour pour Apollon, plutôt qu'il soit un satyre qui s'oppose à lui.

Je souhaite à mes lecteurs une bonne et heureuse année 2015, toujours plus riche en découvertes et en connaissances sur notre patrimoine commun, la culture homosexuelle qu'en tous temps, nous nous devons de défendre et mettre en valeur. Que cela soit un message d'espoir !

Glanes : Jean Cocteau

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Jean COCTEAU. Dessin original à la plume et lavis, avec légende et dédicace autographes signées ; 1 page in-4 (27 x 21 cm, un peu froissée).
Portrait de Dargelos, torse nu. En haut à gauche : « “l’élève Dargelos était le coq du collège” (Le Sang d’un poète) ». En bas à droite : « Souvenir de Jean Cocteau à Babbit avec mes excuses de l’avoir reçu comme un anonyme ».

Histoire de l'amour grec dans l'antiquité, par L.-R. de Pogey-Castries [Georges Hérelle], 1930

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En apprenant à connaître Georges Hérelle à travers les archives qu'il nous a laissées, j'ai compris qu'il n'était pas homme à garder pour lui la somme des informations et réflexions qu'il avait accumulées sur l'homosexualité. Cela semblait trop important  pour lui, pour qu'il ne trouve pas un moyen de partager avec d'autres ce qui était pour lui  un élément majeur de sa personnalité (je n'ose ou ne veux pas dire de son identité, car je crois que la question ne se posait pas ainsi pour lui).


Pour parler d'homosexualité, il a utilisé ce qu'il maîtrisait le mieux : l'érudition. Professeur de philosophie, maîtrisant le grec et le latin comme il se devait à cette époque, il débute par sa traduction du texte d'Aristote, Problèmes sur l'amour physique, qu'il publie de façon très confidentielle en 1900 à seulement 25 exemplaires, sous pseudonyme : 
Aristote. Problèmes sur l'amour physique, traduits du grec en français et enrichis d'une préface et d'un commentaire par Agricola Lieberfreund. En Pyrogopolis, 1900. Ouvrage tiré à vingt-cinq exemplaires seulement pour l'auteur, pour l'imprimeur et pour leurs amis. Achevé d'imprimer le vingt-cinq décembre 1899.

Ce n'est pas par un tel ouvrage qu'il pouvait donner de l'audience à son "combat" (le mot est probablement impropre) pour l'homosexualité masculine telle qu'il l'entendait, c'est-à-dire l'amour grec. En 1900, les écrits sur l"homosexualité étaient rares, en dehors de quelques romans. J'exclus évidemment les ouvrages médicaux, très nombreux, et autres ouvrages tous défavorables à l'amour masculin (études légales, criminologiques, morales, etc. etc.). Ce livre n'a eu visiblement aucune audience. Quand on pense qu'il travaillait sur ce livre depuis plus de 5 ans, on peut penser qu'il a eu une attitude contradictoire en voulant en même temps publier un livre, donc donner une certaine publicité à son intérêt pour l'homosexualité, et lui donner une audience faible, comme pris de timidité. Mais, sachant que nous sommes en 1900, on ne peut pas lui en faire grief.


Ce n'est que plus tard, vers 1920, qu'il s'intéresse à nouveau à l'amour grec. Indépendamment de son propre cheminement personnel, l'époque s'avérait de plus en plus favorable. Il poursuit tout de même dans la voie qu'il avait déjà suivie. C'est par le biais de la traduction d'un texte allemand, écrit en 1837 par Moritz Hermann Eduard Meier, Päderastie, publié dans Encyclopädie der Widdenschaften und Kunst, qu'il souhaite de nouveau aborder ce sujet si intimement important pour lui. Il connaissait ce texte depuis 1887, mais ce n'est qu'en 1920 qu'il ressort la traduction qu'il en avait faite. Moins isolé qu'il ne devait l'être en 1900, il obtient l'appui d'André Gide pour trouver un éditeur pour son travail. Grâce à son ami Ernest Pelletier, il est mis en relation avec celui-ci, qui sert d'intermédiaire entre Pelletier et Laurent Kvaraskelya (Éditions Stendhal), qui accepte de faire paraître le volume. Georges Hérelle et André Gide ne se sont jamais rencontrés, mais ils ont échangé quelques lettres, comme celle-ci, suite à la publication de l'ouvrage :
Cuverville en Caux 19 octobre 1930
Monsieur,
Déjà votre éditeur avait eu l'amabilité de me faire parvenir les bonnes feuilles de votre livre que j'avais lu tout aussitôt avec un intérêt très vif. J'ai déjà eu l'occasion de le signaler à plusieurs amis et ne manquerai pas d'en parler encore.
Veuillez croire à mes sentiments bien attentifs et cordiaux.
André Gide
L'ouvrage porte pour titre :
Histoire de l'amour grec dans l'antiquité, par M.-H.-E. Meier, augmentée d'un choix de documents originaux et de plusieurs dissertations complémentaires par L.-R. de Pogey-Castries.


L.-R. de Pogey-Castries est le pseudonyme de Georges Hérelle. On reconnaît dans les lettres L.-R. l'inversion des deux lettres que l'on entend dans son nom. Quant à Pogey-Castries, c'est une claire allusion à son lieu de naissance, Pougy-le-Château, dans l'Aube.

Pour aborder son histoire de l’amour grec, Georges Hérelle a choisi le biais d’une traduction d’un texte allemand, déjà un peu ancien, qui est une étude érudite sur l’amour grec. Dans l'Avertissement, il annonce : « On nous saura bon gré d'offrir aux lettrés et aux curieux la traduction française de cet excellent ouvrage, où est traité avec une savante maîtrise un sujet scabreux que la plupart des érudits eux-mêmes connaissent mal ». Il poursuit, pour préparer le lecteur : « La lecture de l'Histoire de l'Amour grec est plutôt austère. L'auteur s'y est placé à un point de vue très général. Avec une science profonde, il  traité de l'origine des légendes anciennes, de la différences des mœurs selon les régions, de l'influence de la pédérastie en matière politique et pédagogique, etc. ; mais il a systématiquement laissé de côté la chronique scandaleuse, ne s'est jamais attardé à la peinture des mœurs, a presque toujours dédaigné les détails pittoresques. »



Le texte de Meier est une étude historique, très factuelle, très documentée, austère, bourrée de références et de mots en grecs, qui, après quelques généralités et une introduction générale sur ces mœurs, décline ses différentes forme historique par civilisations anciennes de la Grèce : les Achéens, les Doriens, les Éoliens,  Athènes, civilisation pour laquelle il développe plus. Il reprend ensuite l'étude par philosophe : Socrate, Platon, Aristote. Quelques sujets annexes sont ensuite étudiés : la prostitution, les crimes. Le chapitre « Cause de l'Amour grec » ne lance que quelques pistes, peu fournies, mais se termine par une claire différenciation entre l'amour grec, « dans sa forme la plus pure et la plus noble » des « immonde dépravations dont Pétrone, par exemple, nous offre le tableau », autrement dit la sexualité homosexuelle. Un dernier chapitre additionnel traite de l'Amour grec, à Rome.

Ensuite, comme il l'annonce dans son avertissement : « Les lecteurs d'aujourd'hui cherchent ces petits faits dans la biographie des hommes illustres avec une curiosité toujours en éveil, et ils veulent être renseignés sur les particularités les plus secrètes de leur vie privée. », G. Hérelle donne des Appendices, composées d'une recension d'anecdotes historiques, de poésies antiues, de textes de droit, d'extraits discutés d'Aristote. Pour finir, Georges Hérelle donne un vocabulaire grec de l'amour. Lorsque les termes sont trop crus, la traduction n'en est pas donnée en français, mais en latin ! Le ton des Appendices est certes parfois plus léger que l'étude de Meier, mais on n'y trouvera guère de quoi se distraire. Tout cela reste terriblement sérieux ! A aucun moment dans le livre, il ne prend un ton plus personnel pour traiter le sujet. Cela reste à vérifier, mais je pense qu’une telle recension n‘avait pas encore été faite auparavant, en particulier dans un ouvrage destiné à un public plus large. Cela avait au moins le mérite de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’un thème anecdotique de l’Antiquité, ni d’une problématique très ponctuel dans le temps et dans le milieu concerné.  Non, l’amour grec ne concerne pas que Socrate et son cercle.

Dans le chapitre sur Aristote, il fait un rapprochement entre les théories d'Aristote et les  théories modernes (pp; 300-302), en allant jusqu'à Freud. C'est au détour d'un paragraphe, qu'il aborde « le mécanisme de la jouissance chez l'inverti. ». C'est peu dans un livre de plus de 300 pp., mais c'est peut-être beaucoup pour lui.


Si Georges Hérelle souhaitait faire œuvre de militant, ou, pour le moins, apporter publiquement dans le débat un éclairage plus favorable, je crains que la forme choisie et le ton utilisé ne permettaient pas d’être compris comme un plaidoyer pour l’amour grec. Après l’avoir lu, on pouvait seulement en déduire que cette forme d’amour, et seulement celle-ci qui ne représente pas toute l’homosexualité, avait été, à un moment de l’histoire, une façon habituelle, reconnue et même institutionnalisée de nouer une relation sensuelle et intellectuelle entre un homme et un garçon. A l’époque à laquelle il a paru, il apportait un élément positif à un débat qui a été introduit et instruit de façon plus magistrale par les œuvres antérieures de Marcel Proust, André Gide et Jean Cocteau.

Cela n’enlève rien au courage personnel de Georges Hérelle. Certes,  professeur retraité, il ne craignait plus rien. Il reste qu’en 1930, un ancien professeur, chevalier de la Légion d’honneur, érudit reconnu dans ses spécialités courrait le risque d’une stigmatisation, voire d’une forme de bannissement social dans le milieu dans lequel il évoluait. Cela peut ternir une fin de vie. Il a apporté sa pierre à cet édifice qui s’est construit peu à peu, depuis la fin du XIXe siècle, pour changer la vue de la société sur l’homosexualité, même si son combat, je le répète, ne concernait qu’une des formes de cet amour,  et qu’il semble avoir eu du mal à concevoir qu’il puisse prendre d’autres formes.

Il était peut-être conscient des limites de ce premier travail, car il rassemblait les éléments d’une Nouvelle histoire de l’Amour Grec, dont le plan, connu, et les éléments déjà rédigés permettent d’imaginer une position plus personnelle, plus engagée sur le sujet et, surtout, plus ancrée dans le temps présent. Il s’en était ouvert à André Gide dans une lettre de 1934 :
Le 8 juillet 1934

Monsieur,

Comme vous m'avez déjà témoigné une très efficace bienveillance, je me permets de soumettre aujourd'hui à votre appréciation la table ci-jointe d'un grand ouvrage dont le sujet vous intéressera peut-être.
Depuis une quarantaine d'années, à mes moments perdus, au hasard de mes lectures littéraires et philosophiques, j'ai recueilli une infinité de notes qui sont longtemps restées en vrac, mais dont enfin je me suis décidé à tirer un livre intitulé Nouvelles études sur l'amour grec.
Je m'imagine - est-ce une illusion d'auteur ? - que, dans l'ensemble, c'est une œuvre originale. Rien de semblable, au moins à ma connaissance, n'existe ni en France ni même en Allemagne.
Malheureusement l'ouvrage est très volumineux, et, pour le publier intégralement, il faudrait deux gros volumes in-8° ou quatre volumes in-16°. Les conditions actuelles de la librairie et de l'imprimerie rendent à peu près impossible cette publication, et, comme je suis champenois, je me propose tout simplement de donner le manuscrit à la Bibliothèque Municipale de la ville de Troyes, où il pourra dormir dans la poussière jusqu'au jour du Jugement dernier. Et je ne doute pas qu'au jour du Jugement dernier il bénéficiera d'une sentence d'absolution parce que c'est un livre de bonne foi, écrit en toute impartialité et dans un véritable esprit de justice.
Mais, en attendant, vous serez le seul public auquel j'aurai soumis l'esprit de mon œuvre. J'espère que cet esprit ne vous déplaira point, et votre approbation me sera plus précieuse que celle d'une foule incompétente.
Veuillez agréer, je vous prie, Monsieur, l'expression de ma respectueuse gratitude.
G.H.

Malheureusement, le temps ne lui a pas permis de concrétiser son projet. Il est mort en décembre 1935.
La conclusion inédite de cette Nouvelle histoire de l’Amour Grec est transcrite dans l'ouvrage récemment paru, que j'ai chroniqué : Georges Hérelle. Archéologue de l'inversion sexuelle «fin de siècle». De nombreux faits qui m'ont servi à rédiger cette chronique, ainsi que les 2 lettres à André Gide sont extraits de cet ouvrage.



Description de l'ouvrage

Histoire de l'amour grec dans l'antiquité, par M.-H.-E. Meier, augmentée d'un choix de documents originaux et de plusieurs dissertations complémentaires par L.-R. de Pogey-Castries.
Paris, Stendhal et compagnie, [1930], in-8° (194 x 140 mm), VIII-316-[1] pp.


Il a été achevé d'imprimer le 30 septembre 1930.

Le contenu est :
Avertissement (pp. V-VIII), signé en fin L.-R. De Pogey-Castries.
Première partie. Histoire de l'Amour grec. (pp. 1-200).
Deuxième partie. Appendices. (pp. 201-312).
Table des matières (pp. 313-316)

La justification du tirage est : 3200 exemplaires, dont 50 sur papier velin de Hollande Panneoek, chiffrés de I à L et 3150 exemplaires sur Alfax Lafuma, numérotés de 1 à 3150.

Malgré un tirage aussi important, il est difficile d'en trouver un exemplaire. Le tirage annoncé serait-il factice ? Se serait-il mal vendu ? Des exemplaires auraient-ils été détruits, vu le côté sulfureux de l'ouvrage ? On en trouve un exemplaire dans de nombreuses bibliothèques publiques, dont la BNF (8-R-38051). Pour l'anecdote, il y avait un exemplaire dans la Collection jésuite des Fontaines, actuellement déposée à la BM de Lyon.

Stendhal et compagnie a aussi publié : 
Dialogue entre un prêtre et un moribond,par Donatien-Alphonse-François, marquis de Sade ; publié pour la première fois sur le manuscrit autographe inédit avec un avant-propos et des notes par Maurice Heine, 1926.
Les 120 journées de Sodome, ou l'École du libertinage, par le Marquis de Sade. Édition critique établie sur le manuscrit original autographe par Maurice Heine, 1931-1935.
Sous le nom d'Editions Stendhal, ils ont aussi publié un texte homosexuel : Contes d'amour des samouraïs, XIIe siècle japonais, par Saïkakou Ebara, en 1927, dont l'annonce apparaît en 4ème de couverture de cet ouvrage :


Il existe deux rééditions, visiblement à l'identique, chez G. Le Prat, à Paris en 1952 et 1980.

Notes sur les illustrations de ce message



L'ouvrage de Georges Hérelle ne contient aucune illustrations. J'aurai pu faire le choix de reprendre quelques une des très nombreuses illustrations de l'Amour grec que l'on trouve sur Internet, en particulier les céramiques illustrées de scènes d'amour pédérastique. J'ai pris le parti, discutable, de choisir quelques tableaux de Poussin. Il n'y a pas de lien, mais le classicisme sensuel de Nicolas Poussin se marie admirablement à la rigueur du texte de G. Hérelle. C'est aussi pour moi l'occasion de mettre en valeur un des peintres que j'estime le plus.

Glanes

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Attribué à Simone CANTARINI (1612 - 1648) : Saint Jean Baptiste

Boleslas BIEGAS (1877-1954) : Jeune homme

L'image essentielle

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L'image essentielle
Une image - c'est un soupçon de ma part - a dû être déposée en moi dès le commencement du monde, au moins dès le commencement de moi-même, dès ma conception dans le sein de ma mère, une image abstraite et éclatante, qui est à l'origine de mon plus personnel Désir. C'est elle qui détermine et dirige tous les mouvements de mon âme.
C'est une image de l'Homme éternel. Un jour ou l'autre, elle s'incarne dans un être qui devient l'objet unique de ma hantise et de mes convoitises - obsession vivante -, hallucinante. Voilà le vrai ressort de la Passion.

Marcel Jouhandeau, Bréviaire, 1980, p. 30.

Pour moi, cette image pourrait bien être celle-ci :
 
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Merci à Another Country et son blog  qui m'a fait découvrir cette image.

L'immoraliste, d'André Gide, une édition populaire

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En 1950, les éditions Flammarion ont réédité des grands textes de la littérature dans une collection bon marché, qu'ils ont appelé "Select-collection" (la mode des anglicismes ne date pas d'aujourd'hui !).
Ce sont des cahiers imprimés sur un mauvais papier, sous une couverture illustrée d'une photographie en noir et blanc. C'est cette photographie qui a attiré mon attention, car elle résume en une seule image la trame de l'histoire et surtout le dilemme du héros Michel, entre la loyauté à son épouse mourante, Marceline, et les tentations de la sensualité, représentées par Moktir, lors du séjour final à Touggourt.


Le photographe anonyme a même trouvé un modèle de Michel qui présente quelques traits de ressemblance avec André Gide.


Quant à Marceline, on appréciera le côté théâtral de sa souffrance.


Le personnage central de la photo est, justement,ce jeune arabe :


Regardons le jeu de ses mains. L'une enlace tendrement le cou de Michel, tendresse qui n'est pas sans ambiguïté, car tout est dans la pression que cette main met sur le cou de Michel. Peut-être d'une simple sollicitation au début, elle devient une force qui tire vers le péché :


L'autre main, c'est celle qui indique la voie. Si, pour nous, cette voie est claire, comment était-elle interprétée par les lecteurs de 1950, cette époque qui a probablement été la plus prude de notre histoire ?


J'aime l'ambiguïté assumée de cette photo, sur cette publication bon marché, voire populaire.

Jesus-la-Caille, illustré par André Diginimont, 1929

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Dans le droit fil du message où je présentais Jésus-la-Caille (cliquez-ici), je poursuis ma description des différentes éditions de ce roman à partir d'un exemplaire qui vient de rejoindre ma bibliothèque.

Frontispice (détail)

Il s'agit de l'édition de 1929, parue chez Émile Hazan & Cie, à Paris, illustrée de 6 eaux-fortes en couleurs d'André Dignimont (1891-1965) dont une en frontispice. Elle contient une vignette en couleurs au titre et une vignette en noir à l'achevé d'imprimer. J'ai sélectionné 3 de ces 6 eaux-fortes, celles où apparaît Jésus-la-Caille

Frontispice

En face de la p. 98.

En face de la p.170.

Détails des 2 eaux-fortes :


Ce qui fait aussi l'intérêt de cet exemplaire est la belle reliure signée par G. Weissenbach, reliure animée représentant une rue de Pigalle (le Sacré-Cœur est représenté en haut du dos). On y voit les bistrots, les hôtels, les affiches sur les murs, Fernande à gauche et Jésus-la-Caille à droite, le tout sous la lumière blafarde d'un réverbère qui trône au milieu, sur le dos.



Description de l'ouvrage


Francis Carco
Jésus la Caille
Paris, Emile Hazan & Cie, [1929], in-8° (244 x 180 mm), [6]-209-[3] pp., 6 eaux-fortes en couleurs hors texte dont une en frontispice, titre en 2 couleurs avec vignette en couleurs, une vignette en noir à l'achevé d'imprimer, couverture illustré d'une vignette.

 Couverture

Ouvrage tiré à 833 exemplaires numérotés, plus 40 exemplaires hors commerce. Celui est un des 800 exemplaires sur vélin d'Arches, à la forme fabriqué spécialement pour cette édition, avec la signature de l'auteur en filigrane.

L'achevé d'imprimer est du 15 novembre 1929, sur les presse de l'imprimeur Coulouma à Argenteuil.


Cet ouvrage, relativement courant à la vente, est mal représenté dans les bibliothèques publiques. Je n'ai trouvé que 2 exemplaires, un la BNF et l'autre à la BU lettres de Nantes. Pour celui-ci, la notice précise que c'est un don de l'abbé Brion. Il avait des drôles de lecture, cet abbé ! Pour être abbé, on n'en est pas moins homme.

Une édition illustrée du Satyricon

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Un des plus grands plaisirs de se constituer une bibliothèque de beaux livres, c'est de découvrir des exemplaires inconnus au gré de mes chines. Dernièrement, au Salon du livre et des papiers anciens de la porte Champerret, je suis tombé sur cet exemplaire du Satyricon, de Pétrone dont la reliure m'a immédiatement attiré l’œil (voir ci-dessous). Lorsque je l'ai feuilleté, ces gravures en couleurs à l'antique m'ont plu, en particulier parce qu'il s'en dégageait une atmosphère homoérotique qui n'est malheureusement pas si courante pour ce texte, pourtant lui-même si emblématique d'une culture gay, si on me permet l'usage de ce mot pour un texte antique. Cette illustration m'a particulièrement plu.


Cela m'a d'ailleurs amené à revoir en partie l'opinion que j'exprimais dans ce message (cliquez-ici) : " de mon point de vue et à ma connaissance, il n'existe pas d'édition illustrée de ce roman qui soit à la hauteur de l'histoire et de ce qui en fait la force pour nous [les homosexuels]. Pour celui qui ne découvrirait le livre que par les illustrations, il ne soupçonnerait même pas qu'il s'agit d'un roman homosexuel."

En effet, je trouve que de façon discrète - nous sommes en 1912 - une atmosphère favorable à l'amour entre hommes se dégage  de ces illustrations. Sur les 25 que comptent l'ouvrage j'en ai sélectionné 15 (avec celle reproduite ci-dessus).















Ce qui est particulier à cet exemplaire est la reliure à l'antique, signée Flammarion-Vaillant.


Détail du dos de la reliure.

Description de l'ouvrage

Couverture

Pétrone
Le Satyricon (traduction)
Paris, Maurice Glomeau, Éditeur, 1912, in-8°, IX-238-[1] pp. (la pagination arabe continue la pagination romaine), 25 illustrations en couleurs pleine page hors texte dont une en frontispice, titre en 2 couleurs illustré d'une vignette en couleurs, couverture en 2 couleurs illustrée d'une vignette en couleurs.

Titre

Sur la page de titre, il est annoncé : "Illustré de 26 décorations en couleurs adaptées de l'antique", mais on ne compte que 25 illustrations pleine page. Elles ne sont pas signées, mais dans la justification, on comprend qu'elles sont de Léon Lébègue.

La justification des 500 exemplaires est :
- 25 exemplaires sur Japon, avec trois états des illustrations, et une aquarelle originale de Léon Lebègue ayant servi à l'illustration (n° 1 à 25)
- 50 exemplaires  sur Japon, avec deux états des illustrations (n° 26 à 75)
- 425 exemplaires sur Hollande (n° 76 à 500)
Cet exemplaire est le n° 234, avec la signature de Maurice Glomeau (MG).

La préface est signée de Maurice Glomeau. On comprend, même si ce n'est pas explicitement dit, que la traduction est de Maurice Glomeau. En 1911, il avait publié une traduction de La Matrone d'Éphèse, un extrait du Satyricon, traduit par Jean Redni, qui est probablement un pseudonyme de Maurice Glodeau.

Maurice Glomeau, d'abord installé au 21 rue Pierre-Nicole (Paris 5e) puis au 41 de la même rue a publié de nombreux ouvrages. Un essai de bibliographie est accessible sur Internet à cette adresse : www.lekti-ecriture.com/blogs/alamblog/index.php/post/2012/09/11/Bibliographie-lacditions-Maurice-Glomeau

Il a publié 3 ouvrages sur le Satyricon dont celui-ci :
Le Satyricon. Lithographies de A.-L. Manceaux., Paris, M. Glomeau, (s. d.), 387 p., pl. en coul. (Préface de Jean Redni).
La Matrone d'Éphèse, traduction littérale de Jean Redni, précédée de la traduction en vers de Jean de La Fontaine et suivie du texte latin. Illustrations de Louis-Édouard Fournier, gravées à l'eau-forte par Edmond Pennequin.Paris, M. Glomeau, 1911, 31 p., fig. et pl. gravées.
Le Satyricon, illustré de 26 décorations en couleurs adaptées de l'antique. Paris, M. Glomeau, 1912, 239 p., fig. en coul. La préface est signée : "Maurice Glomeau".

Glanes

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George PLATT LYNES :Henri Cartier-Bresson, 1935
 
Gustave de BEAUCORPS[attribué à] : Jeune Noir de Tanger de face (vers 1859)
 
Gustave de BEAUCORPS[attribué à] : Jeune Noir de Tanger de profil (vers 1859)

Ces 3 photos sont extraites de la prochaine vente aux enchères d'une collection particulièrement riche en photos anciennes : Une histoire particulière de la photographie Collection de Monsieur et Madame X (cliquez-ici pour voir le catalogue)


Le condamné à mort, Jean Genet

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Une très belle version du Condamné à mort, de Jean Genet que j'ai découverte ce soir par le double hasard d'Internet et d'une curiosité soudaine.


Magnifique !

L'enfant criminel, Jean Genet, 1949

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Jean Genet à 16 ans, photographie qui introduit le texte L'enfant criminel.

J'eusse voulu faire entendre la voix du criminel. Et non sa plainte, mais son chant de gloire.
Si quelqu'un me demandait de lui faire découvrir l'univers de Jean Genet, je lui conseillerais de lire L'enfant criminel. Hors l'homosexualité, on y trouve un résumé de son œuvre avec toutes ses contradictions. On y trouve d'abord cette sympathie pour les parias, les déclassés, pour tous ceux qui ce sont mis en marge de la société, avec même cette glorification qui fait qualifier de « criminel » ce qui n'est de prime abord qu'un monde de petits délinquants.
Mais le jeune criminel refuse déjà l'indulgente compréhension et sa sollicitude, d'une société contre qui il vient de s'insurger en commettant son premier délit.
Il [le couteau caché] est le signe même du meurtre que l'enfant ne commettra pas effectivement, mais qui fécondera sa rêverie et la dirigera, je l'espère, vers les manifestations les plus criminelles.
Car il faut un fier toupet, un beau courage, pour s'opposer à une société aussi forte, aux institutions les plus sévères, à des lois protégées par une police dont la force est autant dans la crainte  fabuleuse, mythologique, informe qu'elle installe dans l'âme des enfants, que dans son organisation.
Il s'en fait le porte-parole, le témoin, mettant son verbe au service de ces « petits gars » :
C'est à eux [les enfants criminels] que je parle. Je leur demande de ne rougir jamais de ce qu'ils firent, de conserver en eux intacte la révolte qui les a fait si beaux.
Quant à moi, j'ai choisi : je serai du côté du crime. Et j'aiderai les enfants non à regagner vos maisons, vos usines, vos écoles, vos lois  et vos sacrements, mais à les violer.
Et ça, c'est déjà Jean Genet, avec tous les excès de ce monde en partie fantasmé du mal, de la marge, où un simple voleur à l'étalage devient un « criminel ».
Quand c'est le Mal, on ne sait pas encore de qui l'on parle. Mais je sais qu'Il est le seul à pouvoir susciter sous ma plume l'enthousiasme verbal, signe ici, de l'adhésion de mon cœur.
Couverture de l'édition originale de 1949.

On y trouve aussi le refus de faire revenir les marges vers la société des gens « comme il faut », en glorifiant encore ces bagnes d'enfants qu'il magnifie comme un monde parallèle dans lequel ces sociétés d'enfants se créent, se soudent, entretenus par la violence extérieure, pour en faire un univers à part.
Toutefois, je l'espère, secrètement les enfants, malgré les termes révélateurs d'une hygiène assez niaise, reconnaissent l'appel du Pénitencier ou du Bagne.
Il exige que la punition soit sans douceur [...]. Il souhaite la rigueur. Il l'exige. En lui-même, il entretient le rêve que la forme qu'elle prendra sera un enfer terrible, et la maison de correction l'endroit du monde d'où l'on ne revient pas. [...] Ils exigent que l'épreuve soit terrible. Afin d'épuiser peut-être un impatient besoin d'héroïsme.
Quant aux pénitenciers, ils sont bel et bien la projection sur le plan physique du désir de sévérité enfoui dans le cœur des jeunes criminels. [...] Ces cruautés devaient naître et se développer nécessairement de l'ardeur des enfants pour le mal.
(Le mal: nous entendons bien cette volonté, cette audace de poursuivre un destin contraire à toutes les règles.) L'enfant criminel, c'est celui qui a forcé une porte donnant sur un endroit défendu. Il veut que cette porte ouvre sur le plus beau paysage du monde : il exige que le bagne qu'il a mérité soit féroce. Digne enfin du mal qu'il s'est donné pour le conquérir.
Vous supportez l'héroïsme quand il est apprivoisé [...]. Vous ignorez l'héroïsme dans sa véritable nature de chair, et qu'il souffre sur le même plan quotidien que vous-même. La vraie grandeur vous frôle. Vous l'ignorez et lui préférez la feinte.
Or, si des enfants ont l'audace de vous dire non, châtiez-les. Soyez durs afin qu'il ne vous ménagent pas. Mais depuis longtemps, vous trichez.
C'est cet appel à une sévérité sans pitié pour les enfant criminels dans les bagnes d'enfant qui met le mieux en lumière cette pensée paradoxale de Jean Genet, dont on pourrait croire qu'il se fait leur défenseur. Mais il ne se met pas au même plan que les honnêtes gens qu'ils fustigent tant dans leur posture morale, que dans leurs bonnes intentions.
Mais vous-mêmes, sur quoi faites-vous reposer vos règles morales ? Souffrez donc qu'un poète, qui est aussi un ennemi, vous parle en poète, et en ennemi.
Le seul moyen qu'auront les grandes personnes, les honnêtes gens, de sauvegarder quelque beauté morale, c'est de refuser tout pitié à des gosses qui n'en veulent pas.
Poussant son raisonnement, on trouve aussi dans ce court texte cette référence aux camps de la mort nazis et, plus largement, cette attirance/répulsion pour l'horreur nazie, qui est probablement un des aspects les plus troublants du personnage Jean Genet. Il met sur le même plan ces camps de la mort et les bagnes d'enfant.
Mais personne ne s'est avisé que depuis toujours dans les bagnes d'enfants, dans les prisons de France, des tortionnaires martyrisent des enfants et des hommes.
Ceux qui sont morts dans les camps étaient ceux-là :
Ces braves gens applaudissaient, qui sont aujourd'hui un nom doré sur le marbre, quand nous passions menottes aux poignets et qu'un flic nous bourrait les côtes.
Mais, quand on lit bien son texte, il se met au-delà des débats « normaux » sur le sujet car son propre univers personnel, construit en-dehors de tout ce que peut penser la société, se réfère à ses propres règles morales, construites sur une esthétique, voire une esthétisation du mal.

On y trouve ce goût, cette provocation de n'être jamais là où on l'attend, de déjouer les catégorisations. Sur un tel sujet, si l'on pense que ces maisons de rééducation sont indispensables pour remettre dans le droit de chemin par la contrainte et la fermeté, on aura du mal à adhérer à cette glorification du crime.
Car l'acte criminel a plus d'importance que n'importe quel autre puisqu'il est celui par quoi l'on s'oppose à une force si grande, morale et physique.
En revanche, si l'on pense que ces enfants délinquants doivent faire l'objet de la mansuétude et de la bienveillance de la société pour se réinsérer, on aura cette fois-ci du mal à adhérer à cet appel à maintenir ce monde de violence de ce que Genet appelle les bagnes d'enfant. Et on se sentira moquer :
Depuis quelques années, des hommes de bonnes volontés essayent d'apporter quelques douceurs à tout cela. Ils espèrent – et parviennent quelquefois à – gagner des âmes à la société. A nous faire, disent-ils, rentrer dans le droit chemin. Les réformes sont heureusement en surface. Elle n'altèrent que la forme.
Les éducateurs ont les naïvetés d'une salutiste, et sa bonté d'âme.
Mais je plaisante n'est-ce pas, et mon humour vous paraît bien lourd. Vous êtes sûrs que vous sauverez ces enfants.
C'est d'ailleurs en cela que son texte était et reste scandaleux. En 1949, il n'a pas trouvé sa place à la radio ; en 2014, il risque bien de ne pas plus trouver sa place dans les médias grands publics, de façon peut-être moins brutale qu'en 1949, mais plus insidieusement. Je laisse imaginer la polémique provoquée par quelqu'un qui demanderait plus de sévérité dans la répression des jeunes délinquants, pour rendre honneur à la beauté du « cime » et à la trajectoire criminelle qu'ils ont choisie !

Enfin, et c'est aussi pour cela qu'il faut lire Jean Genet, on y trouve cet écriture à nulle autre pareille, par sa puissance. Et, on l'oublie trop souvent, un peu obscurci par les débats qu'il provoque, Jean Genet reste d'abord et avant tout un écrivain. Ainsi débute son texte, et déjà, simplement on sent le souffle de l'écriture :
Que l'on veuille bien comprendre, et l'excuser, mon émotion, quand je dois exposer une aventure qui fut aussi la mienne. Au mystère que vous êtes il me faut opposer, et le dévoiler, le mystère des bagnes d'enfants. Épars dans la campagne française, souvent dans la plus élégante, il est quelques lieu qui n'ont pas fini de me fasciner.

Début du texte L'enfant criminel, avec la photographie de Jean Genet.

On y trouve aussi cette roublardise très propre à Jean Genet lorsque, après s'être délibérément placé du côté de l'enfant criminel, en rappelant aussi son propre passé, il répond vite à ce que l'on pourrait lui opposer : cette société qu'il stigmatise est la même qui lui permet de s'exprimer.
Hélas ! je crains bien n'avoir plus la même vertu puisque, par ce qui n'est pas seulement une erreur des organisateurs de cette causerie il m'est trop facilement accordé de parler à la Radio.
Il finit :
Aujourd'hui, puisqu'il est permis par je ne sais quelle erreur, à un poète qui fut de leurs, de parler à ce micro, je veux encore redire ma tendresse pour ces petits gars sans pitié. Je n'ai guère d'illusions. Je parle dans le vide et dans le noir, cependant, fût-ce pour moi seul, je veux encore insulter les insulteur.
Réédition

La dernière édition de L'enfant criminel (sans 'Adame Miroir) a paru dans la collection "L'arbalète - Gallimard" en 2104, avec la reproduction des deux photographies de l'édition originale :


En fin d'ouvrage, la Note sur l'Enfant criminel, par Thomas Simonnet, apporte des précisions inédites sur les circonstances de la demande à Jean Genet de cette intervention radiodiffusée. C'est Fernand Pouey, directeur du service arts et littérature de la Radiodiffusion qui a sollicité Jean Genet pour cette émission, comme il l'avait fait pour Boris Vian, Jacques Prévert et Antonin Artaud. Dans ce dernier cas, l'émission enregistrée a été interdite de diffusion par Wladimir Porché, directeur de la Radiodiffusion. On possède moins d'information sur l'émission projetée avec Jean Genet, qui ne sera même pas enregistrée. Il semble que là aussi, Wladimir Porché se soit opposé à ce projet. Cette même Note rapporte que cette émission prévue initialement en 2 parties devait comporter des interviews de procureurs et de présidents en leur demandant "quelle impression ils ressentaient quand ils condamnaient des gens à mort". On comprend qu'avec un tel projet, l'émission avait peu de chance d'aboutir en 1949 (en nos années, il en aurait encore eu moins !). Ce que ne signale pas cette Note, c'est que Wladimir Porché était le fils de François Porché, célèbre pour son essai publié en 1927 : L'Amour qui n'ose pas dire son nom.

Cette Note s'intéresse ensuite aux deux photographies de l'édition originale. Celle qui illustre la couverture n'a jamais été retrouvée depuis. Pourtant, elle a été souvent reproduite comme une photo de Jean Genet adolescent, bien que l'on ne soit pas sûr qu'il s'agisse de lui et que rien ne permet de le vérifier.

L'original de celle qui introduit le texte L'enfant criminel est un portrait de Jean Genet à l'âge de 16 ans, qu'il a ensuite dédicacé à Violette Leduc en 1948. Il se trouve maintenant dans les archives de l'IMEC.


Cette édition de 2014 est le première, depuis l'édition originale, à reproduire ces deux photographies dans la même configuration que l'édition originale, restituant toute l'importance qu'elles avaient par rapport au texte.

Description de l'ouvrage

Il s'agit d'un exemplaire du tirage de tête de l'édition originale de 1949.

Couverture avec la bande annonce de l'éditeur

Jean Genet
L'enfant criminel & 'Adame miroir
[Paris], Paul Morihien, [1949], in-8° (190 x 140 mm), 50-[4] pp., une photographie en noir et blanc dans le texte, couverture rempliée illustrée d'une photographie en noir et blanc, bande annonce de l'éditeur.

Page de titre.

Le contenu détaillé de l'ouvrage est :
- Faux titre (p. 3)
- Liste des ouvrages de Jean Genet (p. 4)
- Titre (p. 5)
- L'enfant criminel (pp. 7-33), avec un texte introductif signe J.G. (p. 9), une dédicace : « à Évelyne » (p. 11) et le texte proprement dit (pp. 13-33) précédé d'une photographie en noir et blanc représentant Jean Genet adolescent.
- 'Adame miroir (pp. 35-[51]), avec une dédicace : « à Ginette Sénémaud » et le texte proprement dit (pp. 39-[51])
- Table (p. [53])
- Achevé d'imprimer de février 1949 et justification (p. [54])

Le tirage de tête est de 50 exemplaires sur Marais Crève-Cœur, numérotés 1 à 50. Cet exemplaire est le n° 44.

La bande annonce de l'éditeur porte simplement « Jean Genet » et le monogramme de Paul Morihien.

Cet ouvrage a été publié par Paul Morihien, secrétaire de Jean Cocteau, qui avait auparavant publié Notre-Dames-des Fleurs et Querelle de Brest. A la différence de ces romans, son nom apparaît pour la première fois en toutes lettres sur la page de titre, avec son monogramme dessiné par Jean Cocteau.

Glanes

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Matteo Rosselli (1578 Florence - 1651), (attribué à) : Saint-Jean l’évangéliste


Marco Pino, (vers 1520 Sienne – vers 1590 Naples), (attribué à) : l'Archange Michel



Alain Jacquet : Thomas Eakin's Swimming Hole, sérigraphie polychrome sur panneau, 1966/68.

Mikhail Baryshnikov

Rudolf Nureyev



Victor Demanet (1895-1964) : Héraclès archer


Une variation sur le thème du Chant d'amour de Jean Genet

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Pour ceux qui connaissent le beau film de Jean Genet : Un chant d'amour, une scène centrale est l'échange de fumée entre les 2 prisonniers :



Cette courte vidéo est une variation sur ce thème :


Le supplice d'une queue, François-Paul Alibert, 1931

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A son époque, François Paul Alibert (1873-1953) était connu comme poète. Proche d’André Gide, il a entretenu une correspondance soutenue avec lui. Il me semble que, comme poète, sa renommée soit bien retombée. En revanche, au titre de l’histoire littéraire homosexuelle, il est passé à la postérité pour un ouvrage érotique assez étrange : Le supplice d’une queue, paru anonymement, à très petit tirage (95 exemplaires) en 1931.

Gravure en frontispice (non signée) par Creixams.

L’histoire de l’ouvrage est relativement simple. C’est le récit, presque sous forme d’une confession, d’un homosexuel, Armand, qui est doté par la nature d’un sexe monstrueusement grand. Le récit est construit à partir d’un premier personnage, Albert, qui rencontre Armand sur un lieu de drague homosexuelle, au bord de la mer. C’est lui qui recueille la confession d’Armand. C’est aussi lui qui clôt le récit. De sa rencontre avec Armand, Albert s'interroge (et c'est ce qui introduit la confession d'Armand) :
Albert, complètement stupide, ne sut que répondre oui de la tête; et, tout en revenant, ressassait : « Pourquoi diable se marie-t-on quand on a de ces goûts, et surtout qu'on est foutu de la sorte ? »

 François Paul Alibert


On peut avoir plusieurs lectures de ce texte. La première, la plus évidente, est celle d’une succession de récits érotiques, que forme la vie sexuelle d’Armand depuis l’enfance jusqu’à la maturité. On y découvre son initiation sexuelle, sa vie de collège, ses amours, en particulier avec Jacques, et, épisode central du livre, une scène d’amour à trois avec Jacques et une prostituée, Andrée, qui deviendra sa femme. Ces récits érotiques sont en même temps précis, crus et très littéraires. Il s’attache en particulier à décrire le plaisir et la jouissance masculine.

Que pouvais-je lui enfoncer, je vous le demande, puisque, ce qu'il souhaitait de tout son corps exaspéré, c'était ce glissement insidieux, cette pénétration successive qui commence par une brûlante perforation et s'achève en une dilatation triomphale, ce total envahissement à vous faire croire que vous devenez vous-même la colonne de chair, de pierre et de feu qui vous secoue, vous ébranle, et vous disloque jusque dans votre fondement le plus intime; ce hennissement de cavale défoncée par l'étalon; cette pression, presque cette succion des fesses serrées par le ventre de l'autre dont les mains réunies en ceinture pétrissent votre sexe roidi; et le double coup de foudre final qui fait de deux corps déments une seule masse bestiale convulsée et soudain retombante, où l'un embrasse une volupté sans visage, par conséquent sans déformation ni grimace, et où l'autre, encore plus extatiquement éperdu, n'adore devant lui qu'un vide immense où nage un impondérable bonheur venu de tous les points du ciel ?
La jouissance de Jacques, dans leur partie à trois avec Andrée :
Ici, et grâce à la clarté de la lampe, j'en pouvais suivre au contraire sur sa figure toutes les oscillations, toutes les courbes, toutes les ondes ascendantes, tout le succès. Je n'oublierai jamais cette expression tendue, parfois extatique, toujours hagarde, et, de temps à autre, douloureuse et suppliante, mais constamment dominatrice; et quand nous sombrâmes tous trois ensemble dans l'abîme, je gardai néanmoins assez de présence d'esprit pour admirer dans la détente convulsive de tous les traits de Jacques un quelque chose d'au-delà du monde qui me parut la plus parfaite image de ce qu'on a si bien appelé la petite mort de la volupté, et qui n'avait rien de commun avec le consentement nonchalant qu'ils exprimaient, lorsque, une main passée autour de son robuste flanc, et le caressant de l'autre, je voyais, après quelques légers frôlements, le plaisir y atteindre et s'y épanouir, mais avec plus de détachement que je n'aurais souhaité ; tandis que, grâce à la même caresse, j'avais vu d'autres visages se tordre et se convulser comme sous le coup d'une fulgurante horreur. C'était maintenant une autre révélation; mais de quelle nature, je ne pouvais encore nettement le discerner.

Une autre lecture est celle de la conscience du désir homosexuel. Armand s’affirme rapidement comme homosexuel, attiré seulement par des partenaires du même sexe, sans aucun désir sexuel pour les femmes. C’est une homosexualité sûre d’elle-même, sans doute ni interrogation sur l’objet de son désir.
Personne, quand je reparus devant mes parents, se doutât le moins du monde de quoi ce soit, ni se fût aperçu, à l'expression de mon visage, de la découverte que je venais de faire, et de la plénitude de joie dont elle m'avait comblé.
Si je me suis aussi longuement étendu sur un sujet qui, aux uns paraîtrait sans importance, ou d'autres ne verraient qu'une de ces aberrations communes à bien des enfants, sachez que je n'y mets aucune complaisance; je suis sûr toutefois que, comme moi, vous êtes persuadé qu'en pareille matière, il n'est rien qui n'ait son importance, pas plus qu'il n'y a d'aberrations; mais des cas d'espèces. J'y ai surtout insisté pour bien vous faire comprendre que, malgré les apparences, c'est uniquement vers un sexe pareil au mien que mon désir amoureux m'a toujours, dès l'enfance, et jusqu'à maintenant entraîné, que je n'ai jamais imaginé ni goûté de plaisir qu'avec lui, et que si, plus tard, j'ai eu la curiosité des femmes, cette curiosité a été d'une nature tellement spécieuse que, de tout mon récit, l'explication que je vous en pourrai donner en sera peut-être la partie la plus étrange et la plus difficile.
En revanche, la scène d’amour à trois, où il porte la femme lorsqu’elle se fait prendre par Jacques l’amène à s’interroger, à approfondir la nature exacte du désir qu’il a pour les hommes. Il finit par arriver à la conclusion assez surprenante, et, me semble-t-il, décalée par rapport à l’évidence affichée auparavant de son homosexualité, que le fond de son désir est d’être femme pour les hommes, non pas femme pour être passive dans l’acte sexuel, mais femme pour être soumise à l’homme.

Mais lui, cet homme [il parle de lui-même], s'il s'était, ne serait-ce que quelques secondes, fondu au feu brûlant qui émanait de la vulve de cette femme; s'il était parvenu à dompter sa nature, et à l'amener au point d'où son instinct, son goût, le tenaient diamétralement opposé, c'est qu'en pensée, du commencement à la fin, il s'était substitué à la brute gémissante et soupirante qui se démenait sous son poids; c'est qu'il aurait voulu être elle-même; c'est qu'il était elle-même et tout entier, ce vagin étalé, profond, insondable ; et qu'il se disait, les dents serrées et secoué d'une criminelle fureur : puisqu'il est dit, puisqu'il est avéré que tu jouis dix fois, vingt fois plus que celui d'entre nous qui jouit le plus, que ne puis-je être moi-même ce gouffre qui n'a ni forme, ni fond, ni limite; que ne puis-je, ainsi couché sur le dos, appeler, invoquer, provoquer le mâle, sentir sa queue glisser le long de mes cuisses; la lui empoigner et l'introduire, pour lui aider et lui faciliter l'entrée, dans mon issue bâillante et toujours plus écartée; absorber cette masse rigide qui s'enfonce lentement, puis brutalement, à croire qu'elle me traverse de part en part; puis la repousser d'un brusque mouvement pour qu'elle descende plus profondément encore; aller au-devant de cette virile pesanteur qui écrase ma faible chair; et recevoir finalement ce débordement de sperme qui me remplit, m'inonde, me bouche, m'obstrue, et me noie sous les nappes répandues par la stupide bête qui retombe sur moi, s'imaginant qu'il n'y a pas au monde plaisir comparable au sien, alors qu'il n'a été au contraire que l'aveugle instrument d'une jouissance qui dépasse la sienne de cent coudées !
- Vous dites juste, dit pensivement Albert; nous sommes tous des femmes manquées, et nous ne nous en consolons pas. Je m'en suis posé la question bien des fois, et j'aurais été incapable, sinon de la résoudre, du moins d'en établir les termes avec autant d'éloquence.


C'est là cependant, je crois, l'explication la plus vraisemblable de notre nature à tous, je dis tous ceux qui, comme vous et moi, ont le goût exclusif de l'amour viril Je ne m'égarerai pas dans des considérations digressives sur notre nature; on y a ergoté de cent façons, et personne n'en a donné d'interprétations satisfaisantes. Je crois toutefois que la mienne est valable. Plus d'une fois, il m'est arrivé, pour contenter un caprice de Jacques qui voulait me rendre la pareille, lui laissant à son tour insérer sa queue entre mes cuisses entrecroisées, de lui restituer le mode de plaisir que je lui demandais, de temps à autre. Combien le mien était alors plus vif que lorsque je le traitais ainsi de mon côté! C'est moi alors qui recevais son sexe au même endroit que si j'avais été femme; et sans doute, le bonheur dont j'étais comblé à l'instant où il s'inondait ainsi de joie contre moi, m'inclinait-il maintenant, entre les bras d'Andrée, à voir plus clair dans les raisons profondes et presque inexprimables de ce que tant de sots, ou d'hommes vertueux, ce qui revient au même, ont appelé notre inversion.

Après ces deux lectures, on reste sur un sentiment de gêne à propos de cette histoire où l’auteur a cru bon de doter le héros Armand d’un sexe si monstrueux qu’il ne peut ni pénétrer, ni même jouir manuellement facilement. Pourquoi avoir introduit cet élément presque fantastique, qui vient « brouiller » les lectures de ce texte ? Personnellement, j’ai trouvé cet élément perturbant, laissant un sentiment d’inachevé au moment de quitter ce livre. L’auteur ne s’explique pas sur ses intentions. Pour ma part, j’y vois une image de l’homosexualité comme une disgrâce (il utilise ce mot pour parler de son sexe) qui l’empêche d’avoir une sexualité complète et épanouie, en contradiction presque avec cette homosexualité sereine qu’il affiche par moment. C’est ce même sexe disproportionné qui le conduit à cette situation paradoxale d’épouser une femme qu’il n’aime pas vraiment, qu’il ne veut et ne peut pas contenter physiquement et qui, pourtant, semble représenter un aboutissement.
J'atteignais mes dix-sept ans; tel, ou à peu près, me voyez-vous aujourd'hui, tel j'étais alors. Un organe secret semblait absorber toute ma croissance et se développer indéfiniment au détriment de tout le reste de mon corps. Depuis longtemps, cette queue d'où tant d'autres auraient peut-être retiré un motif d'orgueil, et dont je ne suis pas très sûr du reste qu'à cette époque je ne me flattais pas qu'elle me mît à part des autres; cette queue, dis-je, n'était, depuis longtemps, pour mes jeunes camarades, qu'un objet de stupeur, parfois de risée, et, la plupart du temps, de terreur. Je m'apercevais déjà de l'inutilité de mes efforts, dès que je tentais de me satisfaire avec ceux d'entre eux qui voulaient bien m'accueillir, et ne pouvais arriver par eux à la volupté que grâce à des caresses détaillées et superficielles dont il fallait au surplus que j'assumasse plus de la moitié. Je ne cessais pas de m'acharner à une pénétration plus profonde qui, malgré, soit la complaisance, soit les moyens de préparation qu'ils y dépensaient, ne pouvait jamais aboutir à rien.
 
Je n'ignorais plus enfin que ma monstruosité me mettait à l'écart de tout le reste du genre humain, à quelque sexe qu'il appartînt. Je débordais d'une amère joie ; je tramais partout après moi je ne sais quel bonheur empoisonné. Je voyageai longtemps, en France, à l'étranger, m'entêtant contre toute évidence, multipliant des expériences qui toutes aboutissaient à la même déception.

Ce petit livre semble n’avoir eu aucun écho au moment de sa parution. Publié avec l’aide de Roland Saucier, responsable de la librairie Gallimard, la faiblesse du tirage l’empêchait d’avoir une audience, d’autant que l’anonymat complet du texte ne permettait pas de faire le lien avec François Paul Alibert, qui avait une certaine notoriété, et encore moins avec André Gide, ce qui aurait pu être une caution suffisante pour dépasser un cercle très restreint.

Inconnu pendant de nombreuses années, il a été réédité en 1991 par Jean Jacques Pauvert, avec une préface d’Hugo Marsan et une notice bibliographique qui donne de précieux renseignements sur les questions d’édition de l’ouvrage. A cette date, deux autres textes étaient connus, l’un par un manuscrit et l’autre par son seul titre Une couronne de pines. Depuis, le manuscrit a été publié par les éditions La Musardine en 2002 : Le fils de Loth. Quant au troisième texte, dont on sait que des épreuves avaient été imprimées avant d’être détruites, il n’est toujours pas réapparu. 



Le manuscrit de Le supplice d’une queue est passé récemment en vente.

Description de l'ouvrage


[François Paul Alibert]
Le supplice d'une queue
[Avignon], Éditions de l'Ile de la Barthelasse, 1931, in-8° (168 x 110 mm),  [2]-97-[2] pp., un gravure à la pointe-sèche en frontispice hors texte sur feuillet libre, couverture rempliée, emboîtage.




Dans les bibliothèques publiques en France, il n'existe qu'un seul exemplaire, dans la bibliothèque Jacques Doucet : J I 3 (6). C'est l'exemplaire n° 29.

Dessins de Jean Cocteau

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Lors d'une vente récente, une belle série de dessins de Jean Cocteau était proposée. Ma sélection :




 



Pour voir la série complète : cliquez-ici.

Barnum's Digest, Jean Boullet, Boris Vian

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Poursuivant ma quête des livres illustrés par Jean Boullet, j'ai eu récemment le plaisir de dénicher une petite plaquette assez rare, qui unit les noms de Jean Boullet et Boris Vian. Il s'agit de :
Barnum's Digest, 10 monstres fabriqués par Jean Boullet et traduits de l'américain par Boris Vian

Ce sont 10 dessins de Jean Boullet, représentant des monstres (des "freaks", pour reprendre le terme de l'époque), illustrant des poèmes de Boris Vian ("traduits de l'américain par Boris Vian" est une plaisanterie !).
A titre d'exemple, la 5e planche est celle qui est reprise en couverture. Ces "beaux gars" sont bien dans l'esprit de Jean Boullet.


Le poème qui accompagne est lui aussi bien dans l'esprit, un peu potache, de Boris Vian :

A  LA  COLLE
Quand je suis né, avec mon frère siamois
Mon père siamois m'a dit, sans se retourner
En regardant ailleurs
« Tout ça ne serait pas arrivé
Si ta mère siamoise
N'avait pas été abonnée au Chasseur français
Et au catalogue général de la Manufacture
d'Armes et Cycles de Saint-Etienne
(Loire)
Car
Les images de fusils à deux coups
A canons accolés, doublés, superposés,
Entrelardés, télescopés, soudés à mortaise et
jumelés — ou même couplés d'une autre façon...
qui remplissent toutes les pages blanches
(Celles  du  début,   d'où  surgit  soudain  la  gravure
double des cartouches en couleurs, avec coupe
ouverte sur les chevrotines bleues)
Car les images, donc, dit mon père siamois
Du  catalogue  général  de  la  susdite  manufacture
Lui ont déformé sa nature
Et le résultat,
C'est toi, mons fils siamois »
                                             *
Il le prononçait au pluriel
Alors je me mis à pleurer.

Une sélection de 3 autres dessins, parmi les 10 :

A double entrée

A griffes

 A cornes


Description de l'ouvrage


Barnum's Digest, 10 monstres fabriqués par Jean Boullet et traduits de l'américain par Boris Vian
Paris, « Aux deux menteurs », s.d. [1948], in-8° (210 x 135 mm), [52] pp., 10 illustrations plein page dans le texte, couverture rempliée illustrée d'un dessin


L'ouvrage ("cette plaquinette") a été tiré à 250 exemplaires :

Une notice Wikipédia complète sur ce texte : cliquez-ici.

Jeune Grec, Aristide Maillol

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Je croyais qu'Aristide Maillol n'avait sculpté que des femmes plantureuses, comme celles qui décorent (paraît-il) le jardin des Tuileries.

Je viens de découvrir ce beau bronze, intitulé Jeune Grec.


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