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Ompdrailles, Léon Cladel, 1879

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Encore enfant & déjà viril; des muscles, pas de graisse; un torse de héros, une ombre de duvet s'allongeant en droite ligne d'entre les mamelles vers le nombril & se perdant, plus touffue, sous les plis d'un caleçon couleur de feu; des reins bien creusés, irréprochablement assis sur des hanches un peu rondes; svelte, élancé sans être fluet; mains & pieds exquis; bras & jambes étalonnes au compas; un cou flexible & robuste arrosé de cheveux fluides tirant sur le roux, allant par mèches & vifs comme des rayons de soleil; l'air franc, des pupilles bleu-clair & profondes ainsi que des coins d'azur, une bouche paisible & la narine en mouvement; imberbe & la peau chaude de ton, des traits hardiment agencés & vivant en très-bonne harmonie; un front presque carré, la face sereine & superbe d'un archange : il était, l'Ompdrailles, amoureusement & savamment étudié par les yeux avides de la foule, qui ne pouvait se rassasier de le voir.


C'est ainsi que Léon Cladel décrit son héros, Albe Ompdrailles, que son invincibilité comme lutteur a fait surnommer : "Le Tombeau des Lutteurs".

Dans ce roman de 1879, Léon Cladel, un écrivain célèbre à son époque, a raconté le monde des lutteurs, à travers l'image de Ompdrailles. Ce lutteur invincible est devenu la proie d'une femme fatale, la Scorpione, qui lui enlève toute la force vitale qui lui permet de vaincre. C'était sans compter sans Arribial, qui, presque amoureux de lui, le tire du néant dans lequel il était en train de s'enfoncer. Malgré de nouveaux combats tous victorieux, l'emprise de la femme fatale est telle qu'Ompdrailles se donne la mort, vaincu par l'amour dévorant d'une femme et par des lutteurs sans pitié.

Il ne s'agit pas à proprement parler d'un roman homosexuel. C'est même, d'un certain point de vue, le roman de l'amour fou d'un homme pour un femme. Il y a cependant une forte composante homophile, peut-être à l'insu même de l'auteur. Il y a d'abord le portrait de cet être viril, qui affronte d'autres virilités. Il y a surtout cette attention presque amoureuse du vieux lutteur Arribial qui vient le chercher dans son repaire et le ramener à la vie, à sa vie, celle de lutteur.

— Ignace ! dit-il tout à coup en remettant son vieux compagnon des arènes, qui traversait le rû sur un tronc d'arbre non équarri jeté de l'une à l'autre rive; est-ce toi, si tôt?
— Oui, mon Albe!
Une seconde après, ils s'embrassaient comme deux perdus ; ah ! le fait est qu'ils se becquetèrent plus de quatre fois séance tenante ; ils ne pouvaient se rassasier de ce plaisir...

Las ! Cette amitié amoureuse, digne de Walt Withman, ne suffira pas. L'emprise de la femme fatale sera la plus forte, conduisant Ompdrailles au suicide. Son vieil ami le découvre :

Et, péniblement arrivé jusqu'à son bien-aimé, qui portait au cou ce même médaillon semé de diamants dont il était paré le jour où, dans la lice, on l'avait vu s'évanouir sous les faibles poussées du Chacal-de-Monaco, le vieillard l'étreignit timidement, lui descella les paupières, lui tâta le coeur, lui chercha l'haleine &, tout épouvanté, lui baisa la bouche, où tremblait une mousse rosée...
— Aïe ! aïou !
Puis deux ruisseaux de larmes coulèrent sur la face ravinée de ce rude athlète, éploré comme une veuve & palpitant comme une mère devant son enfant expiré.

Ce qui donne une tonalité homophile à ce texte est, plus que l'histoire elle-même, les illustrations de Rodolphe Julian, qui a su si bien mettre en valeur la plastique masculine. Des 16 gravures qui illustrent cet ouvrage, j'en ai sélectionné 12, qui sont une bonne représentation de l'art de Julian. La première, en frontispice, probablement la plus belle, avec ce corps d'Ompdrailles offert dans un mélange de sensualité un peu languide et de virilité affirmée :


La suite illustre les aventures d'Ompdrailles :











Pour finir, cette belle image est celle du vieux lutteur Arribial montrant à la foule le cadavre d'Ompdrailles, mort d'avoir été aimé, ou seulement désiré, par une femme destructrice. Belle image d'une amitié virile !


Pour ceux qui voudraient aller plus loin, notice Wikipédia de Léon Cladel. Le texte numérisé est accessible sur Gallica : cliquez-ici. Vous pourrez vous faire vous-même votre opinion sur ce texte que, pour ma part, je trouve avoir beaucoup vieilli.
Enfin, notice sur Rodolphe Julian. C'est le seul ouvrage qu'il a illustré. Peut-être était-il lui même sensible à ce monde des lutteurs, monde qui a formé l'environnement de son enfance à La Palud dans le Vaucluse : cliquez-ici.


Description de l'ouvrage

Léon Cladel
Ompdrailles, le Tombeau-des-Lutteurs.
Paris, A. Cinqualbre, Editeur, 1879, in-4°, [4]-VI-[2]-386-[2] pp., une vignette au titre, 16 eaux-fortes hors texte et 7 dans le texte.



Complément

Une sculpture de Charles Van der Stappen, de 1892, illustre la mort d'Ompdrailles. Elle se trouve avenue Louise à Bruxelles.
 
 

Pour aller au-delà d'Ompdrailles

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Après avoir publié mon dernier message, j'ai reçu un mail et j'ai découvert un blog. C'est cette gravure qui a suggéré une association à mes lecteurs.


En effet, le sculpteur Alexandre Falguière (1831-1900), qui a aussi été peintre et graveur, a été inspiré par la mort d'Abel en illustrant Caïn portant Abel selon une représentation très proche de celle de Rodolphe Julian. Cela a donné lieu à une gravure et à un tableau qui se trouve à Carcassonne.


Cet excellent message sur un blog que je viens de découvrir nous permet d'en savoir plus sur le traitement du corps masculin par Falguière : L'atelier de Falguière. J'en extrais cette photographie des deux modèles posant pour la peinture et la gravure.


Le mariage Gay avant l'heure ?

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En ce temps de débat sur le mariage gay, cette petite trouvaille amusante. Généalogiste à mes heures perdues, j'ai trouvé cela dans le recensement de Dijon en 1896. Dans cette maison vit un ménage composé de Jules Louis D..., 29 ans camionneur, mari et Auguste B..., domestique, 24 ans. Est-ce le mariage gay avant l'heure ?



Sans lien aucun et pour le plaisir des yeux, ces deux œuvres de Yannis Tsarouchis qui seront bientôt en vente à Paris :


N'a-t-il pas un petit air de camionneur ?


Absinthe

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A quoi pense ce beau jeune homme ?



Je vous laisse imaginer, voire divaguer... quand vous aurez vu l'ensemble :



Cette photo, que j'avais repérée il y a un an, vient de rejoindre ma collection. J'aime l'ambiguïté de cette image et tout ce qu'elle nous permet d'imaginer. En ces temps parfois crus (Ah, l'exigence de transparence), un peu d'incertitude ne nuit pas.

Les Invisibles, de Sébastien Lifschitz

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Indispensable.

Ce film sorti cette semaine me semble indispensable pour comprendre ce que peut être l'homosexualité, comment elle a pu être vécue par ceux qui nous ont précédés. La grande humanité des personnages interrogés est aussi une leçon de vie pour chacun de nous. Je vous laisse découvrir la bande annonce  :


Deux photos extraites du film :



Note personnelle

Au-delà de l'intérêt de ce film, quelque chose de plus personnel s'est subrepticement glissé. Un des homosexuels interrogés se trouve être un cousin de ma mère. En allant voir ce film ce matin, j'ai découvert à l'écran qu'il était un des témoins. Je connaissais un peu son histoire, même si les hasards de l'existence ont fait que je ne l'ai pas vu depuis très longtemps. Je me souviens encore - j'étais alors enfant - du jour où il est venu chez mes grands-parents nous montrer ses photos et films de la Terre Adélie. C'est un sentiment très étrange d'être ainsi au cinéma et de voir, tout d'un coup, une photo où je reconnais ma grand-tante au milieu de l'écran. C'est aussi comme un raccourci entre son histoire et ma propre histoire, malgré la différence d'âge, mais la proximité de milieu, qui se trouve ainsi projeté devant moi. Dans une des dernières scènes, lorsqu'ils vont au monastère de Ganagobie, un lien s'est presque créé car, il y a quelques années, j'y suis aussi allé avec mon ami, me souvenant alors en avoir souvent entendu parler dans ma famille. 
Cette note personnelle, qui a donné une dimension inattendue à ce film, n'explique pas à elle seule l'espèce d'enchantement que j'ai ressentie. C'est un hymne au bonheur, au plaisir et à la liberté d'être soi.

25 dessins d'un dormeur, Jean Cocteau, 1929

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A l'automne 1925, Jean Cocteau rencontre Jean Desbordes. Ou plutôt, Jean Desbordes vient à lui. S'ensuit une nouvelle histoire d'amour dans une des périodes les plus troublées de la vie de Jean Cocteau. C'est le moment où son addiction à l'opium est la plus forte. C'est aussi le moment où il sort de sa phase religieuse qui a pu faire croire à certains qu'il allait devenir le nouvel écrivain catholique (c'est l'épisode Jacques Maritain). Comme pour Raymond Radiguet, Jean Cocteau se fera le mentor de son nouvel amour en l'aidant à publier son premier recueil de poésies : J'adore.


Mais, depuis Radiguet, Jean Cocteau a avancé dans sa façon de vivre son homosexualité. Là où, auparavant, cela restait une affaire privée, seule connue de ses proches, cela devient maintenant une posture publique, en cette fin des années 20. C'est un signe fort qu'à ce moment là, vers 1928/1929, deux ouvrages fort différents sont publiés. Le premier est le Livre blanc, dans un petit tirage privé, puis cet ouvrage et enfin le Livre blanc, dans une édition publique. C'est un dévoilement progressif. Il est symptomatique, et beau, que ce lent dévoilement passe par la publication de ces 25 dessins de Jean Desbordes en dormeur. Quel bel hommage à son amant que de le montrer ainsi, dans cette position d'abandon, même si elle reste encore (publiquement) très chaste.

En décembre 1927, Jean Cocteau se retire avec Jean Desbordes à Chablis, pendant quelques jours durant lesquels il rédige son "manifeste" homosexuel, Le Livre Blanc, qu'il fait paraître à très petit tirage et de façon anonyme en juillet 1928. Au même moment, il expose des dessins de Jean Desbordes en dormeur en même temps que des illustrations pour Œdipe-roi, à la galerie des Quatre-Chemins, rue Godot-de-Mauroy. Dans une sorte de dévoilement progressif, il est maintenant montré au public une image plus intime de soi, en admirateur/contemplateur de son ami dormant. Quelle plus belle image de l'intimité que celle qui est donnée par le regard que l'on pose sur son ami dormant ? Certes, c'est moins direct et moins "cru" que le dévoilement du Livre blanc, mais déjà plus public. En 1929, il publie ces 25 dessins dans un tirage déjà plus significatif de 213 exemplaires. Dans la préface, il semble s'étonner des réactions des visiteurs à ces images offertes au public, comme subrepticement, avec des images d' Œdipe-roi. Fausse ou vraie naïveté, il se sent obligé de préciser :
Ces dessins ne sont pas exactement des portraits de Jean Desbordes mais plutôt de l'amitié que je lui porte et d'une admiration respectueuse.
Puis il poursuit : 
Je les exposai, alternant avec des illustrations pour Œdipe-roi. Ces illustrations ressemblent à l'idée que je me forme du drame grec. Or les visiteurs voyaient les portraits de Desbordes et ne voyaient pas les illustrations d’Œdipe-roi. Je veux dire qu'ils n'y lisaient que taches et monstres informes.
En réalité ils ne voyaient de Jean Desbordes qu'un nombreux profil endormi au lieu de reconnaître un calque des veines et des artères de l'émotion, grand corps suspendu ; au lieu de suivre les fleuves et les montagnes d'une géographie de l'âme.
Pour tracer une ligne vivante et ne pas trembler de la savoir en danger de mort sur tous les points de sa route, il me faut dormir d'une sorte de sommeil, laisser descendre sans réserve les sources de ma vie dans ma main, et que cette main finisse par travailler seule, par voler en rêve, par se mouvoir sans se soucier de moi. C'est le motif pour lequel il m'arrive souvent cette chose très ridicule d'admirer avec ma tête un travail fait par ma main.
Je voudrais mourir, victime de la poésie comme certains docteurs des rayons X, sûr d'avoir engagé toute ma substance dans mon œuvre et de n'avoir rien mis de côté pour vivre confortablement un jour.
Les grincheux se plaindront d'une suite de dessins analogues et trouveront l'ensemble monotone. Qu'ils ferment le livre. Desbordes dort beaucoup. Un dormeur est le modèle des modèles. On risque en le copiant avec patience de copier l'élément où il baigne et de portraiturer, sans préméditation, l'atmosphère du songe.
Il ajoute : " Prudence n'était pas le nom de ma nourrice"

L'année suivante, plus directement, il publiea enfin le Livre blanc, dans une édition publique, même s'il reste anonyme. Je renvoie au message que je lui ai consacré : cliquez-ici.

Parmi les 25 planches, j'ai sélectionné ces images :








Il existe une bonne présentation de cet ouvrage, avec la reproduction complète des planches à cette adresse : http://cocteau.biu-montpellier.fr/index.php?id=231
Ce site très bien fait, très complet, se fonde sur une belle collection d'ouvrage et de documents de Jean Cocteau, appartenant à un fonds patrimonial unique en France né en 1989 d’une donation d’Édouard Dermit (fils adoptif et légataire universel du poète) et conservé à la B.U. Lettres de Montpellier III.

Description de l'ouvrage

Jean Cocteau
25 dessins d'un dormeur
Lausanne, H.-L. Mermod, s.d. [1929], in-4° (27 x 21 cm), [30] ff., dont 25 planches, couvertures grises rempliées avec étiquette de titre sur le 1er plat.




La couverture porte simplement un papier collé avec « 25 Dessins d'un Dormeur par Jean Cocteau ». 

L'ouvrage a été tiré sur les presses de l'imprimerie Albert Kundig à Genève. Le tirage est :
- 3 exemplaires sur Vieux Japon hors commerce, marqués A. B. C.
- 10 exemplaires sur Chine, numérotés de I à X.
- 200 exemplaires sur Velin pur fil des papeteries du Marais, numérotés de 1 à 200.
Celui-ci est le n° 141.

Cet ouvrage a été réédité en 2002 par Fata Morgana, avec un texte introductif de Pierre Chanel. Tirage 300 exemplaires sur vergé ivoire : http://www.fatamorgana.fr/livres/25-dessins-d-un-dormeur


Cet ouvrage est absent de la BNF. Il y a un seul exemplaire dans le fonds Cocteau de la BU de Montpellier.

A la fin de la préface, Jean Cocteau rend hommage à son éditeur :
Monsieur Mermod, sans connaître encore le génie de Desbordes, sans que je lui parle de notre amitié, a vu ses portraits avec le sens dont je parle. Tout cela lui paraissait l'évidence même, il entendait l'idiome des lignes. C'est pourquoi je lui donne la préférence et le charge de publier cette suite qui risque de sembler monotone à ceux qui ne savent pas lire une coupe de l'agate du sang, le secret des racines, des sources, et le langage des étoiles.


Manifestation pour rappeler que l'on peut s'aimer autrement

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Pour la première fois de ma vie, j'ai manifesté aujourd'hui à Paris dans le cortège des pro-mariage gay (autant parler de mariage gay, plutôt que de mariage pour tous).

Pourquoi ?
Ce n'est pas un geste politique dans le sens étroit du terme, car je ne me reconnais pas dans toutes les tendances politiques qui ont manifesté aujourd'hui. C'était tout simplement pour rappeler que l'on pouvait s'aimer autrement.

 
Certes, la Gay Pride aurait pu être une occasion meilleure pour cela. Mais je sentais qu'il y avait urgence car le discours entendu (ou parfois simplement sous-entendu) de ces dernières semaine m'est, à proprement parler, insupportable. J'avais d'abord pensé faire simplement un message sur mon blog, comme je le fais depuis 4 ans, pour mettre en valeur une des pépites de notre culture homosexuelle. Au-delà de la dimension "culturelle" de mon blog, j'ai toujours pensé qu'il y avait une dimension militante dans l'affirmation de notre fierté à travers la présentation des œuvres du passé qui l'ont fait connaître. J'ai pensé que cela n'était pas suffisant aujourd'hui. J'ai donc simplement manifesté, sans démonstration, ni pancarte, avec mon compagnon, pour simplement rappeler que nous sommes là.



Belle manifestation, que le soleil a honoré de sa présence, dorant le bel ange de la Bastille qui nous attendait dans la splendeur de son corps offert aux Parisiens depuis plus d'un siècle.

Le jeune soldat blessé, de James Tissot

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Le hasard de mes lectures m'a fait découvrir ce portrait d'un beau soldat qui, pour être blessé, n'en est pas moins très canaille :


Il s'agit d'une aquarelle du peintre James Tissot (1836-1902) qui, lors de la guerre de 1870, a accueilli dans son château de Chenecey-Buillon, des soldats blessés dans les combats. Visiblement, ce beau soldat ne l'a pas laissé insensible, même si ce type de portraits semble exceptionnel dans son oeuvre.

Pour en savoir plus sur James Tissot : cliquez-ici.

Détail de ce visage à la beauté rimbaldienne :



Une exposition sur Jean Boullet

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Pour tous les amateurs de Jean Boullet comme moi (voir les nombreux messages que je lui ai consacrés : cliquez-ici), l'exposition qui débute le 14 mai à la galerie Au bonheur du jourà Paris sera sûrement un rendez-vous incontournable.

Je vous laisse découvrir l'affiche de l'exposition :



ainsi que la présentation sur le nouveau site de la galerie : 

J'attends avec impatience de découvrir l'ouvrage qui accompagne l'exposition. Ce sera sûrement une référence sur le sujet. Il n'y a pas eu beaucoup d'étude sur la vie et le travail de Jean Boullet, voire il n'existe pour le moment que l'ouvrage de Denis Chollet de 1999. Ce nouvel ouvrage, aussi avec la collaboration de Denis Chollet, comblera, je l'espère, un manque dans la connaissance de cette personnalité du monde gay (on ne disait pas alors les choses ainsi) des années 1940-1970.

Je ne pourrais malheureusement pas être présent au vernissage pour cause de vacances, mais, dès que je pourrais (le samedi 25 mai ?), j'irai découvrir l'exposition. Je vous en parlerai alors.

Peintres caravagesques italiens

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La galerie Sarti à Paris présente 22 tableaux de peintre italiens directement inspirés par la démarche du Caravage. Une sélection de 5, classée par ordre décroissant de préférence personnelle :

Maître de Baranello


Bernardo Strozzi


 Bartolomeo Manfredi


Daniele Crespi

Riminaldi

Pour en savoir plus : cliquez-ici.
L'exposition réunit vingt-deux tableaux de peintres italiens qui se sont inscrits dans le sillage du Caravage. Une forme de filiation visible chez ses condisciples et élèves directs (Bartolomeo Manfredi, Giovanni Battista Caracciolo, Cavarozzi), ou chez des artistes d'écoles différentes de la sienne (Jusepe de Ribera, Andrea Vaccaro, Luca Giordano, Artemisia Gentileschi, Bernardo Strozzi, Daniele Crespi, Guido Reni).

Un dessin de Jean Boullet

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L'exposition sur Jean Boullet dont je vous parlais ci-dessous fera date.On a pu y revoir de nombreux dessins dans la veine de ceux qui ont ensuite illustré les différents ouvrages qu'il a fait paraître :  Les Beaux Gars, Antinoüs, Le Tapis volant, etc. On a pu surtout y découvrir de nombreux dessins pour des projets qui n'ont malheureusement jamais abouti. Parmi ceux-ci, au sein d'un ensemble d'ouvrages illustrant les grands auteurs, Jean Boullet travailla en 1943 à une illustration d'un Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Cette interprétation très personnelle de la pièce était représentée, dans cette exposition, par quelques dessins à l'encre bleue, dont celui-ci qui vient de rejoindre ma collection :


J'aime l'érotisme diffus et allégorique de cet être en même temps homme, faune et végétal, avec son sexe en forme d'arbre qui a perdu toute sa sève.

Je vous recommande le catalogue qui donne un aperçu très complet des dessins et des peintures de Jean Boullet.
Vous pouvez y accéder pas ces deux liens :

Le nu masculin à l'honneur

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C'est toujours avec plaisir que j'annonce les expositions de la galerie "Au Bonheur du Jour" de Nicole Canet. Après Jean Boullet, ce sont la photographie et le dessin qui sont à l'honneur pour illustrer le nu masculin. Avis aux amateurs !


Glanes

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Pour marquer mon retour à l'activité après plusieurs mois de veille, ces deux tableaux et ce dessin glanés dans les annonces de ventes aux enchères des semaines à venir.

Virginie DEMONT-BRETON (1859-1935)
Jeune pêcheur devant la mer

Angel ZARRAGA ARGUELLES (1886-1946)
Le joueur de football



Angel ZARRAGA ARGUELLES (1886-1946)
Joueur de football


Jeune homme nu dessinant

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Diodore Rahoult (1819-1874) est un peintre et illustrateur grenoblois aujourd'hui un peu oublié. Une récente exposition au Musée de l'Ancien Évêché de Grenoble a été l'occasion de le redécouvrir. Ce dessin a "naturellement" attiré mon œil :



Ce dessin est d'autant plus inhabituel dans la production de ce peintre qu'il s'est surtout spécialisé dans des scènes de genre. La représentation du corps, masculin ou féminin, est particulièrement absente dans son œuvre.

Cela n'a pas aussi échappé au rédacteur du catalogue qui le qualifie de "quelques peu mystérieux" poursuivant par une identification avec Endymion. Si mystère il y a, c'est peut-être qu'il pourrait ouvrir une échappée sur la sexualité de Diodore Rahoult (comme beaucoup de peintres de genre du XIXe, la sexualité ou la sensualité sont totalement absentes, même de façon voilée). Lorsqu'on sait qu'il s'est marié tardivement avec sa veille servante, cela peut laisser imaginer des choses..., ce que l'on peut qualifier de "mystérieux" si on ne veut pas effaroucher les visiteurs !

Le 3e sexe, de Willy, une réédition dans la Bibliothèque GayKitschCamp

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Il faut saluer le travail de réédition des Cahiers GayKitschCam qui, inlassablement, donnent à lire des ouvrages anciens ou oubliés sur l'homosexualité. Une des dernières parutions est un ouvrage que j'ai toujours mis à part, par son intérêt et par ce qu'il fait comprendre de la vision de l'homosexualité dans l'entre-deux-guerres. Il s'agit du 3e sexe, de Wily, pseudonyme d'Henry Gauthier-Villars. Possédant l'édition originale, je voulais le chroniquer depuis longtemps. L'occasion m'en est donnée.


Après avoir lu Le 3e sexe de Willy, il me vient spontanément à l’esprit cette association de mots : une bienveillance goguenarde.

Avant de développer, un rapide rappel. Après l’enquête sur l’homosexualité de la revue Les Marges en avril 1926, enquête qui faisait suite à la publication quasi simultanée du Corydon de Gide (première édition publique en 1924) et du Sodome et Gomorrhe de Proust (1921-1922), le chroniqueur mondain Henry Gauthier-Villars, dit Willy, a voulu apporter sa contribution à la connaissance de l’univers homosexuel dans les années 1920. Il en est résulté cet ouvrage, paru en 1927, qui est un panorama des mœurs et coutumes des homosexuels en France, avec des incursions "par dessus les Frontières" (c'est le premier chapitre) en Italie, en Amérique, mais surtout en  Allemagne. Rappelons que l’Allemagne, avec l’action militante de Hirschfeld, était en pointe dans le combat pour la reconnaissance de la dignité homosexuelle. C’est d’ailleurs Hirshfeld qui a popularisé cette notion de 3e sexe, que l’on trouve aussi chez Proust, notion vieillie, mais qui était largement utilisée comme on le voit dans l’ouvrage de Willy. La description du monde gay du Paris de cette époque par Willy s'appelle "La tournée des curieux". On y retrouve les grands classiques : les bals, les bars de Pigalle, les bains, mais aussi une rapide allusion à la vie en province, "la chaste province". Pour faire référence à ce que je disais plus haut, il consacre un chapitre spécifique à "Quelques chefs de file" où l'on retrouve Oscar Wilde, Jean Lorrain, Marcel Proust, Maurice Rostand, Verlaine et Rimbaud, ainsi qu'un chapitre consacrée à la "Littérature androgyne", où le mot androgyne doit s'entendre comme un synonyme de "homosexuelle". On peu s'en étonner, mais Henry Gauthier-Villars ne se départ pas d'une vision de l'homosexualité, aujourd'hui vieillie, où l'homosexuel est toujours un homme qui abrite en lui une femme, ou vice-versa.

Pour avoir lu d’autres ouvrages contemporains sur le sujet, je trouve que Willy fait preuve de beaucoup de bienveillance vis-à-vis du monde homosexuel. Cette bienveillance est clairement nuancée par un ton goguenard, qui se traduit par des plaisanteries parfois douteuses sur les homosexuels. Pour un lecteur moderne qui lirait cet ouvrage avec sa grille de valeurs de 2014, certaines des plaisanteries ou prises de distance de l’auteur seraient clairement assimilées à des propos homophobes. Je crois que si l’on veut comprendre ce livre, il faut le lire en oubliant certaines de nos crispations actuelles.



Ce préambule pour introduire cette réédition bienvenue de ce texte par les cahiers GayKitshCamp. L’édition de 1927 n’est pas difficile à trouver, mais il reste moins coûteux de le lire dans cette réédition. L’autre avantage est que l’ouvrage lui-même a été enrichi de notes et de documents annexes qui en décuplent l’intérêt. Les notes qui complètent le texte facilitent grandement la compréhension en décryptant les allusions, en situant les personnages, souvent complétement oubliés aujourd’hui et les faits. Les documents annexes sont des extraits de textes contemporains sur le même sujet. La lecture du texte de Georges-Anquetil, extrait de Satan conduit le bal (1925) permet d’ailleurs de bien situer la frontière entre une vision clairement dépréciative des homosexuels et la vision que j’ai qualifiée de bienveillante de Willy. C’est peut-être un biais induit par le choix des textes, mais le monde homosexuel est surtout décrit à travers ses fêtes (les bals travestis, comme le le bal du Magic-City), ses lieux festifs ("La Petite Cabane", à Montmartre) et ses rituels, avec parfois le côté excessif et provocateur de ces événements. Cela explique aussi les réactions négatives des auteurs de ces textes qui se trouvent directement confrontés à un monde qu’ils ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître. Les aspects plus cachés du monde homosexuel de l’époque, car plus privés et intimes, ne sont pas abordés, car probablement cela n’intéressait pas les auteurs. La vie personnelle d’un homosexuel des années 20, la façon dont il le vit, tout cela est moins spectaculaire qu’un bal d’hommes travestis, mais surtout plus dérangeant car c’est là, dans la vie personnelle de chaque homosexuel, que se trouve la réalité des choses. Signalons que Willy a le même biais. Ce n’est pas en lisant son livre que l’on sait répondre à la question : « qu’est que cela veut dire être homosexuel en 1927 ». Cet aspect des choses peut rendre frustrantes ces lectures et finir par laisser penser que seule une approche anecdotique de l’homosexualité était possible à l’époque.

Henry Gauthier-Villars, dit Willy (1859-1931), est surtout connu aujourd’hui pour avoir été le mari de Colette et l’avoir lancée en signant de son nom la série des Claudine. C’était une de ses personnalités brillantes et recherchées de la Belle époque, en même temps chroniqueur, écrivain, mondain, etc. Touche-à-tout, il a laissé de nombreux livres, mais peu d’entre eux ont accédé à la postérité. Paradoxalement, alors que ce thème est mineur dans son œuvre, son ouvrage sur le 3e sexe est un des rares livres dont on parle encore (cette chronique et cette réédition en sont la preuve).

Justement dans cette réédition, il y a un article fort intéressant qui se termine par la question : « Willy est-il un auteur gay ? » La réponse est positive, car de nombreux éléments sont rassemblés sur les ambiguïtés du personnage à ce sujet (il signait ses chroniques théâtrales : « L’Ouvreuse ») et son intérêt pour le monde homosexuel. On peut rappeler qu’il est l’auteur avec Suzanne de Callias, sous le pseudonyme de Ménalkias, de deux romans sur le sujet : L’Ersatz d’amour, en 1923 et Le Naufragé, en 1924, aussi réédités par Cahiers GayKitschCam. Je vous laisse découvrir cette approche inhabituelle du personnage, en général vu comme un homme à femmes, loin de ce monde et de cette sensibilité. J’apporte juste au dossier cette photo que je possède dans ma collection, au format carte postale.


Willy avec son petit bouledogue français dans les bras vous paraît-il vraiment comme le parangon de l’homme viril XIXe siècle ?

Autre image de Willy : un portrait par Boldini, qui met en valeur un aspect plus dandy du personnage.


Pour finir, une lettre de Willy, sur un joli papier violet ! (lettre de ma collection personnelle qui accompagne l'envoi de la photo ci-dessus)

 Pour en savoir plus sur Willy, cliquez-ici.

La Cantate de Narcisse, illustrée par Laure Albin-Guillot

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Photo extraite de La Cantate de Narcisse, texte de Paul Valéry, illustrée de 20 photographies de Laure Albin-Guillot (1879-1962)



Cet ouvrage a été publié en 1941, tiré à seulement 30 exemplaires.
Voir d'autres photos sur le site Mes couleurs du Temps : cliquez-ici.

Jesus-la-Caille, de Francis Carco, 1914

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Une petite photographie jaunie, fichée dans la glace, rappelait à la Caille l'absent. Sur cette image, Bambou souriait. Ses cheveux plaqués sur les tempes, son port de tête, sa manière de regarder... Ah! môme Bambou! tout y était, jusqu'à cet air fuyant et tendre, cette dureté sensuelle, cette équivoque langueur dont s'éprenaient les femmes. La Caille, pour compléter l'illusion, avait même retouché au crayon une mouche au coin de l'œil gauche. On ne pouvait ainsi désirer mieux, et la peine de l'adolescent l'accoudait pendant des heures devant cet émouvant et cruel souvenir.
[...]
De cette heure, la Caille tirait une sensualité fervente. L'odeur de l'absinthe devant les bars le grisait presque. Il s'en  allait, cambré, les yeux brillants, la bouche frottée de rouge, et toute son allure exprimait la joie nerveuse qu'il avait à se sentir jeune, amoureux, fringant et désirable.
Mais, ce soir, devant la photographie du prisonnier, une détresse d'enfant l'accablait jusqu'au désespoir... De l'impasse où se trouvait l'entrée de l'hôtel, montait un chant d'accordéon. C'était l'aveugle, un Italien qu'une pauvresse guidait à travers Montmartre. L'aveugle jouait des romances et des airs de son pays et rien n'était plus émouvant que tous les visages exténués qui formaient cercle autour de lui.
 Jésus-la-Caille, par Chas Laborde, 1920

Ce sont ces quelques phrases que je souhaite retenir de Jésus-la-Caille. Certes, elles sont un peu sentimentales, mais elles représentent mieux, à mes yeux, ce qu'est ce livre et son atmosphère, que les péripéties un peu romanesques de l'ouvrage. Certes, Jésus-la-Caille se mettra en ménage avec une prostituée, Fernande, qui le fera vivre, alors qu'elle n'est plus avec son souteneur, le Corse, arrêté lors d'un cambriolage, suite à la dénonciation de la "Bourrique" (i.e indicateur) Pépé-la-Vache. J'arrête là le récit, qui se continue jusqu'à un meurtre, après de nombreux chassés-croisés entre les personnages (pour un résumé de l'intrigue, cliquez-ici). 

Pour mieux comprendre ce livre, il faut le lire dans sa version originale, c'est-à-dire seulement les deux premières parties, tel qu'il est paru en 1914. Plus tard, après la guerre, Francis Carco ajoutera une troisième partie. C'est ainsi qu'on le lit aujourd'hui, mais cela déséquilibre l'ouvrage, en donnant plus d'importance à Fernande qu'à Jésus-la-Caille et en renforçant le côté romanesque de l'histoire (le meurtre final se trouve dans cette troisième partie) au détriment de la peinture des sentiments des personnages, et surtout de Jésus-la-Caille, dans ce milieu dur de la prostitution du Pigalle du début du siècle.

Je veux proposer une lecture différente de ce livre. Partout, il est cité comme un des meilleurs témoignages sur la prostitution masculine à Pigalle et, plus généralement, sur la vie à Montmartre avant la première guerre. Cette lecture a été faite. On peut par exemple se référer à Montmartre du plaisir et du crime, de Louis Chevalier, où le livre est comme le fil rouge du chapitre sur Montmartre entre 1900 et la guerre.

Il a aussi été souvent cité comme une préfiguration de Notre-Dame-des-Fleurs, de Jean Genet, par la similitude des milieux dans lesquels les deux livres se déroulent. Ces lectures ont du sens, mais je voudrais en donner une lecture paradoxalement plus homosexuelle. En effet, comme un discours caché derrière le pittoresque et le romanesque, il y aussi un discours sur le sentiment amoureux homosexuel et sur l'identité homosexuel. Ce sont ces extraits que j'ai choisi de présenter en les reliant entre eux.

Illustration de Roland Caillaux, pour Vingt lithographies pour un livre que j'ai lu. Bien que très largement postérieur, c'est le monde des "Jésus" de Montmartre et Pigalle qui est représenté dans cette ouvrage (cliquez-ici).


L'histoire du livre est simple. Jésus-la-Caille, un jeune prostitué de Montmartre, vit avec Bambou. Suite à une dénonciation, Bambou est arrêté. Seul, Jésus-la-Caille vit une liaison de quelques mois avec la prostituée Fernande. Lassé, il la quitte et se rapproche peu à peu de La Puce, le frère de Bambou. L'ouvrage, dans sa version initiale, se termine par les visites hebdomadaires des deux amis à la Prison de la Santé pour voir Bambou. Je passe sous silence les péripéties, déjà évoquées, liées à Pépé-la-Vache et le Corse, qui, certes, forment une part importante du récit, mais masquent la dimension homosexuelle de l'ouvrage.

Quels sont les sentiments qui lient Jésus-la- Caille et Bambou ?

Bambou les exprime de façon directe, presque naïvement, dans la lettre qu'il lui écrit après son arrestation :
Mon gosse chéri,
Je t'écris du Dépôt où qu'on m'a conduit tout de suite que Ménard et Dupied m'ont eu fait. Méfie-toi d'eux surtout. Là-haut c'est plein d'indicateurs. Je sais pas qui m'a vendu... Tâche de savoir. Dans ma tête, je tourne mes idées : ça viendrait du National ou du Moulin, ou encore du Corse.
Demain, on me conduira à la Santé... Je pense à toi, petit gosse, et j'ai le cafard... Mais toi, t'en fais pas pour moi. Tu viendras me voir à la Santé avec la Puce. Je t'écris ce petit mot pour que tu aies de mes nouvelles et que tu te fasses pas de bile.
Moi, je t'embrasse bien tristement, mon pauvre petit, et je signe : ton homme pour la vie,
BAMBOU.
Cela nous permet de découvrir la sentimentalité de Jésus-la-Caille :
Lentement, la Caille relut cette lettre. Elle lui causait a la fois un bonheur sombre et une chaude tristesse. Il aurait pleuré si, à ce moment, quelqu'un lui avait parlé de Bambou.
Et plus loin, ce beau passage sur la solitude sentimentale et sensuelle lorsque l'autre est absent.
La capture de Bambou l'affolait encore. Il n'avait plus de force, il se trouvait seul et quand il rentrait à l'hôtel et se couchait dans le lit où, naguère, son ami l'attendait, il ne s'endormait plus... « Bambou! Bambou! » soupirait-il. D'un bras à la taille et de l'autre  à l'épaule, il s'étreignait lui-même et, les yeux ouverts sur le jour blafard qui envahissait la chambre, restait éveillé jusqu'au soir et ne parvenait pas à calmer son inquiétude.
Il se souvient de sa rencontre avec Bambou et de la naissance de son amour pour lui :
Mais il ferma les yeux pour que s'affirmât davantage la vision que lui imposaient ses souvenirs. Bambou souriait. Ah! ses yeux clairs, sa bouche, son corps flexible!... C'était, par des journées semblables à celle-ci, les longues flâneries dans la chambre... une cigarette... puis, sur le boulevard de Clichy, aux petites tables des cafés, une rencontre... l'échange d'un coup d'œil et le hasard qui conduit tout. Personne n'avait de chance comme Bambou. Il marchait, lentement, le torse bien pris dans un chandail, et sa casquette posée en arrière de la tête, découvrait une raie superbe faite au milieu. La Caille l'accompagnait. On les regardait passer et les débutantes interdites les suivaient du regard.
[...]
La Caille évoquait l'atmosphère empestée de la Gaîté-Rochechouart où, pour la première fois, il avait vu Bambou exécuter la voltige au trapèze. Un athlète ensuite le lançait en l'air, le recevait sur ses biceps, lui faisait faire trois grands sauts périlleux, avant de l'empoigner par un anneau de sa ceinture et le présenter — vivant soleil — aux applaudissements du public. Il avait suffi d'un regard à la Caille pour découvrir, chez l'acrobate, un personnage dont la souplesse n'était rien moins qu'équivoque. Mais, que de temps passé!
[...]
Mais, certain soir, Bambou perdait l'équilibre et s'aplatissait sur la scène en plein exercice volant. On l'emportait pour mort à Lariboisière : il s'était brisé les deux jambes.
La Caille ne se rappelait jamais cette minute tragique sans éprouver à nouveau l'horrible frayeur qu'elle lui avait causée. Aujourd'hui, sa rêverie lui faisait un tableau riant de ses visites à l'hôpital.
[...]
Cet hôpital — continua la Caille en feignant de dormir — qu'il était triste et grand! L'athlète accompagnait le visiteur, le présentait, et Bambou l'accueillait avec un pauvre petit signe de la tête. Il revenait. Gêné dans son costume de ville, l'athlète s'adossait au mur. Il ne bougeait pas. Il soupirait et quelquefois se lamentait. Alors Bambou regardait la Caille et la Caille le comprenait.
Pour lui apporter des oranges, des dattes, des pommes et de petits bouquets de violettes, il se fit dès lors payer par des filles qui l'emmenaient coucher avec elles. [...]
Mais la Caille se regardait dans la glace et s'effrayait du cerne profond de ses beaux yeux.
Il maigrit légèrement. Ses traits s'affinèrent. Il traversait une crise et tout ce qu'il découvrait en lui de désirs vagues et inassouvis l'emplissait de langueur. Dans les bars, il s'approchait des filles, mais, entre eux, s'élevait aussitôt l'équivoque attrait de son vice et il se sentait seul et il souffrait de ne pas comprendre ce qu'il aurait voulu.
Ses visites à Lariboisière l'exaltaient dans ce désordre et le décourageaient. Il aimait Bambou. Peut-être aurait-il aimé du même élan crispé la môme Lucie ou la môme Léa, qui lui faisaient des avances, s'il avait pensé qu'elles fussent assez averties du besoin de tendresse qui le poussait à désirer la plus ingénue des deux...
Ce besoin se faisait, quelquefois, si pressant chez lui qu'il l'empêchait de sortir. Il restait couché; il comptait, en fumant des cigarettes, les jours qui le séparaient encore de la sortie de l'hôpital de son petit ami et son tourment le pénétrait d'une aiguë et frissonnante détresse. Ensuite, il ne prévoyait rien : il attendait le bonheur.
[...]
Un trouble naissait en lui maintenant. La beauté physique de certains buveurs dans les bars l'émouvait et il surprenait un grand mystère. Son inquiétude tomba. Elle fit place à une sorte de curiosité malsaine qui, chaque jour, lui prêtait une attitude nouvelle et le laissait tout frémissant. Les faiblesses de Titine pour François l'Espagnol, dont la splendeur était d'un dieu, il finit par les comprendre, mais il s'affolait encore à l'idée de découvrir, accoudé lourdement au zinc, l'affranchi superbe qui le dominerait.
Bambou sortait, huit jours plus tard, de l'hôpital. Alors la Caille apprit tout ce qu'il ignorait et si l'amitié peut avoir une mesure. Celle dont il entoura son compagnon n'en avait pas. Elle l'emplissait du perpétuel besoin de se dévouer. Elle se manifestait à tout instant, et Bambou, logé, nourri vêtu, se remettait lentement de sa longue claustration en s'attardant volontiers dans un petit débit où fric-fracs et chiqueurs des deux boulevards battaient les cartes et remuaient les dominos.
Malgré les péripéties de la vie depuis cette rencontre (l'arrestation de Bambou, sa liaison avec Fernande, puis avec La Puce, sans compter les aléas de la vie à Montmartre), son sentiment reste entier lorsque il voit Paulot, un jeune qui vient de sortir de la Santé. Cela le ramène à Bambou :
La Caille n'y prit pas garde; il regardait avec avidité le visage, d'une maigreur et d'une pâleur saisissantes, de l'adolescent qui pleurait. Il en éprouvait une sensation affreuse. Bientôt, Paulot ne fut plus Paulot pour lui, mais Bambou, et il oublia complètement l'endroit où il se trouvait. Que lui importaient ses voisins, les bruits de la rue, le jour et l'heure!... Sur le rebord de la table, il posa le front et, tandis que chacun s'occupait de l'imbécile qui divaguait, il sanglota, car il sentait combien tout nous échappe et combien le Destin se rit des larmes et de l'amour, et soumet le plus fort au moment même qu'il a voulu choisir.
C'est d'ailleurs sur ces quelques lignes que se termine l'édition originale de Jésus-la-Caille.

De cette heure, la Caille tirait une sensualité fervente. L'odeur de l'absinthe devant le bars le grisait presque. Il s'en  allait, cambré, les yeux brillants, la bouche frottée de rouge, et toute son allure exprimait la joie nerveuse qu'il avait à se sentir jeune, amoureux, fringant et désirable.
Lorsqu'il rencontre La Puce, le frère de Bambou, ils se rapprochent jusqu'à vivre ensemble. Comme on est tout de même à Montmarte, l'argent et le sentiment ne sont jamais loin l'un de l'autre. La Puce se prostitue pour faire vivre le couple. Il y a quelques belles pages où l'on voit La Puce faire la conquête de Jésus-la-Caille. En effet, par un scrupule que l'on ne s'attendrait pas à trouver ici, Jésus-la-Caille ne veut pas trompe la mémoire de Bambou avec un autre (il n'a pas eu autant de scrupules lorsqu'il s'est agi d'un femme, Fernande) :
Il devait se rappeler plus tard ces paroles dont le sens était clair... Il devait certain soir s'approcher de la Puce et lui demander... mais il s'en écarta d'abord et lutta de son mieux contre la curiosité qui s'éveillait en lui. Il répugnait en effet à Jésus-la-Caille de profiter de la détention de Bambou pour le tromper avec la Puce... Toute délicatesse n'était pas morte dans son cœur et, bien qu'il sût qu'on ne lui en tiendrait pas compte, il continua de respecter des apparences que tout autre à sa place eût trouvées ridicules.
Enfin, Jésus-la-Caille était encore trop près d'une fâcheuse aventure pour ne pas se souvenir de Bambou qu'il regrettait toujours. Pour avoir perdu la femme du Corse, la Caille poussait très loin les droits de l'amour. C'est à Bambou qu'il appartenait et il envisageait à la fois l'amour comme un plaisir et comme une absolue possession.
Néanmoins, le couple se rapproche et une autre histoire d'amour se tisse  :
Il suffisait à la Caille, pour se trouver parfaitement heureux, de croiser sous la table ses bottines vernies à tige blanche et de fumer du tabac fin. Correctement vêtu, il se montrait d'une décence appliquée encore qu'il affectât parfois dans sa tenue une élégance que les consommateurs de Cyrano appréciaient à leur façon.
La Puce arrivait ensuite. Ils allaient dîner, puis se rendaient ensemble, certains soirs, à la Gaîté-Momtmartre et le frère de Bambou n'avait pas de secrets pour la Caille. Il l'admirait. Il était fier de l'accompagner et, pendant les entr'actes, tous deux se promenaient au milieu de l'étonnement envieux des filles sur le trottoir.
[...]
Des jours faciles coulaient. Le frère et l'ami de Bambou se rapprochaient de plus en plus et jamais une seule fois ils n'éprouvèrent la moindre gêne à parler entre eux de l'absent.
Ils en parlaient souvent et les amis qu'ils rencontraient dans les bars leur demandaient de ses nouvelles. Cela les touchait jusqu'aux larmes. Avec l'aube délicate et légère des derniers jours de mai, les confidences devenaient plus tendres. La Puce perdait de sa crânerie, la Caille de son cynisme et, longuement, autour des tables dégarnies de la Palme, un petit groupe rappelait mille souvenirs cependant que le matin se levait tout à fait.
[...]
La Puce et la Caille rentraient.
Ils affirmaient jusqu'ici n'éprouver l'un pour l'autre qu'un sentiment de camaraderie : mais, déjà, l'habitude qu'ils avaient d'être ensemble se faisait plus étroitement sentir et, la Puce ne cachant pas ses impressions, ressentait du dépit si Jésus-la-Caille l'entretenait du prisonnier.
—  Ben,  quoi?...  le  frangin...  demandait-il avec étonnement.
—  On ne peut pas, répondait la Caille.
—  Vous  croyez... Ah!  c'est chic de  votre part, mais c'est aussi trop bête. Nous v'là tous deux à vivre et les copains nous débinent tant qu'ça peut... Croyez-vous que Bambou s'en fasse pour vous et pour moi?...
Ils couchaient côte à côte, dans le même lit et rien ne les troublait plus que ces conversations matinales. La fatigue les endormait parfois avant qu'ils eussent parlé beaucoup. Ils se réveillaient assez tard. Derrière les persiennes, sur les cours animées et bourdonnantes de mille bruits, le soleil déclinait et le soir naissait avec la première étoile.
La Caille se levait et ouvrait les persiennes, s'accoudait un moment, puis il commençait sa toilette et la Puce, qui le regardait du lit où il restait étendu, lui adressait des compliments. La Caille se défendait mal, mais le petit voyou se montrait naïf comme un trottin quand il s'apercevait de la gêne de son camarade.
[...]
Jamais la Puce ne s'était ouvert à lui comme il venait de le faire et la Caille hésitait. Il se sentait gagné par un malaise d'un ordre très spécial. Mais la Puce revenait à la charge et, rejetant le drap qui le couvrait, répétait sans qu'il fût possible de rester muet à son invite :
- Ah! j'peux bien dire que j'ai jamais encore aimé...
Cependant, la Caille ne répondit pas.
A cette occasion, Francis Carco sait nous faire partager une belle scène de tendresse entre hommes.
Le petit voyou se pelotonna plus étroitement contre lui. Dehors, il faisait jour... Une voiture roula sur les pavés. Alors la Puce ferma les yeux, bâilla plusieurs fois, puis de toute sa force engourdie, de toute la fraîcheur qui lui restait au fond du cœur, il prit la main de Jésus-la-Caille, la baisa comme un enfant sage et s'endormit.
Comme une conclusion de cette histoire d'amour dans l'histoire d'amour, Jésus-la-Caille et La Puce vont, ensemble, voir le prisonnier à la Santé.
Maintenant, le métro les emportait tous les mardis et les samedis vers le dormant boulevard Arago, et l'affection de Jésus-la-Caille et de la Puce pour le prisonnier se fortifiait de celle qui les unissait et qui ne surprenait personne à Montmartre.
La Puce se transformait. Coiffé d'une molle casquette claire, il prenait des mines et maniait sa pochette avec des gestes que bien souvent la Caille s'émouvait de reconnaître. Il y pensait, et rien ne le troublait davantage. Sa tendresse hésitait; son cœur se partageait voluptueusement et il attendait le jour où il pourrait, avec la Puce et Bambou, donner l'exemple d'une liaison pleine de cynisme et de naturel. Aucun des trois n'y répugnait et la Puce parlait volontiers de son frère afin d'en déplorer le sort.
Relevons au passage l'utilisation du mot "naturel", comme un écho, probablement involontaire, à la célèbre phrase de Proust : "empreinte d'une étrangeté, ou si l'on veut d'un naturel". C'est une bonne transition pour évoque l'image de l'homosexualité dans le roman de Carco.

Il y a d'abord celle que renvoie Jésus-la-Caille, image ambiguë car on ne sait jamais départager dans son comportement ce qui relève d'une homosexualité de circonstance, celle du jeune prostitué, et d'une homosexualité plus intimement vécue, celle qui est à l'origine de son amour pour Bambou, puis pour la Puce. Curieusement, F. Carco entretient un flou à ce sujet. Alors qu'il sait dire les choses ( « Il la pénétra », lorsque il veut nous faire comprendre le lien entre Fernande et Jésus-la-Caille), la sexualité de Jésus-la-Caille avec ses deux amis semble un peu diffuse. F. Carco nous laisse dans le doute lorsqu'il dit :
Jésus-la-Caille, jusqu'à ce jour, avait pu saisir les différences qui le séparaient de Titine par exemple ou de Bambou. Tous, plus ou moins, on les estimait capables d'accepter les pires servitudes. Ne s'y était-il pas plié lui-même? Mais cela le plongeait dans une sorte de stupeur de découvrir chez le frère de Bambou cette facilité pour des mœurs qui lui paraissaient toujours aller contre la nature et qui, pour la même raison qu'elles le troublaient, lui donnaient de l'horreur...
Alors que ce passage déjà cité est plus affirmatif sur son homosexualité ressentie :
Un trouble naissait en lui maintenant. La beauté physique de certains buveurs dans les bars l'émouvait et il surprenait un grand mystère. Son inquiétude tomba. Elle fit place à une sorte de curiosité malsaine qui, chaque jour, lui prêtait une attitude nouvelle et le laissait tout frémissant. Les faiblesses de Titine pour François l'Espagnol, dont la splendeur était d'un dieu, il finit par les comprendre, mais il s'affolait encore à l'idée de découvrir, accoudé lourdement au zinc, l'affranchi superbe qui le dominerait.
Cette indécision sur l'homosexualité de Jésus-la-Caille nous dit-elle quelque chose sur les sentiments propres de Francis Carco ?

Un "Jésus" des registres de la Préfecture de Police de Paris.


A l'inverse, le roman contient quelques portraits d'homosexuels affichés. Ces sont ses trois amis Olga, Titine et Gueule d'Amour, qui, si on me permet de forger cette expressions, sont des modèles de « Tante attitude ».
Les amis qu'il s'y était faits l'accueillaient. Gueule d'Amour donnait des conseils. Rosé et crâneur, Olga racontait des histoires, cependant que Titine, aux yeux meurtris, à l'indolence fourbue, levait sur la clientèle intriguée un regard de vierge... Ces « dames » (comme le déclaraient les filles de l'endroit) bavardaient. Puis, l'heure avançant, c'était le départ d'Olga pour son bain de vapeur, séance de nuit. Titine séduisait un gaillard et la Caille écoutait volontiers l'invite que lui faisait présenter, par le chasseur, le premier amateur sérieux.
[...]
Plus discrets, les amis échangeaient avec le couple un salut rapide et poursuivaient leur route. Le soir tombait. Le boulevard se peuplait d'une foule d'incertains promeneurs. Une brune épaisse, la Marseillaise, dirigeait le manège de deux petits apprentis blêmes dont elle empochait la recette. Mineurs tous les deux, Pompon-la-Fille et Lolotte trottaient gentiment devant elle. On l'entendait dire : « J'ai deux beaux gosses, monsieur... » Ailleurs, Gueule d'Amour affectait par son dandinement une allure très significative que Titine copiait. La Rembourrée fumait un cigare. Celui-ci chaloupait. Cet autre, au feutre beige, hantait les urinoirs; et d'inquiétantes silhouettes, dans l'ombre bleue, les lumières, le grouillement, se perdaient pour réapparaître et se dérober encore, au milieu du raccroc obstiné des femmes.
Jésus-la-Caille, bien qu'un peu différent, appartient à cet univers. En témoigne le dialogue suivant :
—  Mon Dieu!  celle-ci!  se récria Olga en apercevant la Caille, elle a trop de rouge!
Titine déclara :
— Je te croyais fait par la rousse... Depuis deux jours qu'on ne te voit plus...
Mais, comme leurs regards se croisaient, il ajoutai :
—  T'as des ennuis?
Gueule d'Amour toisait les femmes avec son habituel dédain.
Elles attendaient sur les banquettes le geste d'un client. Il y avait là : Tirelire, des boxeuses, la petite Marcelle, la gosse Renée et de grosses filles mélancoliques. Le temps passait... Après Gueule d'Amour, Olga s'en allait.
Titine s'approcha de Jésus-la-Caille et lui prit la main.
—  Ah! j'ai le cafard, avouait ce dernier, et il expliquait : Bien sûr que j'me fous d'elle... Pourtant c'est   d'elle  que  j'ai  mal.   Vois-tu, Titine, je peux même pas dire que je l'aime. C'est pas vrai. J'aime personne et c'est de ça surtout que le noir me vient. Personne... Personne... Bambou! J'y pense encore et, quelquefois, ça me guérit... puis je me dégoûte d'avec Fernande... Oh! je me dégoûte et je ne sais plus ce que je veux.
Titine, les yeux meurtris, s'attendrissait.
—  Pauvre gosse! Y a rien à dire si t'as le cafard. Mais ne t'en fais pas, va! Les femmes c'est tout plus veau l'une que l'autre... Tu te débrouilleras mieux sans elle. Tu plais. Ça ne manque pas, les types qui me demandent : Et ton petit copain?
Titine parlait bas et la Caille l'écoutait.
Une tendresse singulière, entre eux, venait de naître. Le café se vidait. Ils sortirent. La fraîcheur de la nuit ranima la Caille et il s'étonnait du plaisir qu'il prenait à se confier à l'adolescent.
—  Où qu'on va, Titine?
Titine ne répondit pas. L'ombre palpitait d'étoiles et la brise qui passait dans les platanes du boulevard dispersait longuement leur odeur. Une petite rue sombre, à gauche, montait. La Caille suivait toujours son ami...
Autre portrait d'homosexualité affichée, il y a celui de La Puce, plus Jésus que Tante, dont la « facilité » pour les mœurs homosexuelles sont un sujet d'étonnement pour Jésus-la-Caille. Ses récits d'amours tarifés avec des vieux de « cinquante berges » sont un modèle d'attitude décomplexée.
Celui-ci ne savait alors comment le faire taire.
—  J'peux dire que j'ai jamais aimé, commençait la Puce.
Il suivait son idée :
—  Vous croyez des fois qu'on peut aimer un vieux?
—  Des fois!
—  C'est pas possible... Souris m'l'a encore raconté,  avant-hier.  Elle  est  avec  un vieux, elle, et ça la dégoûte...
La Caille évoquait le souvenir pénible de ses débuts.
—  Et pourtant, la Souris, elle sort quand elle veut. Oui ! Jl'ai vue à la Palme qui rigolait avec Titine... et le lend'main, non, leurs gueules à tous les deux!
La Puce éclata de rire. Son rire frais et jeune frappait le silence de la chambre et poursuivait la Caille.
—  Pourquoi que ça vous amuse pas aussi, ce que j'raconte?
—  C'a m'amuse...
—  On l'dirait pas... Dites donc, m'sieur la Caille, vous avez été avec un vieux, vous?
— Non, répondit la Caille, pour mettre fin à ce bavardage.
—  Alors, vous pouvez pas me proposer de me mettre avec lui?
—  Qui : lui?
—  L'général.
Devant la mine que fit Jésus-la-Caille, la Puce, très sérieux, déclara :
—  Il m'court, avec ses boniments. D'abord il m'a dit qu'il s'rongeait d'chagrin de m'voir faire le truc sur les boulevards. Il m'a accompagné à l'Electric, le bar, vous savez bien, rue Montmartre. C'qu'on a rigolé avec les copains! Ah! j't'écoute... Il m'a dit... Alors, moi, j'y ai dit que j'étais pas fait pour des vieux comme lui et qu'il faudrait que j'soye bien dégueulasse pour me coucher avec des types de cinquante berges.
—  Quoi qu'il a répondu?
—  Ah ! J'm'en fous, vous savez bien, du général et de tous les autres... J'suis pas pour ça ou, alors, la combine au pèze... Est-ce qu'ils ont pas les femmes, à leur âge?

Autre ilustration de Roland Caillaux, pour Vingt lithographies pour un livre que j'ai lu.

Le livre a été adapté au théâtre par Frédéric Dard. La pièce a été créée au Théâtre Gramont, à Paris, le 4 mars 1952. Elle a ensuite fait l'objet d'un film par André Pergament en 1955 : M'sieur la Caille. Il a bénéficié d'une belle distribution : Jeanne Moreau (Fernande), Philippe Lemaire (Jésus la Caille), Roger Pierre (Pépé la Vache), Marthe Mercadier (Bertha), Robert Dalban (Dominique le Corse), Fernand Sardou (Riri). Remarquons que le rôle de La Puce, le frère de Bambou, était joué par une femme : Annie Fargue.

Jeanne Moreau et Philippe Lemaire : Fernande et Jésus-la-Caille

Pour une critique du film : cliquez-ici.

Depuis sa publication, Jésus-la-Caille a été plusieurs fois illustré. Par ordre chronologique, ces éditions illustrées sont (les illustrations ont été trouvées sur Internet) :

Édition complète ornée de trois dessins de Chas Laborde, gravés sur bois par Jules Germain, Paris, R. Davis, 1920 (voir : cliquez-ici). La première illustration du message en provient.
C'est aussi cette édition qui inclut Les malheurs de Fernande, comme troisième partie du livre

 Projet de couverture, par Chas Laborde, 1920

Édition illustrée de gravures originales par Auguste Brouet, Paris : Éditions de l'Estampe, 1925 :


Édition illustrée d'eaux-fortes de Dignimont, Paris, Emile Hazan et Cie, éditeurs, 1929 :


Édition avec le texte traduit en langue verte et illustré par Pierre Devaux, Paris, Éd. de la Nouvelle revue critique, 1939 :


Édition illustrée de six aquarelles de Marcel Stobbaerts, Bruxelles, De Kogge, 1943 :


Illustrations de Van Rompaey, Etampes-Paris, M. Gasnier, 1945 :


Illustrations de G. Barret, Monte-Carlo, Éditions du Livre, 1946  :


Frontispice de Jean Mohler, (Paris,) les Compagnons du livre, 1949 :


Deux couvertures d'éditions en livre de poche :



Description de l'ouvrage et de l'exemplaire

A l'origine de ce message, il y a cet exemplaire de l'édition originale qui vient de rejoindre ma bibliothèque.

Il s'agit de l'exemplaire de Lucien Descaves, avec un envoi de Francis Carco (voir ci-dessus) et deux lettres manuscrites. Lucien Descaves est un auteur un peu oublié aujourd'hui qui a eu son heure de gloire avec le roman Sous-Offs. Paru pour la première fois en 1889, ce roman antimilitariste conduisit Lucien Descaves en Cour d’Assises pour injures à l’armée et outrage aux bonnes mœurs (il fut cependant acquitté). L'homosexualité n'est pas absente de ce roman : "Ces scènes de débauche militaires sont racontées en détail dans le fameux Sous-Offs. Le livre qui va rendre célèbre Lucien Descaves est plus qu'un roman réaliste, C'est une plongée directe dans les bordels de l'armée française. Un autre monde où la corruption et la débauche s'affichent sans scrupule. Cela démarre avec des scènes de racolages en plein Paris" (Gay Paris. Une histoire du Paris interlope entre 1900 et 1940, par François Buot, p. 135). Ce livre lui donna un notoriété qui lui permit d'appartenir aux membres fondateurs de l'Académie Goncourt. C'est à ce titre que Francis Carco lui envoie son premier ouvrage, accompagné d'une lettre. Il le sollicite à nouveau en 1919 par une autre lettre; qui est reliée dans cet exemplaire, pour son livre : Scènes de la vie de Montmartre. Mais cette même année, un certain Marcel Proust présentait A l'ombre des jeunes filles...

La description de l'ouvrage est :

Francis Carco
Jésus-la-Caille
Paris, Mercure de France, 1914, in-8° (185 x 115 mm), 250-[2]-8 pp.


Les 8 dernières pages sont un Extrait du catalogue des Éditions du Mercure de France, sur un papier pelure lie-de-vin.
L' achevé d'imprimer (p. [251]) est du 25 mai 1914.

Tirage de tête :
- 5 exemplaires sur japon impérial numérotés.
- 20 exemplaires sur Hollande numérotés.
Cet exemplaire est sur papier courant, mais il porte la signature de Carco à la page de justification : « F. Carco, 1914 ».

Il a été relié par Jean-Paul Miguet : plein maroquin fauve janséniste, dos à nerfs, tranches dorées sur témoins, couverture et dos conservés, étui chemise à l'identique. Reliure signée J. P. Miguet.‎

Plaisirs et Débauches au masculin - 1780-1940

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Les Editions Nicole Canet publient le 31 octobre 2014 "PLAISIRS ET DÉBAUCHES AU MASCULIN -1780-1940".

Tournons avec bonheur les pages de ce livre, et découvrons un large éventail de plaisirs et de débauches. Voyons, au fil du temps et sous divers climats, comment les jeux de l’amour et les fantasmes érotiques sont représentés par les artistes. Long rêve éveillé qui, tel un voyage d’amour, nous fait partir de l’Europe pour nous conduire jusqu’en Perse et en Chine.
Luxure et créatures gracieuses, corsetées et parfumées dans les aquarelles inédites d’Arthur Chaplin réalisées en 1888 ; les orgies dionysiaques dessinées avec fougue par Hildebrand ; excès et fantasmes d’écrivains, poètes et dandys, à la réputation sulfureuse qui ont pour noms :
Jacques d’Adelswärd-Fersen, Jean Lorrain et Oscar Wilde ; ouvrages d’Andréa de Nerciat dont les gravures illustrent les sujets les plus licencieux, chers aux libertins du 18ème siècle.
Photos clandestines représentant l’homosexualité la plus débridée…, tels sont, d’ailleurs, les thèmes abordés dans cet ouvrage dédié aux plaisirs.

Édition limitée à 950 exemplaires

Textes d'Étienne Cance et de Nicole Canet

Relié
275 illustrations en couleur
336 pages



Galerie Au Bonheur du Jour, Nicole Canet
11 rue Chabanais
75002 Paris
Tél. : 01 42 96 58 64
Email : : canet.nicole@orange.fr
Du mardi au samedi de 14h30 à 19h30

Site : www.aubonheurdujour.net
Page de présentation du livre : http://www.aubonheurdujour.net/Plaisirs_et_debauches.html avec un flip book qui permet de découvrir l'ouvrage.

Glanes

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Louis de Boullogne (1654-1733), Académie d’homme allongé.
Pierre noire, rehauts de craie blanche, 30 x 53 cm.

Couple par Elie Grekoff : Gouache pour une Tapisserie vers 1950.

Elie Grekoff est l'illustrateur du Tiresias, de Marcel Jouhandeau (cliquez-ici). J'ai eu aussi l'occasion de reproduire deux dessins originaux qui m'avaient été communiqués (cliquez-ici).

Andy Warhol : Untitled (Hand in Pants Pocket).


Tirésias, Marcel Jouhandeau, 1954 (III)

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C'est la troisième fois que je parle du Tirésias de Marcel Jouhandeau. Pour tout savoir sur cet ouvrage, fondamental me semble-t-il, je vous renvoie au premier message (cliquez-ici). Aujourd'hui, je veux vous présenter un nouvel exemplaire, qui contient deux dessins originaux d'Elie Grekoff, qui ont servi pour l'illustration du livre. Comme pour un autre exemplaire contenant un dessin original (cliquez-ici), l'illustrateur a utilisé un calque, probablement parce qu'il était ensuite plus facile de le transférer en gravure.

L'intérêt d'un de ces 2 dessins est qu'il est totalement original. Il n'a été repris ni dans l'ouvrage lui-même, ni parmi les 5 gravures non retenues que l'on trouve en complément de certains exemplaires.


L'autre dessin est, plus classiquement, le modèle de l'une des 15 gravures de l'ouvrage :


La gravure qui en est résulté:

L'autre intérêt de cet exemplaire est sa très belle reliure, signée Pierre-Lucien Martin :


Cet exemplaire a été acheté par R. Moureau à Roland Saucier, qui le céda ensuite à Raoul Simonson (1896-1965), éminente figure de la librairie belge du XXe siècle. C'est lui qu'il l'a fait relier en 1955 par Pierre-Lucien Martin. Son ex-libris se trouve dans l'ouvrage.


Pour finir, pour mieux connaître Roland Saucier, cette photographie où l'on voit Jean-Jacques Pauvert, récemment décédé, Roland Saucier et Jean Genet sur la Croisette à Cannes, en avril 1947.


Roland Saucier (1899-1994), directeur de la Librairie Gallimard du boulevard Raspail de septembre 1921 à mars 1964, fut en relation avec la plupart des grands écrivains français de l'entre-deux guerres. Il joua ainsi le rôle d'éminence grise du monde littéraire parisien, pivot central entre de nombreux écrivains, artistes et éditeurs. L'histoire littéraire retient que c'est par son intermédiaire que Genet rencontra Jacques Guérin. Grand bibliophile, ses fonctions à la Librairie Gallimard le mettait à la source des tirages de tête de tous les grands textes de la littérature française, et ses relations avec les écrivains lui donnaient l'occasion de se fournir en manuscrits ou de faire dédicacer ses exemplaires. (notice Sotheby's)
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